La Chine et nous
Écrit par VINCENT TOHBI IRIÉ Jeudi, 26 Juillet 2012 10:28
La Chine vient de sortir du four le gâteau géant, pétillant de délices et dont le fumet se répand dans l’air : 20 milliards de dollars à distribuer aux Africains par le biais de projets de développement. Notre Président, attend les investisseurs chinois, dès les premiers jours du mois d’août. Il faut battre le fer quand il est chaud. Les petits Abidjanais diraient, dans leur langage bien à eux, que la Chine est très concrète. Elle l’est, en effet.
Mais déjà, des voix s’élèvent, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Afrique. L’argent de la Chine ne serait pas bon, il sentirait mauvais, il ne respecterait pas les règles des changes commerciaux. Ce ne sont pourtant pas les Africains qui ont découvert que l’argent n’avait pas d’odeur. Certains de nos frères se sont mis au-devant de la croisade antichinoise, accusant nos frères aux yeux bridés de faire de la concurrence déloyale, d’envahir les petits commerces, d’employer de la main-d’œuvre exclusivement chinoise, de retirer des pays africains plus d’argent qu’ils n’y mettent.
« Ils travaillent comme des esclaves, ces ouvriers chinois » disent certains Africains. Et nous ? Nous travaillons comment ? Comme des nègres ? Non, comme des paresseux venant au travail toujours avec des excuses de retard et retournant à la maison avant la clôture de la journée, réservant nos jeudis et vendredis aux funérailles vraies et fictives, aux amusements en tous genres, prompts à traîner nos employeurs en justice ou à réclamer des droits exorbitants. Quand on est dernier de la classe, on ne peut se risquer à avoir un temps de révision des leçons plus court que ceux qui sont déjà forts. La Chine fait des affaires. Elle n’a jamais dit aux Africains qu’elle avait une mission caritative et philanthropique. Elle investit de l’argent qu’elle doit récupérer avec bonus, tout comme toutes les autres Nations occidentales qui investissent en Afrique. Les pratiques sont les mêmes, mais les systèmes sont différents : les pays occidentaux donnent de l’argent à l’Afrique, mais nous obligent à acheter leurs produits avec cet argent ou à sous-contracter leurs entreprises ; les Chinois paient leurs nationaux sur leurs chantiers en Afrique.
Nous sommes pauvres et nous voulons de l’argent d’où qu’il vienne, pourvu seulement qu’il soit propre. Si c’est la Chine qui nous en donne plus, nous irons naturellement vers elle, comme nos parrains occidentaux vont vers les pays qui leur donnent de l’argent et des ressources naturelles et stratégiques, fermant les yeux sur tous les abus de droits de l’homme. Par ailleurs, la Chine est un miroir, un exemple de résurrection, le phénix des temps modernes. Annoncée pour morte pendant des décennies, elle s’est bien réveillée et le monde tremble. Mais nous frémissons de plaisir parce que nous savons d’avance que cet éveil nous bénéficiera. La Chine a besoin de ressources stratégiques. Nous en avons. Pour l’instant, notre pauvreté nous contraint à lui donner nos ressources brutes. Mais à moyen terme, nous les transformerons et exporterons sur son marché insatiable. La Chine a besoin de partenaires. Nous en sommes un. La Chine a de l’argent à investir. Nous sommes en embuscade. Au lieu de nous épancher sur les méfaits de la coopération chinoise, nous ferons mieux d’interroger les facteurs du succès chinois et de les imiter chez nous. Nos économies rustiques ébranlées par notre instabilité politique ont besoin nouveaux ou de modèles variés. Cela fait plus de 100 ans que nous essayons le modèle occidental.
Nous ne nous sentirons pas plus mal si nous essayions aussi, en juxtaposition, le modèle asiatique. Nous y avons tout à gagner. La plupart des produits dans les boutiques et supermarchés occidentaux sont produits en Chine. Nous ne serons pas blâmés d’être des utilisateurs de produits chinois. Nous cherchons l’intérêt de notre continent. Où que cet intérêt se trouve, nous irons le chercher. Il s’agit d’améliorer la qualité de la vie de centaines de millions de nos frères Africains et d’offrir à notre descendance un continent meilleur où il fait bon vivre et où il y a des opportunités d‘épanouissement. Nous ne pouvons pas faire de compromis sur un tel objectif. Entre la Chine et l’Afrique, c’est un mariage de raison et d’intérêt. Et cela ne regarde que nous deux. L’Afrique moderne a 60 ans. Elle a passé l’âge des coups de foudre. Nous nous méfions des amants calculateurs, avec leurs règles et leurs équerres en main.
Par VINCENT TOHBI IRIE
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