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Cependant, au regard de la pression migratoire africaine actuelle et à venir, en quoi l'aide au développement peut elle être véritablement une solution ? Quelles sont les limites de ce modèle ?
Laurent Chalard : Penser que l’aide au développement au continent africain va limiter quasi-instantanément la pression migratoire sur l’Europe n’est pas pertinent car les effets de cette aide, sous réserve qu’elle soit bien utilisée, ne se feraient sentir que sur le moyen-terme. A court-terme, le problème demeurerait, le déséquilibre de niveau de vie entre l’Europe et l’Afrique étant considérable, dans un contexte de forte expansion démographique africaine.
Par ailleurs, le modèle de développement économique reposant sur l’aide au développement est inefficace. En effet, concernant l’aide, à proprement parler, l’expérience nous prouve que, jusqu’ici, elle n’a pas servi à grand-chose, les pays les plus aidés n’étant pas forcément ceux ayant les meilleures performances économiques. En effet, les aides provenant d’Occident sont bien souvent détournées par les élites locales corrompues, une faible partie allant réellement aux populations. En outre, cette aide se présente trop souvent comme une forme d’assistanat, c’est-à-dire qu’elle ne se présente pas sous la forme d’investissements productifs ayant un impact positif sur le développement économique. Par exemple, fournir gratuitement de la nourriture, en règle générale du riz, alors qu’il n’y a pas de famines, contribue à maintenir le faible rendement de l’agriculture vivrière locale, puisque la nourriture gratuite vient faire concurrence aux produits vendus par les agriculteurs locaux, ce qui ne les incitent guère à investir pour augmenter leurs rendements. Il en va de même pour les produits de consommation. Pour qu’un pays sorte du sous-développement, il faut qu’il engage une politique d’investissements productifs et non qu’il bénéficie de l’aumône des riches. Or, à l’heure actuelle, l’aide au développement provenant d’Occident ressemble plutôt à la seconde qu’à la première…
Depuis l'année 2009, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l'Afrique. Quelles sont les différences d'approche du continent, entre Pékin, et les capitales occidentales, comme Paris ou Washington ? Pour quels résultats ?
Dans son approche vis-à-vis de l’Afrique, la Chine ne réfléchit nullement en termes d’aide humanitaire et de réduction du fossé de développement entre pays riches et pauvres, mais réfléchit uniquement en termes économiques, en l’occurrence faciliter son accès aux matières premières et s’imposer sur un nouveau marché de consommation. En effet, elle a tout intérêt à ce que ce continent connaisse une croissance économique soutenue, conduisant à l’émergence d’une classe moyenne africaine, dans l’optique de pouvoir lui vendre ses produits de consommation, la Chine étant devenue « l’entrepôt du monde », comme le fut l’Angleterre au XIX° siècle.
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En conséquence, même s’il est « politiquement incorrect » de le dire, les résultats économiques de la présence chinoise en Afrique sont sans commune mesure avec ceux des européens, les investissements chinois permettant une croissance économique certaine des pays où ils sont importants, grâce, entre autres, au développement des infrastructures, mais aussi de l’investissement privé, comme la création d’usines textiles. Par exemple, le boom économique que connaît l’Ethiopie (près de 10 % de taux de croissance par an ces dernières années) est en partie le produit de la forte présence chinoise dans le tissu économique local.
Il s’en suit que des millions de personnes ont vu leur niveau de vie s’améliorer considérablement, basculant dans le « monde moderne », grâce aux investissements chinois. Alors que cinquante années d’aide au développement occidentale n’ont pas permis au continent de sortir de la misère, dix ans d’investissements massifs chinois ont permis à plusieurs pays de décoller. Les mauvaises langues rétorqueront que les chinois pratiquent un capitalisme de prédation, mais, dans ce cas-là, que peut-on dire de la Françafrique, qui use des mêmes méthodes sans aucun résultat probant pour les populations locales ! Il faut d’abord balayer devant sa propre porte avant d’émettre des jugements moraux sur les actions des autres.
Au regard des enjeux à venir, et de la très forte natalité de la zone sahélienne, quelles sont les politiques structurelles les plus importantes à mettre en oeuvre pour permettre une "normalisation" de la situation ?
La première politique à mettre en place est une politique malthusienne, visant à limiter le nombre de naissances, la trop forte croissance démographique pénalisant le développement économique, en particulier dans les pays aux ressources naturelles limitées, tels que les Etats du Sahel. S’il ne s’agit pas d’effectuer une politique coercitive de l’enfant unique sur le modèle chinois, une politique à l’indienne, d’incitations fortes à limiter sa descendance, qui a permis de faire descendre le niveau de fécondité à peu près au seuil de remplacement des générations (2,1 enfants par femme), est souhaitable pour les prochaines décennies. Par exemple, il faudrait fixer des objectifs à atteindre pour l’Afrique subsaharienne, et plus particulièrement le Sahel : 3 enfants par femme en 2030 et 2 enfants par femme en 2050.
La seconde politique est de tirer des enseignements des résultats de la présence chinoise en Afrique, c’est-à-dire d’orienter « l’aide au développement », qu’il faudrait peut-être d’ailleurs renommer, vers une politique d’investissements productifs, conduisant à l’émergence d’une classe moyenne. Le seul moyen de limiter l’immigration africaine en Europe à long terme serait que le continent connaisse une croissance économique à la chinoise pendant les trois prochaines décennies ! Dans ce cadre, notre rapport paternaliste au continent est à revoir complètement. Les investissements productifs ou la construction d’infrastructures doivent être pensés pour les africains et non être des projets clés en main transposés sur le continent sans aucune réflexion sur leur adaptation ou non aux besoins du pays concerné, ce qui fut malheureusement trop souvent le cas après les indépendances dans les années 1960-70.
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