Par
*, le 16 juillet 2012
* Docteur en Sciences politiques
Cet article se propose de prendre la mesure exacte de l’engagement chinois dans la lutte de libération des peuples africains. A-t-il été aussi décisif que le laissent entendre les autorités chinoises ? Une question importante alors que le renforcement de la présence chinoise en Afrique est un fait avéré.
LE renforcement de la présence chinoise en Afrique est sans doute l’événement géopolitique majeur de la première décennie du XXIème siècle sur ce continent. Cet état de fait alimente de nombreuses publications et suscite des débats passionnés dans tous les milieux sur des
sujets essentiellement contemporains. C’est pourquoi on s’intéresse ici au passé, car il influe sur les prises de décisions du moment et détermine le cours de l’histoire. Lors des différentes rencontres sino-africaines, les dirigeants chinois ne manquent pas d’évoquer le soutien de la Chine aux mouvements de libération nationale (MLN) africains. Ce recours incessant à l’histoire est un stratagème éprouvé [1]. En effet, il permet à la Chine de se situer sur un ʺterrainʺ qui lui est favorable en discréditant implicitement les puissances occidentales, ses principales rivales, et en invitant les Africains à faire montre de gratitude, d’une manière ou d’une autre.
Cet article se propose de (re)visiter cet épisode important des relations sino-africaines en essayant de prendre la mesure exacte de l’engagement chinois dans la lutte de libération des peuples africains. A-t-il été aussi décisif que le laissent entendre les autorités chinoises ?
Mao Tsé-toung (1893-1976) qui se considérait, sur certains points, l’héritier de Lénine face aux révisionnistes soviétiques, s’était vigoureusement employé à combattre l’impérialisme. Comme Clausewitz, il considère la guerre consubstantielle à la politique : « La politique est une guerre sans effusion de sang et la guerre, une politique avec une effusion de sang » [4]. Cette guerre, il la qualifie de juste et de révolutionnaire, car elle est celle des peuples opprimés contre les Etats capitalistes et impérialistes. « Pékin voulait être à la révolution mondiale de la seconde moitié du siècle ce que Moscou avait été à celle de la première moitié » d’après François Joyaux [5].
Deux types de mouvements de libération nationale ont bénéficié du soutien chinois. Il y avait ceux qui menaient une lutte contre la domination coloniale dans le but d’accéder à la souveraineté. C’est le cas du Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA), de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA), du Front de libération du Mozambique (FRELIMO), du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap vert (PAIGC)... Le second type de mouvement de libération nationale, qui date des années 1960, combattait le néocolonialisme dans les États nouvellement indépendants, c’est le cas de l’Union des populations du Cameroun (UPC), de l’UDFP-sawaba de Djibo Bakary au Niger, les rebelles lumumbistes au Congo belge…
Pour les dirigeants chinois, le Tiers-monde était le cœur de la révolution mondiale. L’épisode de la « Révolution culturelle » est marqué par un durcissement du discours idéologique. Il a été largement diffusé en Afrique. Les ambassades chinoises étaient mobilisées dans cette propagande maoïste. « En profusion et sans discrimination on se met à distribuer des insignes de Mao et des citations de ses œuvres, et on remplit des vitrines entières de photos destinées à promouvoir la révolution de Mao » [6], écrit Barbara Barnouin. Le service de renseignement chinois, le Tewu, a également été actif durant cette période. Ses agents secrets, qui opéraient sous la couverture de journalistes de l’agence de presse Xinhua (Chine nouvelle) [7], étaient également mobilisés dans la promotion internationale du maoïsme. Ils étaient très souvent expulsés à cause de leurs activités subversives, c’était le cas au Kenya en 1965, au Burundi en 1964, en République centrafricaine et au Ghana en 1966 [8].
