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vendredi 31 août 2012

"Les Chinois vignerons en Bourgogne, une bonne nouvelle ?"

"Les Chinois vignerons en Bourgogne, une bonne nouvelle ?"
LE MONDE | • Mis à jour le
Le château Gevrey-Chambertin le 23 août 2012.
Le château Gevrey-Chambertin le 23 août 2012. | AFP/JEFF PACHOUD

Fin août, l'annonce du rachat du château de Gevrey-Chambertin, en Bourgogne, par un magnat des salles de jeux de Macao a provoqué un bel émoi en France. L'histoire offre, il est vrai, un condensé des peurs et des fantasmes de l'époque : le déclin économique et une certaine impuissance de la France face à la mondialisation, la prolifération et l'appétit de tycoons asiatiques toujours plus nombreux, la perspective décrite il y a deux ans par l'écrivain Michel Houellebecq d'une France dépouillée de ses outils de production, transformée en musée, vouée au tourisme et aux activités de loisir financées par des intérêts étrangers.

Y a-t-il lieu de s'alarmer de l'affaire de Gevrey ? Hautement prévisible, elle traduit une réalité qui n'a cessé de s'affirmer ces dernières années : les grands vins français sont devenus les plus recherchés et les plus chers des grands crus. Elevés au rang d'icônes par le succès planétaire des notes du guide Parker, les crus classés de bordeaux, les châteauneufs et, dans une moindre mesure, les grands bourgognes ont fait la fortune et le régal depuis vingt-cinq ans des intermédiaires britanniques et des consommateurs américains.
Mais la roue de l'économie tourne, et les excédents financiers se sont déplacés vers l'Asie, qui, à son tour, veut acquérir ce qui se fait de mieux en matière de raffinement et de statut.
Cette affaire nous dit donc deux choses. Pour commencer, le sommet de la qualité française fait plus que jamais rêver le reste du monde, ce qui est tout de même une bonne chose. Y aurait-il lieu de se congratuler si les investisseurs chinois dépensaient leurs millions en grands vins et domaines du Priorat espagnol ou du Piémont italien ? Cela viendra sans doute.
En attendant, après s'être passionnés pour les grands bordeaux et avoir acquis une vingtaine de propriétés en Gironde, ils découvrent avec intérêt la Bourgogne et ses crus. Osons profiter de ce privilège, de la renommée et de la bonne fortune légué par l'histoire et des générations de vignerons aux doigts d'or. En rachetant le château de Gevrey-Chambertin, les Chinois vont renforcer la notoriété de ce grand cru auprès de plus d'un milliard de nouveaux consommateurs potentiels, ce qui est bon pour la Bourgogne et pour la France.
Second point à méditer : l'argent qui déchaîne aujourd'hui les passions est de moins en moins en France et de plus en plus dans le reste du monde. C'est un fait. Regardons lucidement autour de nous : il y a belle lurette que les Ausone, les Latour à Pomerol, les Petrus et surtout la cohorte des grands bourgognes, le chambertin Clos de Bèze du domaine Rousseau, les musigny de Roumier et du domaine Leroy ne sont plus achetés ni bus en France, hormis par de richissimes étrangers sur les tables de palaces parisiens, de la Côte d'Azur et dans les stations bling-bling des Alpes.
UNE OFFRE DOUBLÉE
Ces vins incarnent la rareté, le luxe, l'excellence, la réussite : il est inévitable que ceux qui ont les moyens de les boire aient un jour l'envie de poser le pied sur leur terroir avec le frisson du propriétaire. Il y a d'ailleurs belle lurette que les Bordelais accueillent des étrangers : les Japonais possèdent le Château Lagrange et la moitié de Beychevelle, Fieuzal bat pavillon irlandais, Louis Jadot, en Bourgogne, est américain, et, en Languedoc, des Russes se sont offert le Prieuré Saint-Jean-de-Bébian.
