On observe une explosion de travaux sur les relations entre la Chine et l'Afrique. Cette dernière est souvent traitée comme le terrain de chasse de la Chine, qui, quant à elle, apparaît aussi comme le moteur ou la locomotive de la croissance africaine. Certains parlent d'opportunités pour le développement alors que le terme de néocolonialisme est souvent utilisé [1] Harry Broadman, La route de la soie en Afrique : Nouvel... [1] . Le sommet Afrique-Asie d'avril 2005 à Jakarta, renouant avec l'esprit des Non-alignés de Bandung, a été le signe symbolique d'un renouveau des relations très utilitaristes entre l'Asie et l'Afrique. Les trois grandes puissances d'Asie que sont la Chine, l'Inde et le Japon ne jouent toutefois pas dans la même cour que les pays d'Afrique. La population des trois géants de l'Asie est 3 fois supérieure à celle de l'Afrique subsaharienne, leur PIB 14 fois, leurs forces de défense (en effectifs) 30 fois. Enfin, dans un contexte de reprise de l'économie japonaise après plus de quinze ans de stagnation, leurs taux de croissance sont 50 % supérieurs à celui de l'Afrique subsaharienne. La Chine a vu son PIB, a atteint 3 100 milliards de dollars en 2007, multiplié par 15 ces trente dernières années. La présence de ces grands États asiatiques en Afrique s'explique largement par la diversification de leurs échanges, liée notamment à leur insertion au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Elle tient également à leurs besoins considérables en matières premières et en énergie et à leur émergence comme puissances sur la scène internationale.
Les nouvelles configurations internationales
L'émergence d'un monde multipolaire
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Le nouveau contexte mondial remet en question les paradigmes qui ont fondé les relations Nord/Sud. Dans les travaux dépendantistes, les périphéries connaissaient un blocage de l'accumulation et un échange inégal. Dans les analyses néolibérales, le déficit d'épargne au Sud doit être comblé par l'investissement extérieur et le commerce. Or la montée en puissance des pays émergents dans un contexte de financiarisation du capitalisme a modifié radicalement la donne. Ces pays disposent d'un potentiel stratégique, géopolitique, militaire, démographique, économique et financier. Leur croissance a été de 8 % à 11 % par an depuis 2000 pour la Chine, de 4 % à près de 10 % pour l'Inde sur la même période. Ces pays par leur croissance relancent l'économie mondiale et utilisent largement leurs pétrodollars ou leurs réserves pour financer des projets de développement ou la dette des pays riches à commencer par les États-Unis. On observe un relatif découplage des cycles des pays émergents d'Asie par rapport à ceux des puissances industrielles que ce soit par le biais du canal commercial des exportations ou du canal financier même si l'on observe en 2008-2009 une légère réduction de la croissance prévue des pays émergents et une forte chute des bourses asiatiques [2] CEPII, L'économie mondiale 2009, Paris, La Découverte,... [2] .
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L'émergence de ces nouvelles puissances trouve sa source dans la mondialisation des échanges et de la production. Elle a été favorisée par les déficits américains et la financiarisation du capitalisme. Mais une dynamique autonome s'est développée avec la hausse de la demande solvable et la concurrence des grandes multinationales occidentales. Les fonds souverains et les investissements privés des pays émergents sont en mesure de contrôler des actifs des pays du Nord. À un monde unipolaire dominé par le premier monde tend à céder la place un monde multipolaire où le second monde émergent joue un rôle central. Les blocages des négociations de l'OMC avec les oppositions entre les États-Unis, l'Union européenne, la Chine et l'Inde en sont les manifestations.
Déplacement du centre de gravité
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On observe un déplacement du centre de gravité du capitalisme mondial vers l'Asie du Sud et de l'Est avec de nouveaux pôles au Moyen-Orient. Certes l'Occident demeure dominant dans le domaine technologique et la puissance militaire. Mais les puissances économiques et financières émergentes deviennent également des puissances politiques et militaires. Elles accentuent les rivalités à propos des ressources non renouvelables (énergies fossiles).
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Sur le plan géopolitique et stratégique, au monde bipolaire de la guerre froide tend à faire place un monde multipolaire qui malgré l'unilatéralisme nord américain conduit à l'émergence de nouvelles puissances économiques, politiques et militaires. Il y a divergence accrue entre les pays émergents et les pays pris dans les trappes à pauvreté. Les pays de l'OPEP ont vu leurs excédents de pétrodollars passer en trois ans de 200 à 800 milliards de dollars. Parag Khanna a ainsi montré en quoi le second monde émergent jouait un rôle aussi important que l'hyper puissance américaine et le premier monde pour façonner l'équilibre du monde [3] Parag Khanna, The Second World Empires and Influences... [3] .
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Sur le plan démographique, on constate une accentuation des répartitions de la population entre le Nord et les Suds. La mobilité des hommes conduit à de nouvelles configurations caractérisées par la différenciation entre travailleurs qualifiés et non qualifiés dans les flux sud/nord, par le rôle croissant joué par les diasporas participant d'une transnationalité, ou par le poids des transferts.
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Sur le plan environnemental, le processus d'accumulation bute de manière croissante sur la rareté des ressources non reproductibles, les conséquences du changement climatique et la réduction de la biodiversité. Des tensions croissantes apparaissent entre les modes de consommation et les modes de production des sociétés industrielles et des sociétés en voie d'industrialisation. Un des arbitrages majeurs concerne l'affectation du foncier aux produits agroalimentaires, aux forêts (puits de carbone) ou aux agrocarburants. La Chine, l'Inde, la Russie et le Moyen-Orient ont consommé en 2008 plus de pétrole que les États-Unis. La rivalité en Afrique notamment sur les hydrocarbures est croissante entre la Chine et les États-Unis.
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Sur le plan économique de nouveaux centres moteurs émergent. Actuellement, les pays du Sud représentent en parité de pouvoir d'achat la moitié du PIB mondial. Les BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) comptent pour un tiers. D'autres pays tels le Mexique, l'Indonésie, l'Iran jouent un rôle majeur. La demande des pays émergents modifie durablement les termes de l'échange de matières premières, produits manufacturés et services. Il y vraisemblablement durabilité, au-delà des fluctuations, de la hausse des prix des commodités liées notamment à la demande croissante des pays émergents. De nouvelles multinationales, Cemex (cimentier mexicain), Lukoil (pétrolier russe), Coteminas (société de textile brésilienne), TCI (fabricant chinois de matériel électronique), prennent place à côté des nouveaux géants du pétrole ou de la mine. D'atelier du monde, la Chine s'est hissée au rang de deuxième exportateur et de troisième importateur du monde. Avec 5,4 % du PIB mondial et 11,9 % de croissance, elle contribue en 2007 davantage que les États-Unis (27,5 % du PIB et 1,9 % de croissance) à la croissance mondiale. L'Inde quant à elle y contribue autant que le Japon. Selon plusieurs prévisions de la Banque mondiale, la Chine devrait d'ici à 2050 devenir la première puissance planétaire (28 % du PIB mondial contre 26 % pour les États-Unis, 17 % pour l'Inde et 15 % pour l'Union européenne). La Chine compte aujourd'hui plus d'internautes (220 millions) que les États-Unis (215,1 millions) alors qu'elle avait il y a huit ans 22,5 millions d'internautes.
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Sur le plan financier les pays en développement sont devenus des exportateurs nets de capitaux (+ 658 milliards de dollars en 2006). Les réserves financières détenues par les banques centrales des pays émergents s'élevaient fin 2007 à plus de 2 500 milliards de dollars soit près des 2/3 des réserves mondiales. On observe une forte diversification des investissements jusqu'alors concentrés sur les bons du Trésor américain, ce qui explique en partie le niveau du dollar. Les fonds souverains s'élèvent entre 2 000 et 3 000 milliards de dollars. Selon Morgan Stanley, les actifs détenus par ces fonds pourraient atteindre 12 000 milliards de dollars en 2015. Les marchés financiers comme ceux des matières premières sont caractérisés par une grande volatilité. Les commodités sont des valeurs refuges et jouent le rôle que jadis avait l'or. On constate une multiplication des sources de financement (microfinance, fonds souverains, banques islamiques, fondations privées, fonds des travailleurs immigrés et de la diaspora). Les bourses des pays émergents ont certes en septembre 2008 été entraînées par la crise financière, la Chine a certes rapatrié certains capitaux des Etats-Unis, ce qui explique l'augmentation des réserves de change, mais elle a toutefois intérêt à investir en bons du trésor américain afin d'éviter un effondrement du dollar.
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Sur le plan monétaire, on constate aujourd'hui une absence d'accord et de régulation mondiale (absence de prêteur en dernier ressort) conduisant à des coexistences de monnaies surévaluées et sous évaluées, à des déséquilibres des balances des paiements et à des crises récurrentes. Depuis l'été 2008, la hausse des réserves de change chinoises malgré la baisse du solde commercial s'explique en partie par l'arrivée massive de capitaux flottants anticipant une appréciation du won.
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Dans un contexte de mondialisation, la question de l'émergence des économies ne peut être dissociée de celle des interdépendances avec les économies industrielles et avec les économies pauvres fournisseurs de matières premières. Jusqu'à présent les puissances émergentes sont devenues les locomotives de l'économie mondiale et elles ont entraîné dans leur sillage les pays pauvres notamment par la demande des matières premières. Il peut y avoir contagion de la récession à l'échelle mondiale dans la mesure où les exportations sont les principaux moteurs de la croissance des pays émergents alors que ceux-ci financent largement les déficits mondiaux. Une récession des économies industrielles réduirait leurs exportations et leurs relances supposeraient une mobilisation des réserves et des épargnes intérieures. Il pourrait y avoir contagion sur les pays exportateurs de matières premières.
La fin de la stagnation économique africaine grâce à la Chine ?
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En contraste avec les économies émergentes, l'Afrique, au-delà de sa grande diversité, est globalement demeurée une économie de rente qui a peu connu de progrès de productivité et qui s'est marginalisée internationalement. Dans un environnement instable et peu sécurisé, les logiques de court terme dominent, que ce soit en termes d'épuisement des ressources naturelles, de retour sur investissement ou de placement des capitaux. L'Afrique n'a réalisé qu'une transition démographique partielle et tardive, s'est fortement urbanisée et l'informel a joué un rôle de régulateur. Le continent comprend 34 des 50 pays les moins avancés. Ceux-ci sont caractérisés par la concentration de l'extrême pauvreté et sont l'épicentre de nombreuses crises. Ces pays sont en marge des technologies adaptées et s'insèrent mal dans l'économie internationale. Leurs populations vulnérables ont une faible résilience aux chocs. Jusqu'à présent la place de l'Afrique dans la division internationale du travail n'a pas changé ; elle demeure exportatrice de produits primaires non transformés et importatrice de produits manufacturés et de services, voire de produits alimentaires. Les évasions des capitaux africains ont, par contre, représenté durant les années 1990 300 milliards de dollars, plus que le montant de la dette (215 milliards). On estime que 60 % de l'aide reçue par l'Afrique repart l'année même. Selon le Parlement britannique, l'élite africaine détient entre 700 et 800 milliards de dollars dans les centres financiers de la planète.
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Les nouvelles donnes internationales et notamment les liens avec la Chine modifient les trajectoires des pays les moins avancés notamment d'Afrique. Elles dopent à court terme la croissance, permettent de diversifier les partenaires et d'accéder à des financements. L'Afrique est ainsi de plus en plus convoitée pour ses ressources (biodiversité, forêt, hydrocarbures, mines) et pour un marché qui de 900 millions de personnes doit atteindre 2 milliards en 2050. En 2008 l'Afrique a connu sa 6e année de croissance supérieure à 5 % (31 pays en 2008). La balance fiscale et commerciale des pays africains du fait des pays exportateurs de pétrole est devenue excédentaire.
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On observe également une réactualisation des liens historiques entre les grandes zones africaines et les aires d'influence (Indiens et Ismaéliens en Afrique orientale et dans l'océan Indien, pays d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient dans les zones soudano-sahéliennes musulmanes, présence générale de la Chine mais particulière dans la mer Rouge, américaine dans le Golfe de Guinée). Il importe de prendre en compte le rôle des réseaux des diasporas en phase avec les doubles appartenances territoriales transnationales et une logique mondiale. Les diasporas africaines en Europe et en Amérique disposent de compétences et de capacités de financement. Leurs actifs sont estimés entre 700 et 800 milliards de dollars soit plus que le PIB de l'Afrique. Les diasporas libanaises, chinoises, indiennes, ismaéliennes jouent un rôle croissant dans l'insertion de l'Afrique dans la mondialisation. Le rôle des banques islamiques est devenu croissant avec les appuis des pays du Golfe ou de l'Iran. Le jeu des alliances est pluriel avec une interrogation sur leur durabilité et leur caractère opportuniste ou de changements profonds de stratégies. Il accroît les marges de manœuvre des États. Ceci explique largement la non-signature, fin 2007, des Accords de partenariat économique avec l'Union européenne de la part de la majorité des pays africains.