Enfin, l’idéal tiers-mondiste exprimé lors de la conférence de Bandung (18-25 avril 1955) a également justifié le soutien de la Chine aux mouvements de libération nationale africains. Dans son communiqué final adopté à l’unanimité, la conférence condamnait le colonialisme « sous toutes ses manifestations » ainsi que la ségrégation raciale, et encourageait la coopération [9]. Elle y a été très active pendant les négociations de la conférence. Sa délégation était l’une des plus importantes avec 130 personnes. Chou En-Laï (1898-1976) s’était prononcé pour la libération des territoires sous domination pour les quinze prochaines années. Pékin se voulait clairement être la figure de proue de ce mouvement au détriment de l’Union soviétique qu’elle accusait d’impérialisme. Plus tard, en 1963, lors de la Conférence de Solidarité des Peuples Afro-asiatiques de Moshi (Tanzanie), la Chine renouvelait ses attaques en traitant sa rivale de « blanche » et « d’occidentale » tout en l’accusant de « vouloir maintenir la domination des nations supérieures sur les pays oppressés » [10]. L’argument racial indignait les soviétiques qui déclaraient : « …certains dirigeants nationalistes voudraient diriger le mouvement de solidarité non pas contre l’impérialisme, le colonialisme et ses agents mais contre tous les hommes blancs » [11].
La Chine n’a pas mené d’actions militaires directes sur le continent contrairement à Cuba et à l’Union soviétique : « Opération Carlota » en Angola en 1976 et « Protestation de Baragua » en Ethiopie en 1978. Cette option stratégique est bien conforme à la doctrine maoïste de la guerre révolutionnaire [14]. D’après cette doctrine officielle, la Chine devait se garder de toute intervention militaire hors de ses frontières pour soutenir un mouvement de libération nationale. Son effort devait se porter essentiellement sur l’aide (nous le verrons plus loin), la mobilisation politique, les enseignements militaires et l’endoctrinement, comme nous l’avons précédemment évoqué. Pour les Chinois, la guerre contre l’oppression doit être menée et gagnée par les peuples opprimés eux-mêmes. En 1967, le maréchal Lin Piao (1907-1971) dans son traité intitulé « la guerre du peuple » [15] motive, idéologiquement, l’inopportunité des interventions militaires.
Toutefois, il y a eu des transgressions de cette doctrine. C’est dans son contexte régional que la Chine s’est fortement engagée militairement : en Corée (1950-1953) où elle a déployée 3 millions d’hommes et en a perdu 900 000 [16], et au Viêtnam en 1979 pour lutter contre l’influence soviétique. Elle a engagé 450 000 hommes dans cette guerre et en a perdu 60 000.
L’opposition de la Chine aux interventions militaires peut également s’expliquer de façon plus concrète. Ce pays n’avait aucune capacité réelle de projection de forces et de puissance, son armée de l’air était réduite et sa marine quasi inexistante. Déjà lors de l’invasion japonaise en 1937, la Chine n’avait pas le potentiel militaire nécessaire pour opposer une résistance victorieuse à son agresseur. La rupture des relations diplomatiques avec l’Union soviétique en 1960 a stoppé la modernisation de l’Armée populaire de libération (APL) et de l’industrie de défense. Aussi, la Chine, pays sous développé, n’avait pas les ressources pour mener des guerres longues et coûteuses hors de ses frontières avec pour adversaires principaux les États-Unis et l’Union soviétique. On retrouve là le sens de la prudence que Mao Tsé-toung demande : « il ne faut pas se battre si l’issue du combat est incertaine » déclarait-il, ou encore, « nous pouvons accroitre les forces de l’armée rouge en n’engageant le combat que si nous sommes sûrs de remporter la victoire » [17].
C’est en partie à cause de son opposition aux interventions militaires que la Chine n’a pas contribué de façon déterminante à la lutte victorieuse des peuples africains contre la colonisation et l’oppression.
Pendant la Guerre froide la Chine était de loin surclassée par l’Union soviétique, les États-Unis, la France et la Grande Bretagne qui étaient les principaux fournisseurs des armes du continent : elle était classée 13eme en 1971 ; 10eme en 1979 ; 13eme en 1980 ; 9eme en 1982 et 7eme en 1986 [21]. Ce rapport de force défavorable s’explique par l’état embryonnaire de l’industrie de défense chinoise. La Chine en est même arrivée à réexporter certaines armes soviétiques vers l’Afrique. Ces armes étaient sans doute acquises avant la rupture des liens diplomatiques.
