CHINE AFRIQUE

POUR DES RELATIONS RESPECTUEUSES, AMICALES, FRANCHES ET FRATERNELLES

lundi 10 septembre 2012

La Chine, les BRICS et l'ordre mondial, Chroniques

La Chine, les BRICS et l'ordre mondial, Chroniques
Les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ne suffisent plus à pallier l'atonie de l'économie occidentale. Leur croissance, même si elle fait encore rêver en Europe, n'est tout simplement plus ce qu'elle était. De la même manière, en termes géopolitiques, on ne peut compter sur eux pour se substituer, ne serait-ce que partiellement, à un Occident affaibli. La puissance économique ne se traduit pas automatiquement en puissance politique et en influence stratégique. Il y faut un minimum d'unité et de volonté.
Les BRICS - on parlait initialement de BRIC sans le S de l'Afrique du Sud -acronyme créé en 2001 par un économiste de Goldman Sachs Jim O'Neil pour désigner la montée en puissance des « émergents » non occidentaux, sont devenus une réalité économique incontournable. Ils représentent aujourd'hui cinq fois la France et constitueront demain un tiers de la richesse mondiale. Mais, sur le plan géopolitique, leurs diversités fondamentales, tout comme l'opposition de leurs intérêts, rendent leur existence beaucoup plus problématique. Si les BRICS peuvent dans près de 90 % des cas voter de la même manière aux Nation unies, ils ne sont pas prêts à constituer un bloc, tout comme ils ne sont pas capables ou désireux de se doter d'un secrétariat général et des instruments nécessaires à une existence institutionnelle formalisée.
L'obstacle le plus important à l'existence politique des BRICS est sans doute le statut spécial de la Chine en leur sein. Il y a vraiment la Chine et les autres, au point où l'on peut légitimement se demander si Beijing n'utilise pas parfois les BRICS pour avancer « masquée » sur la scène internationale quand cela lui convient. Alors même que la Chine n'hésite pas à inquiéter ses partenaires et rivaux quand ses intérêts nationaux vitaux lui paraissent être mis en question.
Sur les seuls plans économiques et militaires, la Chine représente par exemple trois fois l'Inde, l'autre géant du continent asiatique. Sur un plan stratégique aussi, tout oppose la Chine qui dispose d'une « géographie idéale » et d'une démographie qui - en dépit de sa chute annoncée -demeure prolifique et la Russie qui se trouve dans une situation totalement opposée. Il en est de même en termes de statut. Pour Moscou, redevenir via les BRICS un acteur au sein d'un monde multipolaire est une compensation qui cache mal les frustrations d'un pays qui était au temps de l'URSS un des deux pôles d'un monde bipolaire. Pour l'Inde et le Brésil, les BRICS sont par contre la reconnaissance de leur nouvelle réussite. L'Afrique du Sud est quant à elle bien consciente que sa présence dans cet aréopage est encore contestée et que, à travers elle, c'est le continent africain dans son ensemble qui est reconnu, un continent qui sera passé en l'espace d'un siècle de 1950 à 2050 de 180 millions à près de 2 milliards d'habitants.
Au-delà du poids spécifique de la Chine, il est facile d'additionner les divergences qui peuvent exister au sein des BRICS. Ainsi, sur la composition des membres permanents du Conseil de sécurité, ceux qui en font partie comme la Russie et la Chine ne souhaitent pas le voir élargir à d'autres comme le Brésil, l'Inde ou l'Afrique du Sud. De plus, l'élargissement en cours de ce club des émergents économiques qui devrait inclure demain des pays aussi divers que l'Indonésie ou la Turquie, sans parler du Mexique ou de la Corée du Sud et un jour sans doute les Philippines, sinon le Vietnam, ne fera que renforcer les difficultés de ce nouvel ensemble à constituer un bloc cohérent. De même que l'Union européenne fonctionne plus difficilement à 27 qu'à 15, les BRICS de demain s'organiseront plus mal encore à 10 qu'à 5.
Le monde occidental a certainement contribué à créer les BRICS en les nommant et ces derniers comprennent sans doute mieux les réalités de l'interdépendance que nous-mêmes. Il existe de plus entre eux une diplomatie transrégionale encore trop négligée par les puissances occidentales. Ainsi les relations entre la Chine et le Brésil ont-elles joué un rôle décisif dans le processus de construction de la souveraineté brésilienne.
Mais le monde est aujourd'hui en quête d'un principe d'ordre. Il a été bipolaire au temps de la guerre froide, brièvement unipolaire derrière l'Amérique de l'effondrement de l'URSS à celui des tours de Manhattan. Aujourd'hui, il n'existe ni G zéro, ni G2, ni G3, ni G20, rien qu'une multipolarité inégale et dysfonctionnelle... et c'est bien là le problème.
Dominique Moïsi est conseiller spécial à l'Ifri

Écrit par Dominique MOÏSI
Chroniqueur - Conseiller du directeur de l'Ifri (Institut français pour les relations internationales

Aucun commentaire: