Dr. Stéphane Ngwanza : « L’Afrique doit s’unir pour mieux profiter de la Chine »
Les explications du docteur en sciences politiques, géostratège et enseignant à l’Iric.
Quel regard portez-vous sur les relations entre la Chine et l'Afrique aujourd'hui?
A travers une ouverture plus grande en direction des autres acteurs du système international, la Chine assure sa modernisation depuis près de deux décennies en s’appuyant sur une croissance économique très forte. Pour faire face aux besoins inhérents à cette croissance, Pékin a formaté son outil diplomatique à la dimension des opportunités offertes par la fin de la guerre froide parmi lesquelles l’ouverture des marchés consécutive à la globalisation des échanges. C’est dans ce contexte que la Chine et l'Afrique ont inauguré une nouvelle ère dans leurs relations et se sont engagés dans un type nouveau de partenariat stratégique. Sans passé colonial en Afrique et après d'âpres luttes pour organiser son autodétermination, s'étant engagée dans une expérience singulière et réussie de développement, la Chine marque de plus en plus sur tous les plans sa présence sur le continent africain. Se démarquant alors des modèles colonialistes, la Chine a érigé l’Afrique en acteur de premier plan dans la construction d’un nouvel ordre mondial dans lequel la relation sino-africaine serait synonyme de progrès mutuel.
On a souvent reproché à l'Occident le manque d'équité dans les relations avec l'Afrique. Pour ce qui est de la coopération chinoise, est-elle une médaille sans revers?
La coopération s’entend d’une situation dans laquelle deux ou plusieurs acteurs dialoguent, échangent et construisent une œuvre commune qui leur profite. La Chine a dit vouloir fonder son partenariat avec l’Afrique sur « l'égalité et la confiance réciproque sur le plan politique, la coopération conduite dans l'esprit gagnant-gagnant sur le plan économique et le renforcement des échanges sur le plan culturel ». Naturellement cette déclaration de bonnes intentions a suscité des interrogations dans plusieurs milieux africains. Si certains cercles ont d’emblée affiché leur optimisme en présentant le nouveau partenariat sino-africain comme la dernière chance de l’Afrique pour sortir de son sous-développement chronique, d’autres n’ont pas manqué d’y voir l’expression d’une réprimarisation ou d’une nouvelle aventure coloniale dont l’Afrique sortirait probablement meurtrie. Nous pensons que la posture de la Chine s’inscrit dans une perspective dynamique de renouveau de sa politique africaine, qui a toujours fait du continent un maillon clé de son rayonnement diplomatique. Aussi, le « nouvel engagement » de Pékin nous semble-t-il orienté vers un double but : faire de la Chine un Etat fort et prospère, en s’appuyant sur le continent africain désormais élevé en espace d’expansion stratégique d’une part, et offrir à l’Afrique une voie alternative pour son développement dans le cadre d’un partenariat décomplexé, d’autre part.
Cela dit, il convient de relever qu’au niveau de leur structure, les relations économiques sino-africaines s’apparentent au commerce Nord-Sud et par conséquent pourraient constituer un handicap pour l’Afrique. Concrètement, l’Afrique est cantonnée quasi exclusivement dans un rôle de fournisseur de matières premières (pétrole, minerais, bois, coton, etc.), ce qui a pour effet de renforcer sa place défavorable dans la division internationale du travail. En outre, l’importation massive de produits chinois pourrait constituer une menace pour l’industrie locale naissante, notamment dans le textile, et ce malgré les tarifs préférentiels accordés par la Chine. Enfin, si les recettes budgétaires des gouvernements peuvent se trouver augmentées grâce aux exportations vers la Chine, se pose la question de leur répartition (pour quelle usage/redistribution ?) et de la durée (combien de temps cela va durer étant donné que les ressources exportées sont pour une bonne part non renouvelables ?)
Vu sous cet angle, l'Afrique pourra-t-elle à court ou long terme se passer de l'aide comme l'on souhaité les pères fondateurs de l'UA?