La Chine et l'Afrique, des relations anciennes réactualisées
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La diaspora chinoise est présente en Afrique depuis plusieurs siècles. Dès l'époque han au IIe siècle avant notre ère, les flottes chinoises étaient en relations commerciales avec les côtes de l'Afrique orientale. Bien que sa stratégie internationale demeure encore discrète, la Chine se pose en puissance régionale concurrente du pôle nippo-américain. Elle se mondialise par son intégration à l'OMC et se régionalise par les réseaux de sa diaspora, permettant l'extension de ses aires d'influence.
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Au milieu des années 1970, la présence chinoise était un contrepoids à l'influence occidentale et soviétique. Pékin soutenait à la fois les pays socialistes, les mouvements de libération et des dictatures pro-occidentales (Zaïre, Togo). Des accords de coopération militaire avaient été signés avec l'Éthiopie, l'Ouganda et la Tanzanie. 5 000 Chinois ont construit le chemin de fer Tan-Zam en Zambie. La Chine soutenait le socialisme de Kwame Nkrumah au Ghana, de Modibo Keita au Mali ou de Sékou Touré en Guinée. La coopération Chine-Afrique ne connut pas jusqu'au XXIe siècle une grande expansion. Les relations commerciales avec l'Afrique étaient inférieures à 1 milliard de dollars alors qu'elles atteignaient 10 milliards en 2000.
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Le début du XXIe siècle est marqué par le premier sommet sino-africain et la Déclaration du 12 janvier 2006 fixant les lignes directrices de la politique chinoise de coopération : absence d'ingérence, d'aide budgétaire et d'exigence en termes de bonne gouvernance, aide liée, non-reconnaissance de Taiwan.
L'impact indirect de la Chine sur l'Afrique par son rôle sur les marchés mondiaux
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Par ailleurs, la Chine pèse fortement sur l'environnement international dans lequel s'insère l'Afrique. Elle a ainsi indirectement un impact important sur l'Afrique. Sa demande croissante est un facteur de pression sur les prix mondiaux des produits primaires minéraux, énergétiques et agricoles. De par son rôle dans les exportations mondiales, elle entraîne la baisse des prix des produits manufacturés.
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Dans le domaine agricole, la Chine a connu une forte progression de la production. Elle a en revanche abandonné l'objectif d'autosuffisance alimentaire, et a fixé comme priorité l'ajustement de l'offre à la demande, l'amélioration de la qualité et la transformation des produits. Elle est un importateur structurel notamment de produits africains. Elle est devenue consommatrice et importatrice de produits d'élevage et indirectement de produits agricoles pour les nourrir.
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De manière structurelle, la demande des produits alimentaires croit fortement notamment du fait de la diversification de la consommation chinoise et asiatique et des pays pétroliers fortement dépendants en aliments (plus riche en protéines animales donc en surface d'élevage et en maïs pour animaux), de la hausse de la population mondiale et des limites de la production (sous investissement agricole, terres affectées aux agrocarburants, hausse des coûts de production liés aux prix des carburants au sein de la filière agroalimentaire).
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Sur le plan conjoncturel, les marché des produits agricoles et alimentaires sont pour l'essentiel des marchés de surplus. Sont échangés sur les marchés mondiaux les soldes entre productions nationales (le plus souvent appuyées par des politiques publiques nationales) et les consommations nationales. Les exportations bénéficient de subventions ou sont liées à l'aide. Moins de 10 % du blé ou du riz produit est vendu sur le marché mondial. Dès lors, un changement à la marge des consommations et des productions des grands pays peut créer une forte volatilité des prix. Les spéculateurs nationaux jouent sur la baisse des stocks pour accentuer la hausse. Les produits agricoles sont devenus des valeurs refuges face à la volatilité des marchés financiers. Les politiques de subventions et de stabilisation, bien que récemment préconisées par le directeur du Fonds monétaire international, ont disparu. Les arbitrages que la Chine fait entre le coton – la Chine est le principal acheteur du coton africain – et les céréales ont des impacts considérables en Afrique.
