CHINE AFRIQUE

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mercredi 19 septembre 2012

CCTV Africa, la nouvelle chaîne kenyane “made in China” - Télévision - Télérama.fr

CCTV Africa, la nouvelle chaîne kenyane “made in China” - Télévision - Télérama.fr

A Nairobi vient de s'implanter une chaîne d'info ultramoderne. Elle est détenue à 100 % par l'Etat chinois. Qui, sous prétexte de révéler au monde le vrai visage de l'Afrique, soigne surtout sa propre image.
Le 15/09/2012 à 00h00
Lucas Armati- Télérama n° 3270
CCTV Africa : un habillage moderne, un ton professionnel, des salariés kenyans et chinois qui collaborent désormais sans problème. © Dominic Nahr/Magnum Photos pour Télérama

Perchée sur de hauts talons, gainée dans un petit tailleur rouge, Beatrice Marshall nous accueille avec un large sourire. A quelques minutes de l'enregistrement de son émission hebdomadaire, la coquette journaliste, star kenyane de l'info, paraît parfaitement détendue. Autour d'elle s'agitent techniciens, assistants, coiffeuse personnelle. Elle reste pro et, avec assurance, prend place dans son studio ultramoderne. Déco noire, écrans plats, prompteur... on se croirait sur CNN. A une différence près : le contenu du show politique que Beatrice Marshall va animer ce jour-là.

Au sommaire, les sanctions que Barack Obama veut imposer à l'Afrique du Sud et au Kenya pour avoir acheté du pétrole aux Iraniens. « Pourquoi les Etats-Unis se permettent-ils de choisir les alliés et les ennemis de l'Afrique ? » attaque la journaliste. En duplex et en plateau, des experts argumentent. Tous s'élèvent contre la politique de Washington. A l'écran apparaît un énorme sous-titre : « Les sanctions, un héritage impérialiste aberrant. » Une position polémique, très officiellement défendue par Pékin, qui se fournit aussi en pétrole iranien. Pas vraiment un hasard : l'émission est diffusée sur CCTV Africa, la toute nouvelle chaîne d'info africaine, à l'habillage moderne, au ton professionnel... mais détenue à 100 % par l'Etat chinois.

Langue, idées, films, ­médias...
 tout est bon pour conquérir la sphère culturelle,
 asseoir en douceur sa domination.

Une chaîne asiatique en terres kenyanes... Nous connaissions l'appétit économique de la Chine, qui s'est lancée à la conquête du continent noir et de ses matières premières il y a une quinzaine d'années (lire page suivante). Aujourd'hui, Pékin inaugure une nouvelle stratégie. Après les chantiers boueux, place au « soft power ». Langue, idées, films, ­médias..., tout est bon pour conquérir la sphère culturelle, ­imposer sans en avoir l'air ses valeurs, asseoir en douceur sa domination. Ce changement de tactique, il faut en chercher le déclic un jour d'avril 2008. Sur sa route pour Pékin, la flamme olympique fait étape à Paris. Un fiasco. Attaquée par des militants pro-Tibet, la torche olympique est éteinte à plusieurs reprises. Choquée, la Chine censure les images mais se décide à investir massivement pour améliorer sa ­réputation à l'étranger.

A Nairobi, l'opération de séduction s'est traduite par le lancement en grande pompe, en janvier dernier, du QG de la chaîne asiatique. Jusqu'alors, l'antenne internationale de CCTV News, la CNN officielle chinoise, ne disposait que de quelques correspondants en Afrique qui lui envoyaient leurs reportages quand l'actu le commandait. Désormais, le continent dispose de sa propre chaîne, de son propre centre de production – des bureaux flambant neufs dans un quartier cossu de la capitale kenyane, une soixantaine de salariés, deux studios high-tech et des régies entièrement équipées en numérique. A l'étranger, seuls les bureaux de Washington ont bénéficié de tels investissements. Pour l'instant, l'équipe africaine ne réalise qu'une heure de programmes quotidiens, diffusés en anglais sur CCTV News. Mais les perspectives sont prometteuses : en « empruntant » chaque jour l'antenne de la CCTV, la « petite » CCTV Africa touche déjà des millions de foyers en Afrique, en Asie, en Amérique... Dès l'année prochaine, elle émettra deux heures par jour. Avant, peut-être, une antenne vingt-quatre heures sur vingt-quatre.