Entre 1970 et 1998, quand le flux d'aide était à son maximum, le taux de pauvreté en Afrique s'est accru de façon stupéfiante : il est passé de 11% à 66%. Selon la Zambienne Dambisa Moyo, auteur d’un ouvrage assez critique sur l’aide, les Africains sont pauvres précisément à cause de l’assistance. Si l’on peut déplorer les dérives de l’aide, il convient néanmoins d’éviter une position tranchée. A notre avis, l’aide en direction de l’Afrique demeure nécessaire mais doit être entièrement repensée et sortir progressivement de l’approche compassionnelle qui l’a jusqu’à présent caractérisée. Il est impératif qu’elle s’oriente davantage vers des domaines qui participent à la création de la richesse et à la réduction de la fracture cognitive que connaît l’Afrique, tout en compensant évidemment son retard infrastructurel. En outre, elle devrait faire l’objet d’une évaluation régulière.
Quel intérêt tire la Chine de ce partenariat?
Le continent africain présente des opportunités certaines pour plusieurs aspects de la politique extérieure chinoise : la sécurisation durable de l’accès aux matières premières indispensables à sa croissance (Pékin estime par exemple sa consommation de pétrole à 450 millions de tonnes en 2020, dont 60 % proviendraient d’importations, puisque la Chine ne recèle que 2.3 % des ressources mondiales de pétrole et 1 % de celles de gaz); des essais pour étendre à des produits à plus forte valeur ajoutée la politique de « dépasser les frontières », dévolue par le gouvernement chinois aux multinationales naissantes ; des appuis diplomatiques au sein des instances internationales contribuant à asseoir le rang international de Pékin. Par ailleurs, la Chine trouve en Afrique des débouchés dans les secteurs des travaux publics, des télécommunications ou du textile.
Comment envisagez-vous l'avenir de ces relations et quel serait l'idéal selon vous?
Il faut, avant toute chose, souligner que de nombreux pays africains ont pu tirer profit de l’engagement significatif et croissant de Pékin au travers d’un accroissement du volume des exportations vers la Chine, d’une augmentation des recettes commerciales et de nouvelles opportunités d'investissement dans les secteurs liés aux infrastructures. Nonobstant leur accroissement, les activités économiques chinoises en Afrique restent néanmoins déséquilibrées en raison de la forte concentration des structures commerciales et des flux d'investissement chinois. En l’occurrence, 70% des exportations de l'Afrique vers la Chine sont dominées par les matières premières - le pétrole, le cuivre, le cobalt et le coton - et proviennent de pays riches en ressources minières. Aucune coopération n'étant a priori avantageuse ou désavantageuse, tout dépend des ambitions de chacun des acteurs, des moyens qu'il met en œuvre pour atteindre ses objectifs et surtout de sa capacité à concevoir et à mener une stratégie efficace dans les négociations. Pour l'Afrique, il conviendrait à l’avenir de se mettre en ordre de bataille pour présenter une stratégie d'ensemble au partenaire chinois. C'est par la force de ses propositions politiques, économiques, sociales et sécuritaires qu'elle sera à même de tirer le plus grand profit du partenariat « gagnant-gagnant »' proposé par la Chine. Ce partenariat pourrait constituer pour l'Afrique une occasion historique d'évaluer et de décider de la nouvelle orientation de ses relations avec les partenaires extérieurs au développement. Dans cette perspective, l'un des viatiques les plus sûrs pourrait sans doute venir de son nouveau contact avec l'Empire du Milieu qui, après plusieurs siècles d'occupation coloniale, semble avoir définitivement tourné le dos à l'idéologie qui a toujours nourri sa politique extérieure au profit du réalisme et du pragmatisme qui sont les nouveaux paradigmes de la diplomatie chinoise à l'échelle mondiale.
