Jean-Pierre Bat
(mise à jour : )
La chancelière allemande profite de la présidence allemande du G20 pour présenter sa nouvelle politique africaine. Cet intérêt nouveau de la Bundesrepublik marque une volonté de modifier les rapports entre l'Europe et l'Afrique à un moment où les stratégies de la Grande Bretagne et de la France sont de moins en moins lisibles.
Questions à... Joël Glasman, historien de la Humbolt Universität de Berlin. Il est notamment l’auteur de Corps habillés au Togo. Genèse coloniale des métiers de police (Paris, Karthala, 2015). 1. Quel rapport l’Allemagne entretient-elle aujourd’hui à l’Afrique ?
L’Allemagne redécouvre l’Afrique. Ces dernières années, les plus hautes instances ont multipliées les rapports sur les nouvelles possibilités de coopération : le ministère des affaires étrangères (2011), puis le gouvernement (2014), puis les deux grands partis de la coalition au pouvoir, le SPD (2016) et la CDU/CSU (2016), tous se sont fendus de documents programmatiques sur l’Afrique. C’est la notion de «Plan Marshall» qui sera discutée à Hambourg, après avoir déjà fait l’objet de discussions entre dirigeants africains et membres du G20 invités à Berlin par Angela Merkel les 12 et 13 juin derniers.
Ce nouveau paradigme est tiré d’un document de 33 pages publié en janvier 2017 par le Ministère allemand du développement et de la coopération intitulé «L’Afrique et l’Europe : un nouveau partenariat pour le développement, la paix et l’avenir», et modestement sous-titré «Jalons d’un Plan Marshall pour l’Afrique». Ce document montre que, s’il elle reste un acteur de second rang sur le continent africain —loin dernière les Etats Unis, la Grande Bretagne, la France ou même la Chine—, l’Allemagne entend à l’avenir à influer sur la politique africaine de l’Europe. Sa vision se détache nettement de celle des autres grandes puissances : Pour les Etats-Unis, l’Afrique est avant tout un espace de lutte contre le terrorisme, un enjeu de stratégies géopolitiques et militaires. Pour la Chine, le continent est un partenaire commercial ; les entreprises chinoises construisent routes, ports et hôpitaux en échange de pétrole et de minerais. Dans le nouveau projet proposé par l’Allemagne, l’ambition est de dépasser ces visions géostratégiques et commerciales de court terme, afin de déployer une stratégie de grande ampleur.
2. Quelle place occupe l’Allemagne vis-à-vis de l’Afrique ?
L’Allemagne prend acte du poids grandissant de l’Afrique dans le monde et propose une vision de long terme, moins belliqueuse que celles de ses concurrents. Pour autant, le projet est marqué de contradictions. En dépit d’une rhétorique égalitariste —on y parle à presque chaque page de «partenariat», de «coopération» ou de «respect mutuel»— ce plan proposé «avec l’Afrique» et non pas «pour l’Afrique» a été pourtant élaboré sans contributions des institutions africaines de développement. ECOWAS, la Banque Africaine de Développement ou encore la Commission Économique pour l’Afrique des Nations Unies (UNECA) n’ont pas participé à sa conception, alors qu’elles ont elles-mêmes produits par ailleurs des programmes ambitieux pour le décollage du continent. Le fameux «Agenda 2063» de l’Union Africaine a lui aussi été largement ignoré.
3. Qu’est-ce qui permet d’expliquer cet intérêt de l’Allemagne pour l’Afrique ?
Cet intérêt soudain pour l’Afrique s’explique d’une part par le constat du poids démographique du continent —un cinquième de la population mondiale en 2050—, d’autre part par l’omniprésence des questions migratoires depuis deux ans dans le débat public allemand. Mais cette effervescence programmatique témoigne aussi de concurrences entre réseaux ministériels en période de campagne électorale. Car il n’y a pas un, mais bien plusieurs projets allemands pour l’Afrique. La vision du Ministre de la coopération (du parti conservateur CSU) a été flanquée d’un projet («Compact Africa») du Ministre des finances (de l’autre parti conservateur, la CDU) et d’un autre («Pro! Afrika») du Ministre de l’Economie (du parti socialiste, la SPD). Plusieurs questions cardiales —la hauteur des investissements, la question des subventions aux agricultures européennes ou encore celle de la renégociation des règles commerciales— ne font pas l’objet de consensus. Il n’y a pas non plus d’accord sur les critères qui permettent de savoir comment choisir les Etats africains partenaires. Le document du ministère de la coopération différencie «Etats réformateurs» et Etats «non réformateurs», mais les critères de distinctions restent flous. Le Togo, l’Algérie et le Bénin sont cités comme de bon élèves, mais la coopération renforcée des Etats comme l’Ethiopie et le Ruanda, des régimes particulièrement durs, est en contradiction avec la politique affichée. De même, les accords passés en matière de politique migratoire avec des pays comme le Niger, le Mali, ou l’Egypte passent largement outre les critères énoncés.
Au final, on est droit de penser que le nouveau « pacte pour le futur » promis est en réalité moins novateur qu’annoncé. Il semble d’ailleurs manquer étrangement de culture historique. Le «Plan Marshall» qui fait figure tire sert moins de modèle que de slogan. Bien sûr, l’accent donné aux infrastructures fleure bon les théories de la modernisation des années 1960 ; Mais l’ampleur de l’investissement n’est en rien comparable à celui du Plan Marshall (le Ministre allemand de la coopération a parlé en juin de 300 Millions d’Euros d’investissement, ce qui reste très faible par rapports aux besoins chiffrés). Et les auteurs du rapport semblent avoir oublié que, s’il est a posteriori célébré comme un des rares exemples d’aide au développement réussie, ce Plan qui porte le nom d’un Général des armées s’affronta à de nombreuses résistances dans les pays concernés. Il fut certes une amorce de la croissance économique, mais aussi une arme géostratégique contre le socialisme —à un moment où l’Allemagne était occupée par quatre armées étrangères
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