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Les prix mondiaux des céréales et des produits agricoles ont ainsi flambé en 2007-2008 avant de connaître, à l'été 2008, une inflexion. Cette hausse a bénéficié aux producteurs africains excédentaires mais a eu des effets négatifs pour les paysans en déficits et pour les urbains pauvres. Les dépenses alimentaires représentent entre 60 et 80 % du budget des familles et l'on estime qu'une hausse de 1 % des prix réduit de 0,5 % la ration calorique des catégories pauvres. La croissance économique s'est accompagnée d'une aggravation des inégalités. Il en est résulté une accentuation des « émeutes urbaines », s'ajoutant aux crises de légitimité des pouvoirs dans un contexte de flambée des prix alimentaires et énergétiques. Des révoltes sociales ont éclaté au Burkina Faso, au Cameroun (+ 100 morts), au Kenya, au Sénégal, en Guinée, en Côte d'Ivoire sans parler du Zimbabwe (inflation de 100 000 %). Là où l'on a souvent parlé de conflits ethniques, il y a en fait manifestation de la fracture sociale face à la hausse des carburants et des prix alimentaires dans un contexte de faible légitimité des pouvoirs politiques.
Chine-Afrique : un rapport « gagnant-gagnant » ?
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On constate pour 49 États, 800 projets d'aide, 800 entreprises multinationales. Les enjeux sont économiques (accès aux matières premières et aux marchés) et diplomatiques (voix aux Nations unies). Elles sont fondées sur le principe du « win-win » (gagnant-gagnant). La Chine ne pose comme seule conditionnalité que la non-reconnaissance de Taiwan et n'est pas regardante sur les droits de l'homme, les normes sociales et environnementales. Seuls quatre pays africains ont maintenu des relations avec Taiwan (Burkina Faso, Gambie, Sao Tomé-et-Principe et Swaziland). Le commerce sino-africain a quadruplé entre 2000 et 2006 (50 milliards de dollars en 2006) et devait dépasser avant 2010 le volume d'échange avec les États-Unis. 13 % des exportations africaines sont orientées vers la Chine contre moins de 5 % au début de la décennie. La Chine a besoin de pétrole ; elle a ainsi noué des liens avec l'Angola, la Guinée équatoriale, le Congo, le Gabon, le Niger, le Nigeria et le Soudan (ce qui explique ses abstentions lors des votes au Conseil de sécurité concernant la question du Darfour). Elle est le second consommateur de pétrole du monde et l'Afrique lui fournit près de 30 % de ses approvisionnements (38 sur 127 millions de tonnes en 2006). En 2000, elle importait 29 % de sa consommation nationale et, en 2007, 47 %. Ses premiers fournisseurs sont l'Angola et le Soudan. Un quart de la production de Guinée équatoriale est exportée en Chine, qui est également le 3e client du Gabon. Les besoins en matières premières de l'Empire du milieu sont considérables (fer, bois, coton, diamant, cuivre, manganèse). Par ailleurs, elle trouve en Afrique des débouchés dans les secteurs des travaux publics, des télécommunications ou du textile. Les activités économiques sont très diversifiées : réseau de PME au Nigeria, bois au Congo, pétrole et voies ferrées en Angola, pêche en Sierra Leone, uranium au Niger. Mais le secteur du BTP et des infrastructures est un des principaux domaines d'intervention, comme en témoigne au Congo la réhabilitation du chemin de fer et d'une route goudronnée entre Pointe-Noire et Brazzaville, et de la reconstruction de l'aérogare de Brazzaville. Le projet le plus important concerne la République démocratique du Congo avec un investissement de 9 milliards de dollars. Ces grands travaux résultent d'une volonté d'exporter de la main-d'œuvre et de trouver des marchés en contrepartie des importations de produits primaires. Ils ont été favorisés par la privatisation des entreprises africaines, par les règles d'appels d'offres internationaux favorisant le mieux disant mais également par des pratiques peu transparentes. Ils sont le plus souvent la contrepartie de l'obtention des permis d'exploration et d'exploitation des ressources du sous-sol.