Lors de la guerre d’Angola la Chine a envoyé des armes d’une valeur de 1 million au Front national de libération de l’Angola (FNLA) et à l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA) alors que l’aide soviétique était chiffrée à 150 millions de dollars, celle de Cuba à 2 millions et celle des Etats-Unis à 32 millions [22]. En 1964 la Chine et le Ghana avaient signé un accord pour équiper les ʺcombattants de la libertéʺ africains basés au Ghana.
La Tanzanie et le Zaïre étaient les principaux destinataires des armes chinoises. Ils soutenaient également des mouvements de libération nationale. Il est vraisemblable que Pékin soit passé par eux pour les armer. Car ces deux États comptaient plusieurs camps de formation sur leur territoire comme nous le verrons et étaient frontaliers des territoires sous domination à libérer. Les armes chinoises étaient généralement fournies gracieusement aussi bien aux mouvements de libération nationale qu’aux États. Mais il arrivait quelquefois que les armes aient été concédées « dans le cadre de prêts à long terme sans intérêts pour gagner de l’influence comme puissance radicale du Tiers Monde » [23]. Ce n’est qu’à partir des années 1990 qu’on peut véritablement parler de ventes d’armes chinoises à l’Afrique [24].
L’autre volet de l’assistance militaire chinoise était la formation. De nombreux combattants ont été formés en Chine et en Afrique dans les camps par des instructeurs chinois. Jonas Savimbi, fondateur de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA), avait été formé à Nankin entre 1962 et 1964. C’était aussi le cas des combattants de l’Union des Populations du Cameroun (UPC). La Tanzanie Julius Nyerere, qui était une alliée de la Chine dans la sous-région, comptait sur son territoire de nombreux camps d’entrainement du Front de libération du Mozambique (FRELIMO) où enseignaient des instructeurs chinois ; les plus importants étaient celui de Kongwe et de Nachingwea [25]. Le Front national de libération de l’Angola (FNLA) de Roberto Holden avait des camps d’entrainement au Zaïre où intervenaient des instructeurs chinois. Il déclarait : « Toutes mes troupes sont formées par les Chinois. Si je recevais en plus l’aide des Etats-Unis, je serais l’homme politique le plus habile du monde. J’ai beaucoup d’admiration pour les Chinois et leurs réalisations » [26]. Mais à la veille de l’indépendance de l’Angola, la Chine devait rappeler 250 instructeurs qui séjournaient dans les camps du FNLA [27]. Ce désengagement peut être compris comme étant le prélude du reflux de la politique étrangère de la Chine sur le continent africain qu’on constate dans les années 1980 et 1990 [28].
Copyright Juillet 2012-Bouzanda/Diploweb.com
Plus
Voir un article de Xavier Auregan publié sur le Diploweb.com, "La Chine en Côte d’Ivoire : le double jeu" Voir
Voir un article de François Lafargue publié sur le Diploweb.com, "La Chine en Afrique, une réalité à nuancer" Voir
sujets essentiellement contemporains. C’est pourquoi on s’intéresse ici au passé, car il influe sur les prises de décisions du moment et détermine le cours de l’histoire. Lors des différentes rencontres sino-africaines, les dirigeants chinois ne manquent pas d’évoquer le soutien de la Chine aux mouvements de libération nationale (MLN) africains. Ce recours incessant à l’histoire est un stratagème éprouvé [1]. En effet, il permet à la Chine de se situer sur un ʺterrainʺ qui lui est favorable en discréditant implicitement les puissances occidentales, ses principales rivales, et en invitant les Africains à faire montre de gratitude, d’une manière ou d’une autre.
Cet article se propose de (re)visiter cet épisode important des relations sino-africaines en essayant de prendre la mesure exacte de l’engagement chinois dans la lutte de libération des peuples africains. A-t-il été aussi décisif que le laissent entendre les autorités chinoises ?