Business au Bulldozer
 « Sortez des frontières ! » lançait en 1995 le président Jiang Zemin aux grandes entreprises chinoises. Plus de quinze ans plus tard, le mot d'ordre a été largement suivi, notamment en Afrique. Des juteux marchés publics au plus petit business local, les Chinois se sont implantés sur tout le continent. En Zambie, ils exploitent d'impressionnantes mines de cuivre à ciel ouvert. Au Nigeria, ils gèrent d'importantes concessions pétrolières. Au Kenya, à première vue, leur présence reste discrète. Pas de véritable Chinatown à Nairobi. Mais il suffit de s'enfoncer dans la brousse pour s'apercevoir que la plus isolée des épiceries est tenue par des Chinois. Ou d'emprunter la toute nouvelle 2 × 8 voies qui relie la capitale à la ville de Thika pour comprendre que le réseau routier du pays a été entièrement rénové par des entreprises asiatiques. Certes, cette « Chinafrique » ne s'est pas créée sans heurts : des conflits ont éclaté pour dénoncer les conditions de travail déplorables sur les chantiers chinois et la prédation sans scrupule de Pékin. Mais les échanges entre l'empire du Milieu et l'Afrique n'en ont pas souffert. L'année dernière, ils ont dépassé les 166 milliards de dollars - ce qui fait de la Chine le premier partenaire commercial de l'Afrique, devant les Etats-Unis.

« Rétablir la vérité »
 « Notre but est de révéler au monde le vrai visage du continent », annonce avec emphase Pang Xinhua, l'un des managers de la chaîne. Ce journaliste pékinois de 49 ans – le doyen de la rédaction – a quitté femme et enfant pour vivre trois ans au Kenya, un pays où il n'avait jamais mis les pieds. Avec son gilet de reporter siglé CCTV, il nous fait visiter avec fierté la rédaction, s'arrête devant un planisphère où sont indiqués les correspondants étrangers de la holding chinoise (à Rio, Paris, New York, Moscou, Tokyo...), s'enorgueillit de l'intérêt des médias étrangers pour « sa » chaîne. A l'entendre, travailler à CCTV Africa relève de la mission d'intérêt général. « Soit les médias occidentaux ignorent l'Afrique, soit ils parlent uniquement des guerres, des famines, du sida, dit-il en se resservant du thé. Toujours ce même regard négatif ! Nous, nous souhaitons rétablir la vérité et montrer comment l'économie africaine est en plein boom, comment les ­sociétés évoluent, comment les citoyens veulent s'en sortir. »

Le nouvel ami chinois face aux anciens colonisateurs... A la rédaction, les journalistes adhèrent à cette vision un poil manichéenne. Les débuts ont certes été froids. Les reporters kenyans ont craint « l'autoritarisme légendaire des Chinois », les journalistes chinois envoyés à Nairobi ont cri­tiqué « le manque de persévérance » de leurs confrères africains. Des deux côtés, des efforts ont été consentis. De nombreux Kenyans ont été envoyés à Pékin pour des formations accélérées et une sensibilisation à la culture asiatique. Aujourd'hui, les équipes collaborent sans problème. Et le rendu à l'antenne soutient la comparaison avec les plus grandes chaînes internationales. « Nous allons même les dépasser, ­fanfaronne la présentatrice Beatrice Marshall, qui a fait ses premières armes en Grande-Bretagne. Car, en tant qu'Africains, nous sommes portés par ce projet et fiers d'y participer. »

Pour rejoindre l'équipe de CCTV Africa,
 des journalistes locaux se sont
 vu offrir deux fois leur salaire.

Pour comprendre l'enthousiasme de la journaliste, il suffit de regarder l'antenne de CCTV Africa. La chaîne a recruté une majorité de présentateurs et de journalistes noirs. Pour rejoindre l'équipe, certains se sont vu offrir deux fois leur salaire. « Ce fut l'occasion de briser un terrible plafond de verre, affirme une ex-journaliste kenyane de la BBC. Dans les grands médias internationaux, les Africains subissent le paternalisme des dirigeants occidentaux et n'accèdent jamais aux postes de responsabilités. CCTV Africa a rompu avec cette tradition. »

Face au dragon chinois, les télés locales ne font pas le poids. Même les grands médias internationaux font pâle ­figure. Rincée par un plan global d'économies, la BBC va peut-être devoir réduire ses effectifs. Pénalisée par son manque de réseau en Afrique anglophone, France 24 – une seule correspondante sur place – tente d'obtenir une fréquence sur la future TNT kenyane, mais le CSA local maintient le flou... Lot de consolation : la chaîne d'info française a obtenu un créneau quotidien sur la chaîne publique KBC. Ses programmes ont le privilège d'y être diffusés... de 1 heure à 5 heures du matin ! « On ne se rend pas compte à quel point les médias français sont largués », lâche une journaliste expatriée depuis quelque temps dans la capitale. Seul média à pouvoir rivaliser : la chaîne qatarie Al-Jazira et ses caisses pleines de pétrodollars. A Nairobi, l'entreprise emploie une demi-douzaine de personnes. Un temps, il s'est murmuré qu'elle projetait de se développer, en ouvrant une antenne africaine entièrement en swahili. Aux dernières nouvelles, le projet a été repoussé.