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La balance commerciale de la Chine avec l'Afrique est légèrement déficitaire. Elle exporte pour plus de 22 milliards de dollars en 2006, la moitié étant des produits à haute valeur ajoutée (machines, électronique, nouvelles technologies). Elle vend des produits bon marché souvent de basse qualité, de contrebande ou de contrefaçon. Le 1er janvier 2005, la suppression de l'Accord multifibres, qui limitait par des quotas les exportations vers les États-Unis et l'Europe, a fait exploser le secteur du textile chinois concurrençant fortement les entreprises sud-africaines, mauriciennes, malgaches, marocaines et tunisiennes. La Chine utilise également le marché africain comme test pour ses produits high-tech : turbines à gaz, télécommunications, centrales hydrauliques, ou électriques, équipements de travaux publics, nucléaire civil, aviation [4] Alix Camus, « Le développement économique chinois :... [4] . Les importations africaines de produits chinois comprennent un poids croissant d'équipements.
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La Chine a investi en joint ventures pour plus de 1 milliard de dollars, alliant une technologie à l'occidentale aux faibles coûts de main-d'œuvre et aux subventions publiques chinois (dans le secteur des télécommunications, notamment). 800 entreprises se sont implantées en Afrique en 2007 et ont investi 12 milliards de dollars. On estime que 10 % des investissements directs chinois sont destinés à l'Afrique. Le stock des investissements directs chinois était estimé en 2005 à 351,5 milliards de dollars au Soudan, 171,2 en Algérie, 160,2 en Zambie, 94,1 au Nigeria, 62,0 en Tanzanie, 49,9 à Madagascar, 44,2 en Guinée et 41,6 au Zimbabwe. Les grands conglomérats chinois sont présents : China State Construction Engineering Corporation (CSCEC) dans la construction, China National Petroleum Corporation, China Petroleum Corporation en China national off shore Oil Corporation dans le pétrole, Huawei Technology dans les télécommunications. Ces groupes bénéficient d'un financement à des taux préférentiels et des garanties de China Exim Bank et de Industrial and commercial Bank of China. Une banque chinoise a ainsi acquis en 2008 pour 5,5 milliards de dollars une participation de 20 % dans la banque sud africaine Standard Bank.
Des pratiques contrastées à des niveaux microéconomiques
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Si on analyse finement les logiques migratoires et les activités des chinois en Afrique, le constat diffère de cette présentation globale. La présence chinoise en Afrique se fait par l'afflux de produits chinois, par l'augmentation des résidents chinois, par la multiplication des entreprises chinoises et par l'institutionnalisation de représentations. Il faut différencier la présence renvoyant à une stratégie de l'État et celle qui dépend des migrations et logiques de diasporas. Il importe de distinguer les Chinois liés à l'aide publique et à la politique chinoise et travaillant dans les entreprises publiques des Chinois ayant migré grâce aux réseaux de la diaspora et travaillant dans le secteur privé. Ces derniers sont à la fois fortement insérés dans le milieu professionnel africain et ne sont généralement installés que pour un temps limité, avant d'être remplacés. Ils font montre d'une grande capacité d'adaptation au marché africain tout en bénéficiant des réseaux d'approvisionnement et des liens avec la Chine. Le comportement opportuniste des acteurs cherchant une rentabilité maximale diffère des industriels dont les horizons sont à plus long terme. Leur présence est essentiellement liée à la dimension du marché africain. Ainsi les 1 500 commerçants chinois au Sénégal ont atteint un volume maximum. Ces acteurs sont membres de communautés par leur mode de consommation, leur habitat, et leurs liens avec les familles en Chine. À la différence des grands projets publics notamment de BTP, le secteur privé chinois emploie principalement de la main-d'œuvre locale + 65 % pour les entreprises privées au Mali et au Bénin) [5] Michele Dupré, Weijing Shi, « La présence chinoise... [5] . On constate certes une concurrence avec les acteurs africains mais la diffusion des produits chinois passe autant par les commerçants africains ou européens que par les opérateurs chinois. L'essentiel de l'approvisionnement transite par Dubaï.