Fondements idéologiques du soutien chinois
Idéologiquement c’est le léninisme qui a motivé le soutien chinois aux mouvements de libération nationale africains. Pour V. I. Lénine (1870-1924), contrairement à Karl Marx (1818-1883), le système colonial était un sérieux obstacle à la révolution européenne. Tirant les enseignements de la Première Guerre mondiale, il décidait d’intégrer l’Afrique et l’Asie dans la stratégie mondiale du communisme [2]. C’est ainsi que les communistes « …ont admis que la domination mondiale du capital s’effondrera sous les coups conjugués du prolétariat des pays avancés et du mouvement anti-impérialiste des pays coloniaux » [3].Mao Tsé-toung (1893-1976) qui se considérait, sur certains points, l’héritier de Lénine face aux révisionnistes soviétiques, s’était vigoureusement employé à combattre l’impérialisme. Comme Clausewitz, il considère la guerre consubstantielle à la politique : « La politique est une guerre sans effusion de sang et la guerre, une politique avec une effusion de sang » [4]. Cette guerre, il la qualifie de juste et de révolutionnaire, car elle est celle des peuples opprimés contre les Etats capitalistes et impérialistes. « Pékin voulait être à la révolution mondiale de la seconde moitié du siècle ce que Moscou avait été à celle de la première moitié » d’après François Joyaux [5].
Deux types de mouvements de libération nationale ont bénéficié du soutien chinois. Il y avait ceux qui menaient une lutte contre la domination coloniale dans le but d’accéder à la souveraineté. C’est le cas du Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA), de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA), du Front de libération du Mozambique (FRELIMO), du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap vert (PAIGC)... Le second type de mouvement de libération nationale, qui date des années 1960, combattait le néocolonialisme dans les États nouvellement indépendants, c’est le cas de l’Union des populations du Cameroun (UPC), de l’UDFP-sawaba de Djibo Bakary au Niger, les rebelles lumumbistes au Congo belge…
Pour les dirigeants chinois, le Tiers-monde était le cœur de la révolution mondiale. L’épisode de la « Révolution culturelle » est marqué par un durcissement du discours idéologique. Il a été largement diffusé en Afrique. Les ambassades chinoises étaient mobilisées dans cette propagande maoïste. « En profusion et sans discrimination on se met à distribuer des insignes de Mao et des citations de ses œuvres, et on remplit des vitrines entières de photos destinées à promouvoir la révolution de Mao » [6], écrit Barbara Barnouin. Le service de renseignement chinois, le Tewu, a également été actif durant cette période. Ses agents secrets, qui opéraient sous la couverture de journalistes de l’agence de presse Xinhua (Chine nouvelle) [7], étaient également mobilisés dans la promotion internationale du maoïsme. Ils étaient très souvent expulsés à cause de leurs activités subversives, c’était le cas au Kenya en 1965, au Burundi en 1964, en République centrafricaine et au Ghana en 1966 [8].
Enfin, l’idéal tiers-mondiste exprimé lors de la conférence de Bandung (18-25 avril 1955) a également justifié le soutien de la Chine aux mouvements de libération nationale africains. Dans son communiqué final adopté à l’unanimité, la conférence condamnait le colonialisme « sous toutes ses manifestations » ainsi que la ségrégation raciale, et encourageait la coopération [9]. Elle y a été très active pendant les négociations de la conférence. Sa délégation était l’une des plus importantes avec 130 personnes. Chou En-Laï (1898-1976) s’était prononcé pour la libération des territoires sous domination pour les quinze prochaines années. Pékin se voulait clairement être la figure de proue de ce mouvement au détriment de l’Union soviétique qu’elle accusait d’impérialisme. Plus tard, en 1963, lors de la Conférence de Solidarité des Peuples Afro-asiatiques de Moshi (Tanzanie), la Chine renouvelait ses attaques en traitant sa rivale de « blanche » et « d’occidentale » tout en l’accusant de « vouloir maintenir la domination des nations supérieures sur les pays oppressés » [10]. L’argument racial indignait les soviétiques qui déclaraient : « …certains dirigeants nationalistes voudraient diriger le mouvement de solidarité non pas contre l’impérialisme, le colonialisme et ses agents mais contre tous les hommes blancs » [11].