En attendant, CCTV Africa étend son emprise. Ses reporters sillonnent sans relâche le continent, partent en Ethiopie couvrir le sommet de l'Union africaine, se rendent au Rwanda illustrer le boom économique, s'envolent pour le Soudan... Aucune difficulté pour interviewer les dirigeants africains : tous connaissent la chaîne – récemment, un rédacteur en chef hospitalisé après un banal accident de voiture a même reçu la visite surprise du vice-président kenyan.

Traitement pro-Pékin
 A quelques mois des très attendues élections générales, et alors que le précédent scrutin a donné lieu à des émeutes meurtrières, l'appétit féroce de CCTV Africa inquiète. Quelle sera la couverture de la campagne ? Les candidats seront-ils traités équitablement ? Equivalent de Reporters sans frontières, le CPJ (Committee to Protect Journalists) s'est déjà alarmé du traitement pro-Pékin des informations de la maison. Pas question, par exemple, de critiquer les investissements chinois en Afrique. De gêner la collaboration politique de Pékin avec le Soudan. De rappeler la mauvaise réputation de ­Robert Mugabe, dictateur zimbabwéen honni par les capitales occidentales mais ami de la Chine. Si la censure est moins vive que sur les chaînes nationales, le Parti garde un œil sur les contenus de la filiale africaine. « Et alors ?, se moque l'ambitieux Mark Masai, journaliste kenyan de 26 ans et déjà présentateur du journal sur CCTV Africa. Vous dites que notre chaîne est le bras armé de Pékin, mais qu'est-ce que CNN par rapport au pouvoir américain ? Qu'est-ce qu'Al-Jazira par rapport au Qatar ? Qu'est-ce que France 24 vis-à-vis de la France ? Tous les médias ont leur propre manière de voir le monde, leurs propres conflits d'intérêt. Nous n'avons fait qu'échanger un parti pris pour un autre ! »

Dans son immense bureau du ministère de l'Information et de la Communication, au dixième étage des Teleposta Towers de Nairobi, Bitange Ndemo n'est pas loin de partager cet avis. Pour l'heure, il contemple avec fierté les maquettes de la Konza Technology City, une future ville nouvelle 100 % high-tech, dont les travaux viennent de débuter aux portes de la capitale kenyane. Cet impassible adjoint du ministre a beaucoup œuvré pour la modernisation numérique de son pays. Aujourd'hui, il se réjouit que le Kenya soit devenu « the place to be » pour les grands médias internationaux. « La plupart des pays africains combattent les médias, nous, nous les soutenons », affirme-t-il, oubliant au passage les atteintes régulières à la liberté de la presse. L'ancien businessman n'est pas tendre avec ses hôtes médiatiques. Al-Jazira ? « Une chaîne sensationnaliste. » La BBC ? « Une couverture tronquée de l'actualité. » Seule CCTV Africa trouve grâce à ses yeux. La belle Beatrice Marshall, le jeune Mark Masai..., il connaît les présentateurs vedettes de la chaîne, regarde leurs JT et émissions, comme beaucoup d'autres membres du gouvernement, dit-on. Mais l'enthousiasme ne parvient pas longtemps à cacher une certaine résignation, révélatrice aussi de la réalité des relations sino-africaines : « Si CCTV Africa est diffusée chez nous, je ne vois pas pourquoi l'une de nos chaînes nationales ne pourrait pas émettre en Chine. Ce principe de ­réciprocité ne serait que justice. J'ai fait une demande en ce sens aux autorités de Pékin. Mais vous savez quoi, j'attends toujours une réponse... ».



Confucius court le monde
 A Nairobi, l'expansion culturelle chinoise passe aussi par l'Institut Confucius. Créé en 2005, ce centre culturel - équivalent de l'Alliance française ou du Goethe Institut allemand - occupe tout un étage de l'université. Labo de langues, salles de cours, bibliothèque... Des centaines d'étudiants kenyans y sont inscrits, contre seulement vingt-neuf à ses débuts. Durant l'année, une dizaine de professeurs les initient au mandarin, à l'histoire de l'empire du Milieu, à la cuisine asiatique... Tout pour parfaire leur connaissance de la civilisation chinoise... et faciliter de futures relations commerciales. Une stratégie parfaitement planifiée par Pékin : depuis 2004, il s'ouvre dans le monde quasiment un Institut Confucius par semaine ! Aujourd'hui, ils sont près de trois cent cinquante, répartis dans une centaine de pays (l'Afrique en compte vingt-cinq). Régulièrement menacé par les plans d'économies, le puissant réseau de centres culturels français a toutefois tenté de contrecarrer le raz-de-marée. En Chine, il a quasiment doublé le nombre de ses Alliances françaises. Pas de chance ! Il s'avère que la plupart des Chinois viennent y apprendre la langue de Molière non pas dans le but d'étendre l'influence française en Chine, mais dans celui de mieux pénétrer l'Afrique francophone...

À lire

La Chinafrique, Pékin à la conquête du continent noir, de Serge Michel et Michel Beuret, éd. Grasset & Fasquelle, 348 p., 19,80 €.

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