Des relations géopolitiques de plus en plus fortes
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Une des priorités de la Chine est d'assurer la sécurité des routes commerciales et d'approvisionnement en pétrole. Djibouti, contrôlant l'ancienne route des Indes, est à ce titre un point d'ancrage important. Les relations politiques de la Chine avec l'Afrique relèvent de la « Realpolitik ». L'aide chinoise multiple est en forte croissance ; elle n'exige généralement comme contrepartie « que » la non-reconnaissance de Taiwan. L'Empire du milieu s'appuie sur les États africains pour éviter l'entrée du Japon au Conseil de sécurité des Nations unies. La Chine forme 10 000 Africains sur son territoire.
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Comme l'analyse J.-J. Gabas, la politique de coopération chinoise s'inscrit dans une politique extérieure peu transparente et ne répondant pas aux normes du Comité d'aide au développement [6] Jean Jacques Gabas, « Les relations entre la Chine... [6] . Certains travaux estiment l'aide publique au développement à 2 milliards de dollars par an. Selon l'auteur quatre principales critiques sont généralement formulées à propos de l'aide chinoise : une faible coordination avec les bailleurs de fonds, un soutien des États parias, une fissure dans l'« oligopole » de l'aide et un retour à une économie de traite (échanges de produits primaires contre des produits manufacturés), la non-prise en compte du développement durable. Les relations se tissent en marge de la réglementation internationale : prêts à taux d'intérêt zéro, rôle des entreprises publiques chinoises liées aux décisions politiques de l'État. La Chine, qui absorbe 60 % des grumes exportés par l'Afrique, ne respecte pas les normes environnementales au nom de la priorité au développement économique (forum d'ONG FONGZA) [7] Forum FONGZA, « Forest Governance in Zambesia, Mozambique :... [7] . Elle utilise sa position de force au sein des Nations unies pour protéger les États amis, dans un esprit « tiers-mondiste » où les pays pauvres ont des intérêts communs contre les puissances occidentales et sans qu'interfère un quelconque passé colonial. Cela permet à de nombreux pays africains de contourner les sanctions internationales (Côte d'Ivoire, Zimbabwe ou Soudan). On peut considérer que les ventes d'armes et les soutiens à certains « États voyous » par la Chine ont contribué à alimenter les conflits armés en Afrique (Angola, Éthiopie, Soudan, Tchad).
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La Chine a fortement développé ses relations militaires avec l'Afrique. Elle intervient par de l'encadrement, des ventes d'armes. Elle a ainsi signé des accords de coopération militaire avec l'Angola, le Congo, la Centrafrique. On observe de nombreux militaires en civils dans la zone de la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC). Elle place ses pions dans les pays décrédibilisés par l'Occident, tels le Soudan ou le Zimbabwe et est un des premiers fournisseurs d'armes pour ces pays. La Chine dispose d'une installation militaire au Soudan à Omdurman. Une partie a été transférée à Kamina en République démocratique du Congo. En mai 2008, Joseph Kabila a autorisé Pékin à ouvrir une base interarmées à vocation continentale à Matadi. En même temps, la Chine participe davantage aux opérations de maintien de la paix des Nations unies ou de l'Union africaine et envoi un nombre croissant de casques bleus.
L'Afrique terrain de chasse ou entraînée par la Chine ?
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La lune de miel de l'empire du Milieu avec le continent noir qui donne un ballon d'oxygène financier et diversifie les partenaires n'est pas exempte de risques écologiques, sociaux et de rejet lié à une trop grande présence de peuplement. S'il y a accord avec les responsables africains pour relativiser la démocratie, il y a toutefois chocs des cultures, affrontement des cadences chinoises et de l'absentéisme des travailleurs, rejet de petites colonies de peuplement et absence de mariage mixte (sauf anciennement à Madagascar). On voit poindre des oppositions sociales en Zambie, au Cameroun ou en Afrique du Sud. Les rebelles Touaregs s'en prennent aux Chinois travaillant dans l'uranium au Niger et des Chinois ont été pris en otages dans l'Ogaden en Éthiopie. En même temps, la Chine est obligée d'accepter certaines règles internationales et a en partie infléchi sa position au Darfour. La question demeure de savoir comme pour les investissements indiens s'il y aura transferts de technologies adaptées et délocalisation d'unités productives en Afrique notamment pour pénétrer les marchés nord-américains et européens.
