CHINE AFRIQUE

POUR DES RELATIONS RESPECTUEUSES, AMICALES, FRANCHES ET FRATERNELLES

lundi 23 juillet 2012

Chine-Afrique : entre rêves et réalités

Chine-Afrique : entre rêves et réalités

Chine-Afrique : entre rêves et réalités


Prologue: ce texte est dédié à Madior Fall, journaliste, homme généreux et patriote, trop tôt parti...
Sans que l'information ait été donnée à l'avance, la date du Forum Chine-Afrique, dont l'agenda se trouve contrôlé par les Chinois, est donc arrivée brutalement. Il s'ouvre demain à Pékin. Sous la présidence du chef de l'Etat sortant de la Chine, Hu Jintao, ce rendez-vous draine vers la grande capitale quelques chefs d'Etat africains, des dizaines de ministres et d'opérateurs économiques africains. Devant leurs hôtes locaux, l'ambiance ne sera pas aux questions. Lisse, elle sera celle de la fête d'une amitié que les Chinois aiment présenter comme solide sous «tous les temps». On ne peut même pas y voir une quelconque forme de révisionnisme. Tant l'historiographie des relations entre la Chine et le continent est riche de ces moments et actes où les tensions sont bannies. Cette orientation optimiste, on la doit aux Chinois. Rappelant à souhait que leurs liens avec l'Afrique remontent à plus de deux mille ans, depuis que Cléopâtre, la reine égyptienne, portait de la soie chinoise venant de leur pays, ils se plaisent souvent à dire que les expéditions maritimes, au XVe siècle, de leur célèbre Amiral, Zheng He, n'avaient jamais violenté les terres africaines. Menées bien avant celles de Christophe Colomb ou de quelque autre navigateur occidental, elles n'avaient pas que percé les mystères des côtes africaines.
A la différence de celles des Européens, plus tard, qui ont débouché sur l'esclavage au XVIIe siècle, puis sur la colonisation du continent, au XIXe siècle, les expéditions maritimes chinoises ont été l'occasion de rencontres et d'échanges pacifiques. Ce récit, exposition sélective, fait par les Chinois, met en avant leur approche amicale, en apparence, des relations internationales. Elle est toujours en bandoulière aujourd'hui, la naissance de la République populaire de Chine (Rpc), le 1er Octobre 1949, n'ayant fait que la renforcer en direction du continent. Le pouvoir doux chinois qui s'exprime dans le lexique de leur coopération avec l'Afrique se démarque ainsi du discours souvent directif de l'Occident qui, lui, est rythmé par les exigences de politiques d'ajustement structurels, les normes de gouvernance imposées ou encore les conditionnalités politiques, économiques voire environnementales ou sociales. Célébrer le climat agréable qui baigne les rencontres sino-africaines devient donc une tentation forte. Il ne sera pas absent au 5e Forum ministériel sino-africain sous l'égide du Focac, le Forum de coopération Chine-Afrique. Sous les lambris des grands bâtiments incarnant physiquement le pouvoir chinois, la rencontre va encore une fois saluer les progrès enregistrés, au plan économique, par la coopération sino-africaine, et, d'abord, par la Chine elle-même, surtout depuis le début de ses réformes économiques, il y a trente-deux ans.
La Chine pèse sur la marche de l'Afrique. Elle est devenue son premier partenaire commercial avec 126 milliards de dollars d'échanges par an. Son rôle décisif dans la construction d'infrastructures routières, ferroviaires, aéroportuaires ou administratives s'affirme aussi tandis que, grâce à elle, les matières premières africaines ont pris de la valeur. Il y a donc quelque raison à sombrer dans l'univers des rêves pour tous ces Africains qui prennent part au Forum de Pékin. Ils ne sont pas les seuls. Depuis des années, dans la perspective de sa tenue, des rencontres économiques, des séances de formation, des débats sur la Chine-Afrique attirent, par milliers, des Africains vers les villes chinoises. Intellectuels, opérateurs économiques, fonctionnaires, étudiants, femmes, jeunes etc, aucune grappe de la société africaine n'échappe à ce tsunami.
Le rêve est exprimé à haute voix. Comme la semaine dernière où, prenant part aux Assemblées générales de la Banque africaine d'import-export, tenues à Pékin, en partenariat avec la Banque chinoise d'import-export, la plus liquide au monde et surtout qui est le pivot des investissements chinois sur le continent, j'ai pu entendre une flopée d'acteurs africains rêvant de voir la Chine dévier vers l'Afrique, par le canal de leurs institutions financières, les milliers de milliards de dollars de réserves extérieures qu'elle a pu accumuler grâce à une politique d'exportation dynamique et d'épargne vertueuse. Dans leurs élans, rêvant avec gourmandise de prendre leur part du gâteau chinois, certains d'entre eux s'imaginent déjà que le développement de l'Afrique a maintenant trouvé le levier qui lui manquait. Ils l'imaginent en mandarin. Il sera chinois, pensent-ils.
Or, la Chine est une puissance impériale. Son ambition est d'abord au service de ses propres intérêts. Quand les Africains s'enthousiasment de la puissance chinoise, en reprenant à leur compte la thèse qui en fait l'économie la plus forte du monde dans moins de deux décennies, en se pâmant devant les voitures qui ont remplacé par millions les vélos de naguère dans les rues chinoises, et en se félicitant des malheurs actuels de l'Occident, ils en arrivent à oublier ce que l'un des sobres intervenants chinois, un ministre adjoint des Affaires étrangères, a rappelé, pendant la conférence des banques d'import-export. «L'Afrique, a-t-il dit, devra compter sur ses forces pour faire son propre développement».