En Bourgogne, une partie de la polémique est née du fait que plusieurs professionnels locaux ont fait une offre pour racheter le château de Gevrey-Chambertin. Ils proposaient entre 4 et 5 millions d'euros, l'acheteur chinois est monté jusqu'à 8 millions, les vendeurs ont choisi.
Est-il moral de condamner les Chinois dans cette affaire ? En 2006, pas très loin du château de Gevrey-Chambertin, une bataille similaire a opposé le prestigieux domaine de la Romanée-Conti et l'investisseur François Pinault pour le rachat du domaine René Engel.
Le domaine de la Romanée-Conti tenait absolument à s'offrir le Clos de Vougeot d'Engel, l'un des rares grands crus de prestige qui lui manquent. Il avait reçu une promesse de vente à un prix donné. Le patron de la Fnac et du Château Latour a mis sur la table quelques millions de plus. Il a obtenu satisfaction. L'affaire, à l'époque, n'a fait aucun bruit, sans doute parce qu'elle opposait deux acquéreurs français.
Si l'on décide de critiquer les Chinois, quelle attitude faut-il adopter devant les nombreux investissements français en Argentine, au Chili, en Californie, en Afrique du Sud, en Australie, en Espagne et en Chine même ?
Une question déterminante, cependant, concerne la stratégie des Chinois en matière de vin. Préoccupés par leur seul marché intérieur, ils n'agissent pas, en effet, comme les autres acquéreurs étrangers. Curieux mais prudents, les Chinois n'ont pour l'instant acquis aucun château de premier plan et concentrent leurs investissements sur des propriétés de deuxième, voire de troisième catégorie.
Ils cherchent ainsi à se familiariser avec les mécanismes compliqués de la production et du négoce à la française, l'achat de raisins et en particulier les fameuses ventes en primeur à Bordeaux, dont les règles les déconcertent : payer deux ans à l'avance un cru en cours d'élevage, sans garantie absolue de voir sa valeur augmenter, ne figure assurément pas dans les canons chinois du business.
UNE LÉGISLATION CHINOISE "TRÈS FLOUE"
En attendant de maîtriser cette chaîne complexe, ils rachètent à prix raisonnable des domaines moins connus, mais pas n'importe lesquels. Ce point doit attirer notre attention. A Bordeaux, deux des propriétés devenues chinoises, les discrets Châteaux Latour-Laguens et Lafite-Chenu, reprennent sur leur étiquette le nom de deux crus mythiques, les premiers crus classés en 1855 Latour et Lafite-Rothschild.
En Bourgogne, le château de Gevrey-Chambertin (2 hectares de vigne) n'a jamais fait parler de lui pour la qualité de ses vins. Confuron-Cotetidot, Dugat-Py, Leroy, Trapet... au moins vingt cuvées produites sur le grand cru Gevrey-Chambertin lui sont supérieures. Mais le nom même de château de Gevrey-Chambertin est un trésor inestimable grâce à la "marque" qu'il contient, Gevrey-Chambertin, l'un des plus grands crus de la Bourgogne, un nom à consonance magique, connu de New York à Tokyo.
Or, la législation chinoise en matière de vin reste très floue. La Revue du vin de France, qui a lancé voici un an et demi une édition en Chine, a récemment goûté à Pékin une centaine de crus chinois. A notre grande surprise, sur la petite dizaine de vins distingués à l'aveugle par le jury, trois avaient en réalité été élaborés à partir de moûts (jus de raisin) achetés à l'étranger, notamment au Chili, et mis en bouteille en Chine.
Autrement dit, il est tout à fait licite en Chine de vendre sous une origine géographique des vins produits à partir de raisins récoltés ailleurs. La Bourgogne et Bordeaux seront donc inspirés, comme le fait depuis longtemps la Champagne, de surveiller de près l'exploitation commerciale en Chine de marques au potentiel aussi fameux que "Lafite", "Latour" ou désormais "Gevrey-Chambertin".

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