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Ainsi, les nouvelles relations entre l'Afrique et la Chine illustrent l'émergence d'un monde multipolaire. Elles créent de nombreux espaces de liberté et des ressources pour les États africains diversifiant leurs partenaires. Elles sont porteuses de risques et d'opportunités pour un développement. On constate globalement un maintien d'une spécialisation postcoloniale entre les fournisseurs de matières premières non transformées et les fournisseurs de produits manufacturés ou de services même si cette spécialisation peut évoluer rapidement. Dans quelle mesure les pays d'Afrique pourront-ils, à l'instar des pays émergents, davantage profiter de la mondialisation ? La montée en gamme de produits et la diversification des productions supposeraient à la fois des pôles de compétitivité autour des territoires et des insertions dans les processus productifs techniques et cognitifs mondiaux, notamment par le biais des firmes multinationales. Pour susciter des effets d'entraînement et non d'enclavement, ces insertions doivent s'articuler avec le tissu productif local. Les relations Chine-Afrique doivent également se faire en conformité avec les règles multilatérales et le respect des droits de l'homme, des normes environnementales ou sociales, ou encore la transparence quant à l'usage des ressources naturelles et des capitaux.
Notes
[1]
Harry Broadman, La route de la soie en Afrique : Nouvel horizon économique pour la Chine et l'Inde, Washington, rapport Banque mondiale, 2007.
[2]
CEPII, L'économie mondiale 2009, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2008.
[3]
Parag Khanna, The Second World Empires and Influences in the New Global Order, New York, Random House, 2008.
[4]
Alix Camus, « Le développement économique chinois : chance ou danger pour l'Afrique subsaharienne », mémoire, INSEEC, juillet 2007.
[5]
Michele Dupré, Weijing Shi, « La présence chinoise en Afrique de l'Ouest : le cas du Mali et du Benin », AFD, document de travail no 69, août 2008.
[6]
Jean Jacques Gabas, « Les relations entre la Chine et l'Afrique, partenariat équitable ou exploitation », La lettre de la CADE, juin 2008.
[7]
Forum FONGZA, « Forest Governance in Zambesia, Mozambique : Chinese Takeaway ».
Résumé
Français
Si les relations entre la Chine et l'Afrique sont anciennes, leur intensification souligne l'émergence d'un monde multipolaire et le déplacement du centre de gravité économique mondial. Ces relations sont essentiellement économiques et fondées sur le principe « win-win » (gagnant-gagnant). Elles reposent sur la spécialisation postcoloniale entre les fournisseurs de matières premières africains et les pourvoyeurs en produits manufacturés ou en services. Les partenariats militaires se sont également développés. La Chine est ainsi porteuse d'opportunités pour le développement du continent. Sa présence n'est toutefois pas exempte de risques à terme, si elle ne parvient pas à entraîner l'économie locale et à être en conformité avec les droits de l'homme, les normes environnementales et sociales, ou la bonne gouvernance.
English
China in Africa, a New Colonialism or Opportunities for Development ?
While relations between China and Africa are old, their increase underlines the emergence of a multipolar world and the displacement of centre of gravity of the global economy. These relations are mainly economic and established on the principle of “win-win”. They are based on colonial specialization between African suppliers of raw materials, and suppliers of manufactured goods or services. The military partnerships have also been developed. Thus China brings opportunities for the development of the continent. His presence is however not without risks on the long run if it fails to pull the local economy and be in conformity with human rights, environmental and social standards, or the good governance.
Plan de l'article
- Les nouvelles configurations internationales
- La fin de la stagnation économique africaine grâce à la Chine ?
- La Chine et l'Afrique, des relations anciennes réactualisées
- L'impact indirect de la Chine sur l'Afrique par son rôle sur les marchés mondiaux
- Chine-Afrique : un rapport « gagnant-gagnant » ?
- Des pratiques contrastées à des niveaux microéconomiques
- Des relations géopolitiques de plus en plus fortes
- L'Afrique terrain de chasse ou entraînée par la Chine ?
Pour citer cet article
Hugon Philippe, « La Chine en Afrique, néocolonialisme ou opportunités pour le développement ? », Revue internationale et stratégique 4/ 2008 (n° 72), p. 219-230URL : www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2008-4-page-219.htm.
DOI : 10.3917/ris.072.0219
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