Rêver de voir la Chine se substituer au devoir des Africains de surmonter leurs défis, c'est faire l'impasse sur ceux qui interpellent la Chine, elle-même. En vrac, on peut relever, d'abord, que des centaines de millions de Chinois continuent de vivre dans une pauvreté abjecte. Les bas salaires ne suffisent plus aux ouvriers des grandes conurbations de l'Est du pays où la prospérité devient inégalement répartie. Des milliers de revendications sociales se produisent dans les villes et villages de la Chine chaque année. Dans ses provinces de l'Ouest, secouées par des menées irrédentistes, et toujours pauvres, elle doit faire face à des problèmes affectant la stabilité de son intégrité physique. Ceci intervient alors qu'une transition politique, à la tête du pays, toujours délicate, est  en cours, cette année, et que la compression de la demande des pays Occidentaux affecte l'économie chinoise dont le taux de croissance, situé à moins de 8 pour cent, est le plus bas depuis des années.
Certains en arrivent à prédire un atterrissage brutal de l'avion chinois... Les turbulences sont nombreuses. N'oublions pas qu'elles sont amplifiées par le redéploiement américain en Asie qui est directement destiné à contenir la montée en puissance de la Chine. Les polémologues n'hésitent pas à rappeler que l'avenir de cette Asie pourrait être le passé de l'Europe, celle des guerres ayant traumatisé le vieux continent au siècle dernier. Déjà, en son sein, l'observateur attentif ne peut manquer de noter les conflits et rivalités sous-jacents qui vont déterminer si elle deviendra ou non une région démocratisée, selon la version indienne et américaine, ou si elle va suivre les voies du modèle de développement autoritaire ayant réussi jusqu'à présent à des pays comme la Chine, Singapour, et, hier, Taiwan, la Corée du Sud pour ne citer que ceux-là. Dans ce contexte, et malgré les immenses perspectives qu'offre la coopération sino-africaine, l'exigence d'une approche sereine, transparente et ouverte pour déterminer les bases de la relation avec Pékin s'impose à l'Afrique. La réalité doit maintenant prendre le dessus sur les rêves, sur l'onirisme.
Le nouveau leadership de l'Union africaine devrait être l'instance la mieux indiquée pour ouvrir un chantier aussi urgent. Pour d'abord définir des règles à suivre par tous. Cette réponse collective africaine listerait les normes de la coopération. Son premier objectif devrait être d'encadrer les acteurs africains, véritables adeptes du capitalisme oligarchique, qui tapent aux portes de Pékin en lui offrant la possibilité de tout faire en Afrique. Brider leurs ambitions est une exigence. Parce qu'ils ne sont rien d'autre que les versions modernes des «collabos» d'antan ayant facilité l'esclavage et le colonialisme en Afrique. Exiger que l'agenda sino-africain ne soit pas dirigé et contrôlé par Pékin, insister sur le juste partage des revenus dans les business des firmes chinoises en Afrique, revendiquer la fin des comportements frisant le racisme de la part de certains opérateurs chinois, militer pour un vrai transfert de technologies et l'emploi des Africains sur les sites chinois, réduire les investissements liés à l'achat de produits chinois ou encore, d'abord, se dire que les ressources financières pour le développement de l'Afrique seront endogènes, clarifier les termes des contrats, sous forme de troc, qui met en hypothèque les ressources naturelles des pays africains contre des financements chinois, sont autant d'aspects à intégrer dans le dialogue franc, mais amical, que l'Afrique doit avoir avec la Chine. La première étape est de mettre fin aux cachotteries qui englobent le cadre des rencontres sino-africaines. Sans cela, impossible de pouvoir en faire autant avec les «deals» souterrains, accords secrets de défense et coups de pouces aux firmes occidentales, qui reviennent en force maintenant, dans un regain de néo-colonialisme, au détriment des intérêts essentiels du continent.
Parce que j'ai toujours été un adepte du rapprochement sino-africain, parce que je pense que l'Afrique a beaucoup à apprendre de la Chine, notamment son redressement spectaculaire et son indépendance toute patriotique, je suis aussi à l'aise pour mettre en garde contre la prostitution de certains acteurs africains, publics et privés de haut rang, qui risquent de détruire les atouts dont dispose le continent au moment où il n'a jamais été en aussi bonne posture pour négocier avec la Chine, pas seulement parce que celle-ci a besoin de ses ressources naturelles, de son marché et de ses voix politiques. Il faut briser les percées solitaires de ces acteurs qui prétendent parler au nom de l'Afrique. Souvent, ils n'agissent que pour leurs intérêts personnels ou privés, par la privatisation du secteur public ou privé africain, si besoin. Ce sont des prostitués. Mais qui peut refréner les ardeurs d'une personne prête à vendre son âme pour des peccadilles ?
La vraie alternative consiste à se poser avantageusement en diagnostiquant les avantages et inconvénients portés par les discours durs et doux de l'Occident et de la Chine (incarnant ici l'Asie), ayant les mêmes ambitions de pouvoir, pour définir une voie africaine du développement. Loin des cycles de rêves et réalités nourris par des attentes exogènes, sources des réveils douloureux si habituels sur ce continent ! Un débat en plein jour s'impose que ni la raison d'Etat ni les secrets des négociations entre entreprises privées ne doivent empêcher si l'Afrique veut être véritablement gagnante dans sa relation avec ce grand pays, à l'histoire multimillénaire, que reste la Chine.
Adama GAYE
Journaliste sénégalais vient de compléter une étude sur la diplomatie pétrolière de la Chine en Afrique.
adamagaye@hotmail.com Cette adresse e-mail est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.

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