L’approche stratégique
De nombreux travaux sur la politique étrangère de la Chine ont démontré la prééminence de Mao Tsé-toung dans la prise de décision [12]. C’était lui qui prenait les décisions majeures sur le plan intérieur et extérieur : « la Chine maoïste est une dictature ou les institutions politiques sont faibles et où les décisions politiques sont dominées par un système hiérarchisé au sommet duquel se trouve le ʺgrand timonierʺ » [13]. L’outil militaire étant subordonné et consubstantiel à la politique étrangère, il est probable que Mao, qui avait en outre une parfaite connaissance des questions militaires, ait décidé de l’approche stratégie chinoise du soutien aux mouvements de libération nationale.La Chine n’a pas mené d’actions militaires directes sur le continent contrairement à Cuba et à l’Union soviétique : « Opération Carlota » en Angola en 1976 et « Protestation de Baragua » en Ethiopie en 1978. Cette option stratégique est bien conforme à la doctrine maoïste de la guerre révolutionnaire [14]. D’après cette doctrine officielle, la Chine devait se garder de toute intervention militaire hors de ses frontières pour soutenir un mouvement de libération nationale. Son effort devait se porter essentiellement sur l’aide (nous le verrons plus loin), la mobilisation politique, les enseignements militaires et l’endoctrinement, comme nous l’avons précédemment évoqué. Pour les Chinois, la guerre contre l’oppression doit être menée et gagnée par les peuples opprimés eux-mêmes. En 1967, le maréchal Lin Piao (1907-1971) dans son traité intitulé « la guerre du peuple » [15] motive, idéologiquement, l’inopportunité des interventions militaires.
Toutefois, il y a eu des transgressions de cette doctrine. C’est dans son contexte régional que la Chine s’est fortement engagée militairement : en Corée (1950-1953) où elle a déployée 3 millions d’hommes et en a perdu 900 000 [16], et au Viêtnam en 1979 pour lutter contre l’influence soviétique. Elle a engagé 450 000 hommes dans cette guerre et en a perdu 60 000.
L’opposition de la Chine aux interventions militaires peut également s’expliquer de façon plus concrète. Ce pays n’avait aucune capacité réelle de projection de forces et de puissance, son armée de l’air était réduite et sa marine quasi inexistante. Déjà lors de l’invasion japonaise en 1937, la Chine n’avait pas le potentiel militaire nécessaire pour opposer une résistance victorieuse à son agresseur. La rupture des relations diplomatiques avec l’Union soviétique en 1960 a stoppé la modernisation de l’Armée populaire de libération (APL) et de l’industrie de défense. Aussi, la Chine, pays sous développé, n’avait pas les ressources pour mener des guerres longues et coûteuses hors de ses frontières avec pour adversaires principaux les États-Unis et l’Union soviétique. On retrouve là le sens de la prudence que Mao Tsé-toung demande : « il ne faut pas se battre si l’issue du combat est incertaine » déclarait-il, ou encore, « nous pouvons accroitre les forces de l’armée rouge en n’engageant le combat que si nous sommes sûrs de remporter la victoire » [17].
C’est en partie à cause de son opposition aux interventions militaires que la Chine n’a pas contribué de façon déterminante à la lutte victorieuse des peuples africains contre la colonisation et l’oppression.