Dr. Stéphane Ngwanza : « La Chine offre à l’Afrique une voie alternative pour son développement dans le cadre d’un partenariat décomplexé ».
Quel regard portez-vous sur les relations entre la Chine et l'Afrique aujourd'hui?
A travers une ouverture plus grande en direction des autres acteurs du système international, la Chine assure sa modernisation depuis près de deux décennies en s’appuyant sur une croissance économique très forte. Pour faire face aux besoins inhérents à cette croissance, Pékin a formaté son outil diplomatique à la dimension des opportunités offertes par la fin de la guerre froide parmi lesquelles l’ouverture des marchés consécutive à la globalisation des échanges. C’est dans ce contexte que la Chine et l'Afrique ont inauguré une nouvelle ère dans leurs relations et se sont engagés dans un type nouveau de partenariat stratégique. Sans passé colonial en Afrique et après d'âpres luttes pour organiser son autodétermination, s'étant engagée dans une expérience singulière et réussie de développement, la Chine marque de plus en plus sur tous les plans sa présence sur le continent africain. Se démarquant alors des modèles colonialistes, la Chine a érigé l’Afrique en acteur de premier plan dans la construction d’un nouvel ordre mondial dans lequel la relation sino-africaine serait synonyme de progrès mutuel.
On a souvent reproché à l'Occident le manque d'équité dans les relations avec l'Afrique. Pour ce qui est de la coopération chinoise, est-elle une médaille sans revers?
La coopération s’entend d’une situation dans laquelle deux ou plusieurs acteurs dialoguent, échangent et construisent une œuvre commune qui leur profite. La Chine a dit vouloir fonder son partenariat avec l’Afrique sur « l'égalité et la confiance réciproque sur le plan politique, la coopération conduite dans l'esprit gagnant-gagnant sur le plan économique et le renforcement des échanges sur le plan culturel ». Naturellement cette déclaration de bonnes intentions a suscité des interrogations dans plusieurs milieux africains. Si certains cercles ont d’emblée affiché leur optimisme en présentant le nouveau partenariat sino-africain comme la dernière chance de l’Afrique pour sortir de son sous-développement chronique, d’autres n’ont pas manqué d’y voir l’expression d’une réprimarisation ou d’une nouvelle aventure coloniale dont l’Afrique sortirait probablement meurtrie. Nous pensons que la posture de la Chine s’inscrit dans une perspective dynamique de renouveau de sa politique africaine, qui a toujours fait du continent un maillon clé de son rayonnement diplomatique. Aussi, le « nouvel engagement » de Pékin nous semble-t-il orienté vers un double but : faire de la Chine un Etat fort et prospère, en s’appuyant sur le continent africain désormais élevé en espace d’expansion stratégique d’une part, et offrir à l’Afrique une voie alternative pour son développement dans le cadre d’un partenariat décomplexé, d’autre part.
Cela dit, il convient de relever qu’au niveau de leur structure, les relations économiques sino-africaines s’apparentent au commerce Nord-Sud et par conséquent pourraient constituer un handicap pour l’Afrique. Concrètement, l’Afrique est cantonnée quasi exclusivement dans un rôle de fournisseur de matières premières (pétrole, minerais, bois, coton, etc.), ce qui a pour effet de renforcer sa place défavorable dans la division internationale du travail. En outre, l’importation massive de produits chinois pourrait constituer une menace pour l’industrie locale naissante, notamment dans le textile, et ce malgré les tarifs préférentiels accordés par la Chine. Enfin, si les recettes budgétaires des gouvernements peuvent se trouver augmentées grâce aux exportations vers la Chine, se pose la question de leur répartition (pour quelle usage/redistribution ?) et de la durée (combien de temps cela va durer étant donné que les ressources exportées sont pour une bonne part non renouvelables ?)
Vu sous cet angle, l'Afrique pourra-t-elle à court ou long terme se passer de l'aide comme l'on souhaité les pères fondateurs de l'UA?
Entre 1970 et 1998, quand le flux d'aide était à son maximum, le taux de pauvreté en Afrique s'est accru de façon stupéfiante : il est passé de 11% à 66%. Selon la Zambienne Dambisa Moyo, auteur d’un ouvrage assez critique sur l’aide, les Africains sont pauvres précisément à cause de l’assistance. Si l’on peut déplorer les dérives de l’aide, il convient néanmoins d’éviter une position tranchée. A notre avis, l’aide en direction de l’Afrique demeure nécessaire mais doit être entièrement repensée et sortir progressivement de l’approche compassionnelle qui l’a jusqu’à présent caractérisée. Il est impératif qu’elle s’oriente davantage vers des domaines qui participent à la création de la richesse et à la réduction de la fracture cognitive que connaît l’Afrique, tout en compensant évidemment son retard infrastructurel. En outre, elle devrait faire l’objet d’une évaluation régulière.
Quel intérêt tire la Chine de ce partenariat?
Le continent africain présente des opportunités certaines pour plusieurs aspects de la politique extérieure chinoise : la sécurisation durable de l’accès aux matières premières indispensables à sa croissance (Pékin estime par exemple sa consommation de pétrole à 450 millions de tonnes en 2020, dont 60 % proviendraient d’importations, puisque la Chine ne recèle que 2.3 % des ressources mondiales de pétrole et 1 % de celles de gaz); des essais pour étendre à des produits à plus forte valeur ajoutée la politique de « dépasser les frontières », dévolue par le gouvernement chinois aux multinationales naissantes ; des appuis diplomatiques au sein des instances internationales contribuant à asseoir le rang international de Pékin. Par ailleurs, la Chine trouve en Afrique des débouchés dans les secteurs des travaux publics, des télécommunications ou du textile.
Comment envisagez-vous l'avenir de ces relations et quel serait l'idéal selon vous?
Il faut, avant toute chose, souligner que de nombreux pays africains ont pu tirer profit de l’engagement significatif et croissant de Pékin au travers d’un accroissement du volume des exportations vers la Chine, d’une augmentation des recettes commerciales et de nouvelles opportunités d'investissement dans les secteurs liés aux infrastructures. Nonobstant leur accroissement, les activités économiques chinoises en Afrique restent néanmoins déséquilibrées en raison de la forte concentration des structures commerciales et des flux d'investissement chinois. En l’occurrence, 70% des exportations de l'Afrique vers la Chine sont dominées par les matières premières - le pétrole, le cuivre, le cobalt et le coton - et proviennent de pays riches en ressources minières. Aucune coopération n'étant a priori avantageuse ou désavantageuse, tout dépend des ambitions de chacun des acteurs, des moyens qu'il met en œuvre pour atteindre ses objectifs et surtout de sa capacité à concevoir et à mener une stratégie efficace dans les négociations. Pour l'Afrique, il conviendrait à l’avenir de se mettre en ordre de bataille pour présenter une stratégie d'ensemble au partenaire chinois. C'est par la force de ses propositions politiques, économiques, sociales et sécuritaires qu'elle sera à même de tirer le plus grand profit du partenariat « gagnant-gagnant »' proposé par la Chine. Ce partenariat pourrait constituer pour l'Afrique une occasion historique d'évaluer et de décider de la nouvelle orientation de ses relations avec les partenaires extérieurs au développement. Dans cette perspective, l'un des viatiques les plus sûrs pourrait sans doute venir de son nouveau contact avec l'Empire du Milieu qui, après plusieurs siècles d'occupation coloniale, semble avoir définitivement tourné le dos à l'idéologie qui a toujours nourri sa politique extérieure au profit du réalisme et du pragmatisme qui sont les nouveaux paradigmes de la diplomatie chinoise à l'échelle mondiale.
Dr. Stéphane Ngwanza : « La Chine offre à l’Afrique une voie alternative pour son développement dans le cadre d’un partenariat décomplexé ».
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