CHINE AFRIQUE

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lundi 6 juillet 2015

« Nous sommes à un carrefour des relations Chine-Afrique »

« Nous sommes à un carrefour des relations Chine-Afrique »Propos recueillis par Sébastien Le Belzic (Hong Kong)

Des Africains dans une rue commerçante de Guanzhou, août 2013.
Des Africains dans une rue commerçante de Guanzhou, août 2013.Crédits : AFP
Ancien ambassadeur des Etats-Unis en Somalie et au Burkina Faso, David Shinn est l’un des plus grands experts américains de la Chinafrique. Professeur à l’université George Washington, il suit de près l’expansion militaire chinoise sur le continent.

La Chinafrique n’est pas seulement économique mais politique, dites-vous ?
Oui, tout à fait ! Les médias ont tendance à se concentrer sur l’histoire récente et il est vrai que depuis 2012, l’expansion chinoise sur le continent africain est remarquable. Il s’agit d’une expansion évidemment économique, mais aussi politique, diplomatique et militaire. Ce n’est pas nouveau, simplement les enjeux ont évolué. Dans les années 1950, la Chine soutenait les mouvements politiques indépendantistes et de libération nationale, notamment au Cameroun et dans de nombreux pays francophones. Il y avait dès cette époque des relations militaires importantes. Mais c’était un soutien essentiellement idéologique.

Il y a aussi une aide militaire ?
Dans les années 1960, 3 à 5 % des équipements militaires que l’on trouvait en Afrique venaient de Chine. Aujourd’hui, ce sont au moins 25 % de toutes les armes conventionnelles en Afrique qui sont chinoises. Bien plus, si l’on considère les armes légères. C’est un marché considérable. Un moyen de gagner de l’argent.

Par ailleurs, la Chine est très impliquée depuis les années 1990 dans les opérations de maintien de la paix sous la bannière onusienne. Elle est de loin le premier contributeur en termes d’hommes avec actuellement 2 664 casques bleus chinois déployés sur le continent. Il s’agit de policiers, d’experts, de logisticiens, mais aussi depuis peu de troupes combattantes déployées au Mali il y a deux ans et, depuis cette année, au Soudan du Sud. La Chine participe à sept opérations de maintien de la paix en Afrique. Sans compter, depuis 2008, la participation de deux frégates chinoises aux opérations anti-piraterie dans le golfe d’Aden.

Pourquoi cette participation selon vous ?
D’abord c’est le signe d’une montée en puissance de la marine chinoise dans l’océan Indien. Ensuite, c’est un terrain d’apprentissage essentiel pour l’armée chinoise. Ces opérations leur permettent d’être en contact d’autres armées étrangères, et notamment des Etats-Unis, et d’apprendre de ces projections sur des terrains extérieurs.

Le projet d’une base militaire chinoise à Djibouti est-il l’une des évolutions de cette militarisation des relations sino-africaines ?
Cela n’a rien à voir avec la participation de la Chine aux opérations de l’ONU. Il s’agit pour Pékin d’une évolution du rôle stratégique essentiel de sa marine et notamment de sa participation aux opérations anti-piraterie. En octobre 2014, Pékin a signé un partenariat stratégique avec Djibouti afin de permettre à ses navires de mouiller dans la région et d’être ravitaillés en carburant et en vivres. Pour Pékin, les côtes du Kenya, de Tanzanie, de Djibouti et le Canal de Suez sont des zones stratégiques pour ses importations de matières premières.

Depuis 1949, la Chine est restée fidèle à sa politique qui consiste à ne pas avoir de base militaire permanente à l’étranger. Je ne vois pas d’évolution importante en ce moment, simplement il s’agit d’accords politiques afin de lui permettre d’assurer la sécurité de ses navires et de leurs cargaisons.

Les Etats-Unis voient-ils un danger dans cette expansion chinoise en Afrique ?
Pas vraiment. La France et les Etats-Unis ont salué la participation chinoise aux opérations de maintien de la paix en Afrique. Mais la présence de la marine chinoise dans la région pourrait effectivement changer la donne. Il y a à Djibouti 1 500 militaires français, 4 000 Américains et 200 Japonais. L’arrivée de la Chine dans la région pourrait compliquer la situation. Tout dépend de l’importance de cette présence militaire chinoise. Je peux vous dire que les Etats-Unis suivent de très près la situation sur place.

Comment voyez-vous l’avenir des relations sino-africaines ?
Nous sommes à un carrefour des relations Chine-Afrique et tout dépendra de l’économie chinoise. Avec le ralentissement de la croissance chinoise qui est passée de 10 à 7 % en quelques années, Pékin risque de recentrer son économie de l’industrie lourde vers les services. Cela signifie moins d’échanges avec l’Afrique, sachant que la Chine importe 22 % de son pétrole du continent africain. La Chine de toute façon n’est pas dépendante de l’Afrique qui ne représente que 5 % à peine de ses échanges commerciaux. Les Etats-Unis sont à ce titre beaucoup plus importants pour l’économie chinoise que l’Afrique. Même l’Amérique du Sud est plus importante que l’Afrique en termes d’échanges commerciaux.

Les médias occidentaux ont tendance à se focaliser sur la Chinafrique parce que la Chine est devenue en 2009 le premier partenaire commercial de l’Afrique et qu’elle y investit deux fois plus que les Etats-Unis, notamment dans les infrastructures. Mais les liens entre l’Afrique et les Etats-Unis par exemple sont à mon sens beaucoup plus importants. Prenez l’aide à l’Afrique. Pour la Chine elle représente, selon les calculs de l’OCDE, 2,5 milliards de dollars par an. Pour les Etats-Unis ce sont 8 milliards de dollars ! La Chine a occulté les investissements des autres pays sur le continent.

Sébastien Le Belzic est un journaliste installé à Pékin depuis 2007, où il dirige le site Chinafrica. info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes

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