L’assistance militaire : transferts des armes et formation
L’armement des mouvements de libération était l’une des préoccupations majeures des dirigeants chinois. Mao déclarait à ce propos : « Nous ne devons pas nous contenter d’être le centre de la révolution mondiale, nous devons en devenir aussi le centre militairement et technologiquement. Nous devons armer les autres avec les armes chinoises, où sera gravé notre nom. Nous devons devenir l’arsenal de la révolution mondiale » [18]. Mais cette volonté aussi forte soit-elle ne s’est pas traduit dans le volume des armes exportées vers l’Afrique. Seulement 2% des armes conventionnelles exportées vers le Tiers-monde étaient chinoises [19]. Il faut rappeler ici que la part de l’Afrique dans les exportations des armes vers le Tiers-monde était insignifiante. « Les pays du Moyen-Orient viennent en tête des acheteurs d’armes. A eux seuls, ils ont absorbé 35,6% de ces exportations. Ils sont suivis par l’Extrême-Orient 35,6%, le sous-continent indien 29,7%, l’Amérique latine 12,5% et l’Afrique 8,8% » [20].Pendant la Guerre froide la Chine était de loin surclassée par l’Union soviétique, les États-Unis, la France et la Grande Bretagne qui étaient les principaux fournisseurs des armes du continent : elle était classée 13eme en 1971 ; 10eme en 1979 ; 13eme en 1980 ; 9eme en 1982 et 7eme en 1986 [21]. Ce rapport de force défavorable s’explique par l’état embryonnaire de l’industrie de défense chinoise. La Chine en est même arrivée à réexporter certaines armes soviétiques vers l’Afrique. Ces armes étaient sans doute acquises avant la rupture des liens diplomatiques.
Lors de la guerre d’Angola la Chine a envoyé des armes d’une valeur de 1 million au Front national de libération de l’Angola (FNLA) et à l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA) alors que l’aide soviétique était chiffrée à 150 millions de dollars, celle de Cuba à 2 millions et celle des Etats-Unis à 32 millions [22]. En 1964 la Chine et le Ghana avaient signé un accord pour équiper les ʺcombattants de la libertéʺ africains basés au Ghana.
La Tanzanie et le Zaïre étaient les principaux destinataires des armes chinoises. Ils soutenaient également des mouvements de libération nationale. Il est vraisemblable que Pékin soit passé par eux pour les armer. Car ces deux États comptaient plusieurs camps de formation sur leur territoire comme nous le verrons et étaient frontaliers des territoires sous domination à libérer. Les armes chinoises étaient généralement fournies gracieusement aussi bien aux mouvements de libération nationale qu’aux États. Mais il arrivait quelquefois que les armes aient été concédées « dans le cadre de prêts à long terme sans intérêts pour gagner de l’influence comme puissance radicale du Tiers Monde » [23]. Ce n’est qu’à partir des années 1990 qu’on peut véritablement parler de ventes d’armes chinoises à l’Afrique [24].
L’autre volet de l’assistance militaire chinoise était la formation. De nombreux combattants ont été formés en Chine et en Afrique dans les camps par des instructeurs chinois. Jonas Savimbi, fondateur de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA), avait été formé à Nankin entre 1962 et 1964. C’était aussi le cas des combattants de l’Union des Populations du Cameroun (UPC). La Tanzanie Julius Nyerere, qui était une alliée de la Chine dans la sous-région, comptait sur son territoire de nombreux camps d’entrainement du Front de libération du Mozambique (FRELIMO) où enseignaient des instructeurs chinois ; les plus importants étaient celui de Kongwe et de Nachingwea [25]. Le Front national de libération de l’Angola (FNLA) de Roberto Holden avait des camps d’entrainement au Zaïre où intervenaient des instructeurs chinois. Il déclarait : « Toutes mes troupes sont formées par les Chinois. Si je recevais en plus l’aide des Etats-Unis, je serais l’homme politique le plus habile du monde. J’ai beaucoup d’admiration pour les Chinois et leurs réalisations » [26]. Mais à la veille de l’indépendance de l’Angola, la Chine devait rappeler 250 instructeurs qui séjournaient dans les camps du FNLA [27]. Ce désengagement peut être compris comme étant le prélude du reflux de la politique étrangère de la Chine sur le continent africain qu’on constate dans les années 1980 et 1990 [28].
Copyright Juillet 2012-Bouzanda/Diploweb.com
Plus
Voir un article de Xavier Auregan publié sur le Diploweb.com, "La Chine en Côte d’Ivoire : le double jeu" Voir
Voir un article de François Lafargue publié sur le Diploweb.com, "La Chine en Afrique, une réalité à nuancer" Voir
[1] Les 36 stratagèmes : traité secret de stratégie chinoise, traduits et commentés par KIRCHER François, Paris, Editions du Rocher, 2001, p. 50.
