« L’erreur historique de l’Occident en Afrique »
Lionel Zinsou vient de créer et préside la Fondation France-Afrique pour l’investissement privé et public. lahireja
À rebours des images d’une Afrique en guerre, au lendemain d’un sommet UE-Afrique qui s’est concentré sur les conflits armés plus que sur les échanges économiques, le banquier franco-béninois Lionel Zinsou vante le dynamisme du continent.
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Pourquoi cet « afroptimisme », quand le pessimisme domine sur l’Afrique ?Cela fait deux décennies que j’essaie de dire : regardez, l’Afrique a changé. J’ai longtemps été à rebours de tout le monde, et tout d’un coup vous constatez que la Chine, la Turquie, les pays émergents pensent de même, et qu’ils agissent pour y prendre des parts de marché. En vingt ans, la part de la Chine dans les importations de l’Afrique est passée de 1 % à 15 %, celle de la France de 15 % à 5 %.
Mais l’Afrique dans les médias c’est la guerre au Mali et en Centrafrique, la famine au Darfour…Évidemment ! Mais accepterions-nous un instant que l’on juge de la reprise européenne sur ce qui se passe en Crimée, ou dans les Balkans ? La Centrafrique, c’est très important, mais c’est quatre millions d’habitants sur un milliard d’Africains.
On vous sent très énervé par le catastrophisme sur l’Afrique…Il faut faire l’effort intellectuel de regarder l’Afrique comme on regarde les autres continents. Si on estime que ce qu’il se passe au Mali, dont la situation a d’ailleurs été assez fortement redressée, concerne toute l’Afrique, cela veut dire qu’il faut arrêter d’investir au Brésil parce qu’il y a des émeutes au Venezuela !
Mais alors, pourquoi ce biais ?Le regard de l’Europe est façonné par cent ans d’histoire. On a justifié la colonisation par l’apport de la civilisation à des peuples barbares — et je ne suis pas absolument certain qu’on y ait réussi. Il y a eu ensuite la décolonisation, avec ses guerres, puis une période de mépris sans bornes, où l’on a prétendu oublier que la Guerre froide, qui amenait les pays occidentaux à se faire la guerre en Afrique, n’était pour rien dans les dictatures, les coups d’Etat et les guerres sur le continent… Après la chute du Mur, il y a eu un effondrement de la conflictualité ! Mais l’Occident a gardé ce regard condescendant, à mi-chemin entre le méprisant et le compassionnel. Les Chinois, les Brésiliens, eux, n’ont pas ce filtre de la colonisation. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de racisme, mais ils ont vu la brèche pour prendre des parts de marché. L’Occident est en train de faire une erreur historique.
Diriez-vous alors, avec Antoine Glaser (auteur d’ Africafrance , chez Fayard), que c’est la France qui a besoin de l’Afrique ?Je dirais plutôt que les deux ensembles ont besoin l’un de l’autre. L’Afrique a le choix, aujourd’hui : vous ne voulez pas nous vendre des Peugeot ? On achètera des Hyundai (Corée du Sud). L’Afrique a le choix en tout ! L’Europe a le choix, elle aussi. Mais elle a besoin de croissance, et ce serait dommage de rater une opportunité de croissance sans décalage horaire, dans votre langue et votre droit. D’autant que tout n’est pas perdu : la Chine a fait des erreurs, dans les industries extractives ou le génie civil, en important toute la main-d’œuvre, en ne créant aucune valeur ajoutée. Cela a recréé un désir d’Europe, un désir de normes sociales et environnementales… Mais si on ne se réveille pas, si nous nous laissons déposséder sans réagir de nos positions en Afrique, qui restent très supérieures à nos positions en Asie ou en Amérique latine, alors, cela signera vraiment le déclin européen et français.
, publiée le 04/04/2014 à 05:00
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