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lundi 4 avril 2016

Kenya, le miroir de la Chinafrique

Kenya, le miroir de la Chinafrique

Par Sébastien Le Belzic (chroniqueur Le Monde Afrique, Hongkong)

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Le président chinois Xi Jinping (à gauche) et le président kényan Uhuru Kenyatta à Pékin, le 19 août 2013.
Le président chinois Xi Jinping (à gauche) et le président kényan Uhuru Kenyatta à Pékin, le 19 août 2013. Crédits : WANG ZHAO / AFP

Lors de sa première visite en Chine en 2013, Uhuru Kenyatta avait signé pour plus de 5 milliards de dollars de contrats. Depuis, son pays est devenu l’un des partenaires les plus choyés par Pékin en Afrique. Les yuans pleuvent sur le Kenya. Mais à quel prix ?

Au-delà des implications politiques, la Banque mondiale s’est penchée sur le dossier. Résultat : un rapport de soixante pages et une conclusion mi-figue, mi-raisin. Oui, la demande chinoise est devenue une clef essentielle de la croissance économique du Kenya. Mais attention à la dépendance ! Plus de quatre cents entreprises chinoises sont actuellement installées au Kenya dans tous les secteurs : matières premières, tourisme, télécommunications, BTP, transports et infrastructures. Une variété d’activités unique en Afrique, si ce n’est le cas particulier de l’Afrique du Sud.

La bascule du Kenya de l’Occident vers la Chine date de 2003. Soit juste après l’accession au pouvoir du président Mwai Kibaki. A cette époque, le pays est englué dans une série d’affaires de corruption. Les grands argentiers de la planète lui tournent le dos. La Chine, elle, lui tend la main et lui ouvre son portefeuille. L’élection du président Uhuru Kenyatta en 2013 n’a fait que renforcer ces liens.

Aucune contrepartie politique

Pourquoi cet appétit pour l’argent chinois ? D’abord les prêts consentis par Pékin se font généralement à des taux d’intérêts intéressants et sans aucune contrepartie politique. La Banque mondiale distingue ainsi prêts et coopération soulignant que cette dernière se concentre sous forme d’aides essentiellement dans les domaines de la formation et de l’éducation. Nairobi, non contente de disposer déjà du plus grand Institut Confucius d’Afrique, reçoit des équipements et des formateurs dans une dizaine de secteurs et notamment à la Technical University of Kenya où les ingénieurs sont formés à la mode chinoise.

Le pays se verrait bien devenir le centre régional de formation où les ingénieurs et les techniciens déployés sur les infrastructures construites par la Chine dans la région – et elles sont nombreuses – seront formés. En 2015, le gouvernement chinois a accordé trente-quatre bourses à des étudiants kényans pour poursuivre leurs études en Chine et une cinquantaine d’ingénieurs kényans vont partir cette année afin d’être formés aux dernières techniques utilisées notamment pour moderniser les transports du pays.

Deux mille kilomètres de routes

Le secteur des infrastructures est certainement le plus visible de cette présence chinoise au Kenya. Les entreprises chinoises sont à la manœuvre pour construire plus de deux mille kilomètres de routes à travers le pays. La China Road and Bridge Corporation construit ainsi 609 kilomètres de voies de chemin de fer entre Nairobi et Mombasa. Un contrat de 3,6 milliards de dollars. La China Communication Construction Company bâtit, elle, trois quais du nouveau port de Lamu Island pour 467 millions de dollars.

Autre aspect positif mis en avant par la Banque : les revenus des petits commerçants ont explosé en raison des importations de petit matériel électronique, du textile et autre produits bon marché venus de Chine. « 70 % des ventes au détail au Kenya se font via des commerces indépendants qui profitent pleinement des produits chinois », soulignent les experts de la Banque. En revanche, évidemment, cela ne favorise pas la production locale.

Enfin, les entreprises chinoises – et c’est l’une des surprises de l’étude – emploient davantage d’ouvriers et de salariés kényans que chinois. Mais la plupart cependant sont sous contrats précaires.

La Banque mondiale classe la Chine au cinquième rang des pays étrangers créateurs d’emplois au Kenya. Plus de neuf entreprises chinoises sur dix emploient ainsi des Kényans. Sur l’ensemble des entreprises chinoises interrogées par les experts de la Banque mondiale, 78 % des employés à temps plein sont kényans et 95 % des employés à temps partiel. Au total, la Chine aura créé 2 170 emplois dans le pays. Derrière les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le Japon et l’Inde. New Dehli est en effet en tête du classement avec précisément 7 422 emplois créés. Ce qui en dit long sur le développement des relations Sud-Sud.

Une dette qui progresse de 30 % par an

Mais tout n’est pas positif dans ce mariage. Ainsi la Banque mondiale met en garde contre les risques de surendettement. « Le niveau d’emprunt est proche de la limite acceptable », lancent les experts. La Banque, qui est elle-même l’un des plus gros préteurs du continent, s’inquiète des conditions de prêts qui ne sont jamais conditionnés à des progrès démocratiques. On retrouve là l’éternel débat qui anime le continent depuis près de dix ans et les débuts de cette Chinafrique triomphante.

« Le Kenya plie déjà sous le poids de la dette et les conditions de prêts ne sont pas suffisamment transparentes », écrivent les experts. L’économiste et auteur de l’étude, Apurva Sanghi, précise ainsi que cette « aide de la Chine au Kenya est presque entièrement constituée de prêts », ce qui pèse sur le ratio PNB/dette. « La Chine est déjà le plus important prêteur (bilatéral) du pays détenant plus de la moitié de la dette extérieure totale. »

Mais attention à l’effet boomerang assure l’économiste : pour les six derniers mois de 2015, sur les quarante millions de dollars payés par le Kenya en remboursement de ses dettes, sept millions seulement sont allés à réduire l’encours des prêts. Le reste ayant servi à payer les intérêts. Soit 82,5 % du montant total ! La dette du Kenya a l’égard de la Chine a ainsi progressé de 30 % par an depuis trois ans. Mais rappelons aussi que la Chine n’est pas le seul et unique créancier du pays. Une grande partie de l’endettement kényan reste multilatérale avec… la Banque mondiale comme premier bailleur de fonds.

Sébastien Le Belzic dirige le site Chinafrica. info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes

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