[2] LENINE, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Moscou, 2ditions du Progrès, 1967, 173 p.
[3] DUROSELLE Jean-Baptiste, MEYRIAT Jean (dir.), Les nouveaux Etats dans les relations internationales, Paris, Armand Colin, 1962, p. 17.
[4] Cité par GOLFIN Jean, La pensée de Mao Tsé-toung, Paris, Privat, 1971, p. 72.
[5] JOYAUX François, Les tentations impériales : politique extérieure de la Chine depuis 1949, Paris, Imprimerie nationale, 1994, p. 81.
[6] BARNOUIN Barbara, « Le processus de décision en politique étrangère dans la Chine de Mao Zedong », Relations internationales, 1996, n°85, p.70.
[7] FALIGOT Roger, Les services secrets chinois de Mao au JO, Paris, Nouveau monde, 2010, p.105.
[8] BURIAY Colette, La pénétration chinoise en Afrique, Mémoire de DES de Science politique, Université Paris I, 1973, 120 p.
[9] BRAILLARD Philippe et MOHAMMAD-REZA Djalili, Tiers-Monde et relations internationales, Paris, Masson, p. 69-76.
[10] LAÏDI Zaki, « Les grandes puissances et l’Afrique », Cahiers CHEAM, n°7, septembre 1979, p. 24.
[11] Ibid., p.25.
[12] QI Jianhua, La prise de décision en politique étrangère de la Chine, Université Paris XI-Jean Monnet, 2004, 345 p. ou encore SCHICHAN François, « Qui dirige la politique étrangère chinoise ? », China Analysis, n°26, 2009, pp.25-28.
[13] BARNOUIN B., Ibid., p. 63.
[14] POWELL Ralph L., « Les doctrines militaires maoïstes », in, Mao Tsé-toung, Paris, L’Herne, 1972, pp. 218-227.
[15] BOURGEOIS-GERMAIN Frédérique, La guerre du peuple selon Lin Piao : essai sur la carrière militaire de Lin Piao jusqu’en 1959, suivi d’une courte présentation et d’une analyse de l’article de Lin Piao intitulé ʺVive la victorieuse guerre du peupleʺ, Bruxelles, Bourgeois-Germain, 324p.
[16] SOUTY Patrick, La guerre de Corée : 1950-1953, Presse universitaire de Lyon, 2002, p.209.
[17] Cité par NIQUET Valérie, Les fondements de la stratégie chinoise, Paris, Economica, 1997, p. 48.
[18] JUNG Chang et HALLIDAY Jon, Mao, l’histoire inconnue, Paris Gallimard, 2006, p. 630.
[19] SADA Hugo, Les armes du Tiers-monde, Mémoire de DES de Sciences politiques, Université Paris I, 1976, p.47.
[20] SIPRI, Le commerce des armes avec le tiers-monde et ses conséquences économiques, Stockholm, 1976, p.189.
[21] VIAUD Pierre, LESTAPIS (de) Philippe, Afrique, les souverainetés en armes, Paris, FEDN, n°16, 1987, 234p.
[22] Jeune Afrique, n°784, 16 janvier 1987, p.17.
[23] KAMAL Nazir, « La politique d’exportation d’armes de la Chine et ses réponses aux restrictions multilatérales », in Géopolitique militaire et commerce des armes dans le Sud, Bruxelles, L’Harmattan, 1998, p.81.
[24] BOUZANDA Diassonama Kiessé, Dimension militaire de la présence chinoise en Afrique noire. Contribution à l’étude de l’outil militaire dans la politique étrangère des États, Thèse de doctorat de Sciences politiques, Université Jean Moulin Lyon 3, 2012, p.81.
[25] ZIEGLER Jean, Contre l’ordre du monde, les rebelles, Paris, Seuil, 1983, p.333.
[26] Le Monde, 6 juin 1975.
[27] DJILKS Patrick, « Les ventes d’armes en Afrique », Problèmes politiques et sociaux, Février 1981, n°408, p.21.
[28] RICHER Philippe, L’offensive chinoise en Afrique, Paris, Karthala, 2008, 164p.
[2] LENINE, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Moscou, 2ditions du Progrès, 1967, 173 p.
[3] DUROSELLE Jean-Baptiste, MEYRIAT Jean (dir.), Les nouveaux Etats dans les relations internationales, Paris, Armand Colin, 1962, p. 17.
[4] Cité par GOLFIN Jean, La pensée de Mao Tsé-toung, Paris, Privat, 1971, p. 72.
[5] JOYAUX François, Les tentations impériales : politique extérieure de la Chine depuis 1949, Paris, Imprimerie nationale, 1994, p. 81.
[6] BARNOUIN Barbara, « Le processus de décision en politique étrangère dans la Chine de Mao Zedong », Relations internationales, 1996, n°85, p.70.
[7] FALIGOT Roger, Les services secrets chinois de Mao au JO, Paris, Nouveau monde, 2010, p.105.
[8] BURIAY Colette, La pénétration chinoise en Afrique, Mémoire de DES de Science politique, Université Paris I, 1973, 120 p.
[9] BRAILLARD Philippe et MOHAMMAD-REZA Djalili, Tiers-Monde et relations internationales, Paris, Masson, p. 69-76.
[10] LAÏDI Zaki, « Les grandes puissances et l’Afrique », Cahiers CHEAM, n°7, septembre 1979, p. 24.
[11] Ibid., p.25.
[12] QI Jianhua, La prise de décision en politique étrangère de la Chine, Université Paris XI-Jean Monnet, 2004, 345 p. ou encore SCHICHAN François, « Qui dirige la politique étrangère chinoise ? », China Analysis, n°26, 2009, pp.25-28.
[13] BARNOUIN B., Ibid., p. 63.
[14] POWELL Ralph L., « Les doctrines militaires maoïstes », in, Mao Tsé-toung, Paris, L’Herne, 1972, pp. 218-227.
[15] BOURGEOIS-GERMAIN Frédérique, La guerre du peuple selon Lin Piao : essai sur la carrière militaire de Lin Piao jusqu’en 1959, suivi d’une courte présentation et d’une analyse de l’article de Lin Piao intitulé ʺVive la victorieuse guerre du peupleʺ, Bruxelles, Bourgeois-Germain, 324p.
[16] SOUTY Patrick, La guerre de Corée : 1950-1953, Presse universitaire de Lyon, 2002, p.209.
[17] Cité par NIQUET Valérie, Les fondements de la stratégie chinoise, Paris, Economica, 1997, p. 48.
[18] JUNG Chang et HALLIDAY Jon, Mao, l’histoire inconnue, Paris Gallimard, 2006, p. 630.
[19] SADA Hugo, Les armes du Tiers-monde, Mémoire de DES de Sciences politiques, Université Paris I, 1976, p.47.
[20] SIPRI, Le commerce des armes avec le tiers-monde et ses conséquences économiques, Stockholm, 1976, p.189.
[21] VIAUD Pierre, LESTAPIS (de) Philippe, Afrique, les souverainetés en armes, Paris, FEDN, n°16, 1987, 234p.
[22] Jeune Afrique, n°784, 16 janvier 1987, p.17.
[23] KAMAL Nazir, « La politique d’exportation d’armes de la Chine et ses réponses aux restrictions multilatérales », in Géopolitique militaire et commerce des armes dans le Sud, Bruxelles, L’Harmattan, 1998, p.81.
[24] BOUZANDA Diassonama Kiessé, Dimension militaire de la présence chinoise en Afrique noire. Contribution à l’étude de l’outil militaire dans la politique étrangère des États, Thèse de doctorat de Sciences politiques, Université Jean Moulin Lyon 3, 2012, p.81.
[25] ZIEGLER Jean, Contre l’ordre du monde, les rebelles, Paris, Seuil, 1983, p.333.
[26] Le Monde, 6 juin 1975.
[27] DJILKS Patrick, « Les ventes d’armes en Afrique », Problèmes politiques et sociaux, Février 1981, n°408, p.21.
[28] RICHER Philippe, L’offensive chinoise en Afrique, Paris, Karthala, 2008, 164p.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire