L’irrésistible percée chinoise en Afrique suscite de vives controverses au sein de la communauté internationale. Levier à une future émancipation politique et économique du continent ou frein à son développement, voire facteur d’instabilité ? Une approche prenant en compte la diversité des points de vue et les multiples dimensions de la relation sino-africaine permet de mieux en mesurer l’importance, les enjeux et les implications.
Introduction
Bousculant les agendas internationaux du développement et redéfinissant les grands équilibres géopolitiques et économiques, la Chine n’a cessé depuis une quinzaine d’années d’élargir son champ d’action et de consolider sa présence en Afrique, traditionnel pré carré des puissances occidentales.Approbation en 2004 par Pékin d’une ligne de crédit de 2 milliards de dollars au gouvernement angolais au grand dam des institutions financières internationales ; contrat exceptionnel annoncé en 2007 avec la République démocratique du Congo ; croissance des investissements dans les secteurs du cuivre en Zambie, du charbon au Zimbabwe, du pétrole au Soudan et au Gabon ; acquisitions à grande échelle de terres au Cameroun, en Ouganda et en Éthiopie ; rachat en 2007 de 15% des parts de la plus grande banque sud-africaine (Standard) ; construction prévue ou en cours de nouveaux barrages (Zambie, Ghana, etc.) ; lancement de multiples projets d’infrastructure sur l’ensemble du continent (universités, voies ferrées, ports, routes, etc.) ; ballet incessant des diplomates chinois sur le sol africain… pas un jour ne se passe sans que les grands médias internationaux, tantôt outrés tantôt interloqués, ne se fassent l’écho de la geste chinoise en Afrique, tout en s’interrogeant sur ses implications et sur les motivations réelles qui la sous-tendent.
Motif d’inquiétude pour les uns, opportunité à saisir pour les autres, l’émergence de cette « Chinafrique » (Michel et Beuret, 2008) n’a pas manqué non plus d’interpeller les acteurs institutionnels et les spécialistes du développement, sur fond de vives polémiques, d’oppositions et de positionnements tranchés – et souvent stériles – sur la nature et les implications, les mérites et les limites, les défis et les risques posés par ce rapprochement « inédit », symbolisé par le désormais très médiatisé et commenté Forum on China Africa Coopération (Focac) [1] .
A en croire certains éditorialistes occidentaux, la Chine serait littéralement en train de dévorer et d’inféoder l’Afrique. Galvanisée par sa formidable croissance économique et mue par sa quête éperdue de matières premières, la recherche de nouveaux débouchés et son désir d’accroître sa sphère d’influence, la Chine ferait primer la seule poursuite de ses intérêts sur toute autre considération. Derrière le voile rhétorique d’une nouvelle « solidarité Sud-Sud », elle poursuivrait une stratégie mûrie et planifiée de longue date, visant à imposer à l’Afrique un nouveau rapport de type colonial. Son souci affecté pour l’Afrique masquerait ni plus ni moins un tout autre agenda (Beuret et Michel, 2008).
A cette suspicion sur les intentions réelles de la Chine, qui réactive à bien des égards le mythe du « péril jaune », sont venues se greffer les inquiétudes des institutions financières internationales et des bailleurs de fonds de l’OCDE. Tout en reconnaissant le rôle de la Chine dans la réinsertion du continent africain dans l’économie internationale et, dans une moindre mesure, l’efficacité de son aide, les donateurs « traditionnels » craignent par-dessus tout que la stratégie africaine de la Chine ne mine durablement les progrès réalisés par la communauté internationale en faveur des droits de l’homme, de la démocratie, de la bonne gouvernance, sinon les « efforts » consentis en matière de réduction la dette.
Et de pointer du doigt l’opacité des contrats signés entre Pékin et les capitales africaines, les prêts accordés à des gouvernements ne satisfaisant pas aux critères de solvabilité et de bonne gouvernance, le non-respect par les entreprises chinoises opérant en Afrique des standards internationaux sur le plan social et environnemental et surtout, le soutien politique, financier et militaire apporté à des régimes mis au ban de la communauté internationale, à l’instar du Soudan d’Omar El-Béchir et du Zimbabwe de Mugabe. Bref, l’offensive chinoise sur le continent s’apparenterait bien moins à un vecteur de développement qu’à un frein à la démocratisation et à un facteur d’instabilité au plan régional.
Des accusations rejetées en bloc par les officiels chinois qui ne manquent pas de rappeler la responsabilité historique des pays du Nord dans la dégradation des conditions d’existence en Afrique et leur incapacité jusqu’ici à relever les défis du développement. Et inversement de mettre en avant les vertus d’une coopération sino-africaine fondée sur une longue histoire d’amitié et de respect mutuel ; le rôle de la Chine dans la relance de la croissance en Afrique ; l’efficacité, la rapidité et le caractère non coercitif de son aide ou encore l’opportunité que représentent les importations chinoises à bas prix pour les consommateurs africains.
Quant aux craintes des Occidentaux, les Chinois les attribuent au mieux à des préjugés infondés, au pire, à une frustration née du souci de perdre une zone d’influence historique (Shay Lu, 2008). Un constat et une analyse que partagent publiquement de nombreux dirigeants et intellectuels africains, d’une part séduits par le « succès » du modèle de développement chinois et d’autre part, subjugués par l’opportunité offerte par la Chine de rompre les liens de dépendance qui attachent encore l’Afrique aux anciennes puissances occidentales.
Entre ces deux lectures radicalement opposées, mais à l’évidence situées, quel regard porter sur l’engagement chinois en Afrique ? Au-delà de la diabolisation a priori et de l’enthousiasme béat, quels sont les enjeux réels et les implications concrètes de la présence croissante en Afrique de la Chine ? Celle-ci représente-t-elle une menace ou une opportunité ? Un frein ou un instrument de développement ? Par-delà un débat international structuré par d’évidents tropismes (pro-occidentaux d’un côté, tiers-mondistes de l’autre), quels sont surtout les défis que pose cette percée chinoise sur le terrain aux populations africaines, et quel(s) regard(s) portent-elles sur cet engagement ? Avant d’oser un début de réponse à ces questions, il importe de placer la relation africaine dans un cadre d’analyse historique plus large, ceci afin de mieux saisir la nature, les ressorts, les enjeux et la portée de l’engagement chinois en Afrique.
Évolution des relations sino-africaines
« La Chine s’est installée en Afrique et compte bien y rester... Du Caire à Capetown, des îles de l’Océan indien au Golfe de Guinée, traversant les savanes et les montagnes, un vent nouveau venu d’Orient souffle sur l’Afrique ». La citation aurait pu être extraite d’un article de presse commentant la récente ruée chinoise sur l’Afrique. Pourtant, elle est tirée de l’ouvrage East Wind over Africa : Red China’s African Offensive rédigé en 1965 par John Colley, lequel mettait déjà en garde contre l’expansion tentaculaire de la Chine communiste en Afrique ! (cité par Large, 2008). C’est dire combien l’intérêt de la Chine pour l’Afrique n’est guère une nouveauté, pas plus que les réactions suscitées en Occident par une telle présence, mélange d’inquiétudes, de fantasmes et d’enthousiasmes. « Pour qui suit les relations entre la Chine et l’Afrique sur la longue durée, explique Jean-Raphaël Chaponnière, la fascination suscitée chez les analystes occidentaux par l’avancée chinoise fait figure de déjà-vu » (2008-a).Certes, la nature du rapport entre la Chine et l’Afrique a profondément changé depuis cette première percée chinoise sur le continent noir, avant que la Chine ne se replie ensuite sur elle-même pour se concentrer sur son propre développement. Replacer cette relation à la fois mouvante et complexe dans son historicité devrait nous permettre de mieux apprécier les fondements et les ressorts qui la sous-tendent.
Ressorts et essor de l’engagement chinois en Afrique
De l’appui aux mouvements indépendantistes et aux gouvernements non alignés au financement de grands travaux d’infrastructures et de projets dans des secteurs aussi divers que la pêche, le textile et l’agriculture, en passant par la construction de dispensaires et l’envoi sur le continent des fameux « médecins aux pieds nus », entre la Chine et l’Afrique, très tôt, se sont tissés des rapports étroits. Lesquels ont trouvé leur première formalisation dix à quinze ans après l’avènement de la République populaire (1949), avec l’établissement de liens diplomatiques et la signature d’accords de coopération avec l’Égypte de Nasser, l’Algérie de Ben Bella, le Ghana de Kwame Nkrumah ou encore la Guinée de Sékou Touré (Gaye, 2006 ; Chaponnière, 2008-b ; Large, 2008).
A l’évidence, les ressorts de cette première poussée chinoise en Afrique relevaient alors plus de considérations idéologiques que d’intérêts économiques bien compris. La logique de l’aide directe l’emportait sur la logique commerciale. L’idéologie précédait l’entreprise. Outre le souci de Pékin d’élargir sa sphère d’influence politique et son désir de reconnaissance diplomatique, ce premier engagement chinois sur le continent était principalement mû par l’idée qu’existait, entre l’Afrique et la Chine, une même « communauté de destin et d’intérêt » (Guérin 2008 ; Large, 2008 ; Chaponnière, 2008-a).
Après tout, comme l’Afrique, la Chine avait connu le joug colonial. Comme elle, son économie reposait alors sur une base essentiellement agricole. Pays pauvre, en proie à d’importantes difficultés internes, la Chine se faisait à l’époque un devoir d’aider financièrement l’Afrique au nom de cette communauté « afro-asiatique », de l’esprit de Bandung (Alternatives Sud, 2007) et de la solidarité Sud-Sud quitte à consentir à d’énormes sacrifices : « N’ayant pratiquement rien à offrir à l’Afrique, écrit Pradet en 1963, puisque ses difficultés sont connues de tous, ni grand chose à acheter, manquant de moyens de paiement, la Chine populaire n’en fait pas moins un gros effort,(…) car elle offre des crédits qu’elle-même sollicite du camp socialiste » (cité par Chaponnière, 2008-a).
Dénonçant à la fois les pratiques du camp soviétique et celles du camp occidental, et soucieuse de contrer leur hégémonie sur le continent, la Chine proposera une troisième voie aux gouvernements africains. A savoir un modèle de coopération, de reconnaissance et de respect mutuel, lequel sera fondé sur huit grands principes, énoncés pour la première fois en 1964 à Accra par Zhou Enlai : égalité entre les partenaires, bénéfices mutuels, respect de la souveraineté, utilisation de dons ou de prêts sans intérêt et allègement des charges, renforcement du bénéficiaire, égalité de traitement entre exports chinois et locaux. Si leur signification a changé depuis cette première phase de la relation sino-africaine, ces principes constituent aujourd’hui encore le soubassement théorique qui oriente et régit encore pour l’essentiel l’aide chinoise à l’Afrique (Ibid.).
Le retour spectaculaire de la Chine sur le continent à compter des années 1990, après une relative éclipse, est intimement lié à la rapide conversion et extraversion de l’économie chinoise et à la mutation de son tissu productif suite aux réformes entamées par Deng Xiaoping fin 1978. Cette nouvelle période se caractérisera par des changements significatifs du point de vue du rapport entre la Chine et l’Afrique.
Comme l’indique l’intensification des échanges entre la Chine et l’Afrique, lesquels ont été multipliés par huit depuis les années 2000, et par 100 depuis le début des années 1980, pour atteindre aujourd’hui plus de 100 milliards de dollars (106,8 milliards de dollars déjà en 2008), la logique commerciale a pris le dessus sur l’engagement idéologique. Et les mobiles économiques semblent aujourd’hui dominer les mobiles politiques. De même, comme le montre leur forte croissance, les investissements directs chinois, dont le stock était évalué à quelque 7,8 milliards de dollars en 2008, ont fini par primer sur l’aide au développement (Hellendorff, 2010). Désormais, la quête de nouvelles ressources et de biens primaires et la recherche de nouveaux débouchés, indispensables à l’alimentation de la boulimique croissance chinoise, paraissent rendre caduque le vieux discours de solidarité Sud-Sud, même si les officiels chinois n’hésitent pas au besoin à le réactiver, suivant une ligne rhétorique témoignant d’une remarquable constance (Chaponnière, 2008-a).
Parallèlement à cette évolution qui a vu l’entrepreneur privé et l’entreprise d’État chinois remplacer le médecin et le travailleur humanitaire en Afrique, et la République populaire nouer des relations diplomatiques et économiques avec la plupart des gouvernements de la région, la manière dont les élites africaines perçoivent la Chine a également beaucoup changé depuis ses premiers engagements sur le sol africain (Oboriah, 2007). Plus que par le passé, le modèle et la stratégie chinoise de développement, offrant l’image d’une transition socioéconomique réussie, couplée à des progrès très (re)marqués dans la lutte contre la pauvreté, séduisent et inspirent ces élites à la recherche d’une nouvelle voie de développement. Inversement, le modèle occidental fait de plus en plus figure à leurs yeux de repoussoir, y compris au sein de larges secteurs de la population échaudés par plus de deux décennies de réformes politico-économiques néolibérales.
Face au caractère indigeste des vieilles recettes servies à l’Afrique par les bailleurs de fonds traditionnels et à leur incapacité à répondre aux défis du développement, de plus en plus de dirigeants se tournent vers la Chine, à l’instar du président éthiopien Meles Zelawi qui, suite à la tournée africaine de Hu Jintao début 2007, exprimait dans un entretien un sentiment d’ores et déjà assez largement partagé sur le continent vis-à-vis de la Chine, lequel se double généralement d’une critique acerbe des stratégies occidentales : « Je pense que les Occidentaux auraient tort de croire qu’il leur suffit d’acheter la bonne gouvernance en Afrique... Ce que la Chine a réalisé taille en pièces cette illusion. Elle [la Chine] ne met nullement en danger les réformes de bonne gouvernance et la démocratisation en Afrique. Car seuls ceux qui [comme la Chine] ont privilégié une croissance endogène avaient des chances de réussir » (Financial Times, 5 avril 2007).
La crise financière de septembre 2008 va par la suite achever de discréditer le modèle néolibéral aux yeux de nombreux Africains, tout en renforçant dans le même temps la légitimité des stratégies de développement de la Chine et son approche par rapport à l’Afrique (Rebol, 2010). Ne pas prendre en compte cette évolution du regard et du sentiment africains ne donne qu’une vision tronquée de la portée, des enjeux et des implications de ce retour de la Chine en Afrique. Certes, il est légitime de parler d’« offensive » pour décrire l’implantation spectaculaire de la Chine en Afrique (Niquet, 2007). Mais encore faut-il garder à l’esprit que cette offensive n’a pu avoir lieu que parce que les élites africaines ont déroulé le tapis rouge à la Chine, privilégiant de plus en plus au « consensus de Washington », longtemps présenté comme l’unique modèle politico-économique crédible après la fin de la guerre froide, ce que de nombreux commentateurs et analystes appellent désormais le « consensus de Pékin ».
Une autre vision de la coopération : le « consensus de Pékin »
Si la dimension économique a pris le dessus sur la dimension idéologique dans la relation sino-africaine, la logique de coopération et les modalités de l’aide chinoise à l’Afrique n’en témoignent pas moins d’une remarquable continuité sur le plan des principes et du discours (Chaponnière, 2008-a).
Comme par le passé en effet, l’aide de la Chine à l’Afrique n’est officiellement pas assortie de conditionnalités politiques et économiques, Pékin, fidèle en cela aux grands principes qui commandent ses relations extérieures, se montrant réticent à intervenir dans les affaires intérieures des États, au nom du respect de la souveraineté nationale et du refus du droit d’ingérence. Une posture qui ne va pas sans crisper les bailleurs de fonds traditionnels et une partie des acteurs sociaux, mais qui séduit au contraire la plupart des gouvernements africains, non mécontents de rentrer dans un rapport débarrassé de la chape de plomb que représentent à leurs yeux les conditionnalités imposées par les Occidentaux, lesquelles sont généralement assorties de discours paternalistes et moralisateurs.
Bien davantage qu’autrefois cependant, l’aide chinoise est fortement adossée à d’autres types de flux (échanges commerciaux, investissements, etc.), au point qu’il est difficile de démêler ce qui relève de l’aide au développement stricto sensu, de la coopération économique ou encore de simples intérêts privés (Guérin, 2008). Multiforme, l’aide chinoise à l’Afrique s’insère en fait dans un écheveau compliqué d’interventions, de relations et d’engagements, mêlant logique « opportuniste » de l’intérêt et logique « altruiste » du don, dimension politique et dimension économique. De là, la difficulté de cerner les montants exacts de cette aide selon les critères du CAD (Comité d’aide au développement regroupant les bailleurs de fonds membres de l’OCDE) [2] .
Ainsi, au cours du très médiatisé sommet du FOCAC qui s’est tenu à Pékin à l’automne 2006, la Chine avait annoncé tout à la fois le doublement de l’aide au développement d’ici 2009, l’apport de 5 milliards de dollars sous forme de prêts préférentiels (3 milliards) et en crédits à l’export (2 milliards) ; un soutien de 5 milliards de dollars aux entreprises chinoises désireuses d’investir en Afrique ; l’annulation de la dette des Pays pauvres très endettés (PTTE) africains ; la création sur le continent de zones économiques spéciales (ZES) ; l’augmentation (de 190 à 440) du nombre de produits africains exemptés de droits de douane à l’export vers la Chine ; le renforcement de la coopération technique dans les secteurs de l’agriculture, de la science et de la technologie et la construction d’un centre de conférence pour l’Union africaine à Addis-Abeba (Ibidem).
Le multilatéralisme apparent de ces sommets et la générosité des montants annoncés ne doivent pas non plus dissimuler le fait que l’aide chinoise demeure bilatérale et fortement liée [3] . « Plus précisément, note Bruno Hellendorff, la Chine lie aide et affaires de manière innovante en promouvant ses intérêts nationaux au travers de partenariats mutuellement bénéfiques mis en œuvre par un large spectre d’acteurs et d’instruments. De cette façon, l’aide au développement chinoise n’est pas vue comme un enjeu moral, mais comme un outil de persuasion politique et une manière d’adoucir l’entrée d’opérateurs économiques chinois sur le continent » (2010).
Le plus souvent, cette aide est fournie via des package deals, sorte de contrats de troc négociés d’État à État combinant investissements publics, semi-publics et privés, aides directes et dons, prêts concessionnels ou non, appuis techniques ou financiers, soutien aux entreprises chinoises et africaines, voire coopération de type militaire ou culturel. Dans les pays africains riches en ressources naturelles, le mode opératoire de ce type d’accord est relativement uniforme, si bien qu’il est devenu fréquent de parler de « modèle angolais » pour caractériser cette relation.
Comment fonctionnent concrètement ces accords ? Dans le cas du package deal négocié avec la RDC, explique Daniel Guérin, « les fonds ne sont pas directement prêtés au gouvernement africain, mais le gouvernement chinois mandate une entreprise publique chinoise de construction – recevant généralement le soutien de l’EximBank (Banque chinoise d’investissement et d’import-export) – pour réaliser des projets d’infrastructures avec l’accord du gouvernement africain concerné. Ensuite, en contrepartie de la provision de ces infrastructures, le gouvernement africain accorde à des entreprises chinoises (privées la plupart du temps), le droit d’extraire des ressources naturelles (pétrole, minerais, etc.), à travers l’acquisition de parts dans une entreprise nationale et de licences. Le package deal s’accompagne aussi de dons consacrés à la construction d’écoles, d’hôpitaux, ou de bâtiments de prestige (palais présidentiels ou stades de foot) par des entreprises chinoises » (2008).
Pour suspicieuse que soit cette approche de l’aide aux yeux des Occidentaux, et en particulier par rapport aux intentions qui animent la Chine et aux énormes avantages qu’elle en tire, il faut bien garder à l’esprit les fondements théoriques et les justifications idéologiques qui la sous-tendent.
Rappelons tout d’abord qu’officiellement la Chine ne déploie pas sa coopération au nom des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), approche qu’elle juge paternaliste et « assistantialiste », voire misérabiliste, mais au nom de la « solidarité Sud-Sud », de la tradition afro-asiatique et surtout d’une forme de partenariat d’égal à égal entre nations historiquement dominées, et vecteur de bénéfices pour chacune des parties, même si aujourd’hui les interdépendances économiques et les considérations pragmatiques ont pris le pas sur l’engagement idéologique. Un glissement d’ailleurs perceptible dans les discours des officiels chinois qui parlent désormais de partenariats stratégiques « gagnant-gagnant » et de complémentarité (Chaponnière, 2008-a ; Tan Mullins, Mohan, Power, 2010).
Par cette relation qu’elle présente comme « gagnant-gagnant », la Chine entend en effet participer au développement de l’Afrique, sans pour autant lui indiquer la voie à suivre, en lui offrant son aide et son savoir-faire en contrepartie d’avantages, de concessions et de droits à finalité économique, lesquels, affirment les officiels chinois, seront en retour également profitables au continent, en contribuant au renforcement de son tissu productif (Shaye Lu, 2008). Cette vision de la coopération explique que l’essentiel de l’aide (70% environ) se concentre dans des projets d’infrastructure : infrastructures routières et portuaires, chemin de fer, énergie et télécommunication, etc. Un domaine d’investissement longtemps négligé par les bailleurs de fonds traditionnels au profit du renforcement institutionnel et de la lutte contre la pauvreté, preuve qu’existe une certaine complémentarité entre l’aide chinoise et l’aide occidentale.
Ne considérer la coopération sino-africaine que sous l’angle d’un engagement intéressé, d’une exploitation éhontée sans égard pour la démocratie et les droits de l’homme ou encore comme un simple rapport économique classique, dans lesquels les deux parties chercheraient ni plus ni moins à exploiter leurs avantages comparatifs respectifs, revient en fait à balayer une dimension essentielle nécessaire à la compréhension de la stratégie africaine de la Chine : la conception qu’elle se fait du développement et du chemin à emprunter pour l’amorcer.
A l’instar de la trajectoire suivie par la République populaire, les autorités chinoises mettent avant tout l’accent sur le renforcement de la base économique, laquelle est supposée en retour profiter à l’ensemble de collectivité. Ce modèle de développement note Girouard « reconnaît avant tout un droit de la collectivité au développement. Il fait peu de place aux droits de la personne, tels que ceux-ci ont été pensés dans le cadre de la modernité occidentale (…). La démocratie non plus n’est pas entendue de la même manière (….) Beijing y voit (avant tout) un pouvoir exercé pour le peuple et dans son intérêt... » (2008). Propre à la trajectoire chinoise, ce modèle n’en structure pas moins la relation sino-africaine, en exerçant un véritable attrait chez les élites qui y voient aussi, il est vrai, une justification bien commode pour se maintenir au pouvoir.
En fait, par-delà les discours légitimateurs, le « consensus de Pékin », affirme Jean-Raphaël Chaponnière, poursuivrait ni plus ni moins « les mêmes objectifs que le consensus de Washington en les déclinant différemment : le premier donne la priorité à la stabilité et au développement, alors que le second fait des réformes un préalable au développement et à la stabilité » (2009). A ceci près que la Chine ne cherche pas à universaliser son modèle et moins encore à l’imposer. Plus sans doute que les bailleurs occidentaux, elle a conscience que son modèle n’est guère transposable comme tel, reconnaît l’hétérogénéité du contexte africain et accepte la cohabitation des stratégies de développement et la complémentarité des orientations. C’est pourquoi ce qui rendrait finalement la Chine si attractive aux yeux des Africains n’est pas tant le « succès » du modèle chinois que l’absence d’un « consensus de Pékin » unique (Rebol, 2010).
Enjeux de la présence chinoise en Afrique et termes du débat
Alternative salutaire...
Dans un entretien accordé en 2007, l’ex-secrétaire d’État britannique au développement, Hilary Benn, faisait part de ses inquiétudes quant à la percée chinoise en Afrique et mettait en garde contre les conséquences potentiellement désastreuses des crédits accordés par la Chine à plusieurs pays ne satisfaisant pas aux conditions internationales d’octroi de prêts. Parce qu’elle ne tient pas compte des conditions posées à l’aide par des pays tels que la Grande-Bretagne, expliquait-t-il, – bonne gouvernance, respect des droits humains et dépense affectée directement à la lutte contre la pauvreté – la Chine risque de réduire à néant les progrès accomplis dans la démocratisation des administrations locales. Et partant de faire plus de tort que de bien, en dépit de son engagement en Afrique dans la lutte contre la pauvreté (The Guardian, 7 février 2007).
Un point de vue très largement partagé par les chancelleries occidentales, les organismes financiers multilatéraux et la plupart des grands médias internationaux, mais qui contraste singulièrement avec celui de ce diplomate nigérian qui, lors d’un débat organisé dans le cadre du Forum social mondial de Nairobi en 2007, déclarait : « Il y a quelque chose de rafraîchissant dans l’approche chinoise. Ils n’assortissent pas leurs prêts de toutes ces conditionnalités qui accompagnent les prêts occidentaux » (cité par Bello, 2007).
Plus qu’une réticence par rapport aux objectifs de démocratisation et plus qu’un manque de sensibilité pour les questions de bonne gouvernance et de droits de l’homme – même s’ils ne font guère de doute dans le chef de certains gouvernements ravis en cela de s’assurer l’appui de la Chine –, ce point de vue africain témoigne avant tout du désenchantement et d’une défiance assez généralisée sur le continent envers les stratégies de développement conçues et imposées par les institutions financières internationales et les bailleurs de fonds traditionnels, lesquels exerçaient jusqu’il y a peu a une hégémonie sans partage sur l’aide.
Présenté comme condition sine qua non à la relance des économies africaines, l’ajustement structurel, imposé à compter des années 1980, en réduisant l’État et ses fonctions à leur plus simple expression, a été vécu comme une véritable catastrophe en Afrique. Finalement, l’hypothétique croissance qu’on faisait miroiter à l’Afrique n’est pas venue, tandis que la dette des États africains n’a cessé de s’alourdir, renforçant davantage la dépendance aux directives des bailleurs de fonds internationaux et/ou bilatéraux.
Quant aux stratégies de lutte contre la pauvreté qui ont remplacé les ajustements structurels, elles ne font guère illusion non plus. Soulignant la responsabilité historique des Occidentaux dans l’endettement et l’appauvrissement de l’Afrique et dénonçant leur double langage, beaucoup d’Africains considèrent les conditionnalités associées aux programmes d’aide et aux prêts comme une entrave à l’amorce d’un développement plus « autocentré », voire comme des impositions de type néocolonial (Delcourt, 2008).
Aussi, l’arrivée d’un nouvel acteur de poids dans la partie, vierge de toute histoire coloniale en Afrique et peu exigeant dans l’octroi de ses financements est-elle envisagée comme la possibilité de dénouer ces liens de dépendance et d’élargir l’étroite marge de manœuvre dont disposent les pays africains. Dans cette perspective, la présence chinoise en Afrique, à l’instar de celle des autres bailleurs de fonds émergents (Brésil et Inde notamment), peut être considérée comme salutaire. Ces nouveaux acteurs apportent non seulement à l’Afrique de nouvelles ressources financières, dans un contexte de rareté relative, mais ils créent aussi une « nouvelle pression compétitive » sur les bailleurs de fonds établis. Et ils ouvrent aux pays africains de nouveaux espaces politiques susceptibles à terme de leur permettre d’échapper à l’orthodoxie libérale et de définir une trajectoire propre, non prescrite et non conditionnée, de développement (Tan-Mullins, Mohan, Power, 2010).
De fait, grâce à la multiplication des acteurs dans le champ de l’aide, les pays africains se trouvent en meilleure position de force dans les négociations. Ils peuvent faire jouer la concurrence et se tourner vers l’acteur le plus offrant. Face à une « offre de développement » plus diversifiée, ils ne sont plus tenus de se conformer aux seuls standards des bailleurs de fonds traditionnels. Et il leur est davantage permis de choisir le partenariat qui leur semble le plus avantageux et le mieux adapté à leurs besoins et intérêts (ou à ce que leurs différents gouvernements conçoivent comme leurs propres intérêts).
Avinash Persaud, analyste réputé dans le monde de la finance et membre de l’Overseas Development Institute (Londres), abonde dans ce sens lorsqu’il écrit dans une lettre adressée au Financial Times : « Il ne fait aucun doute que la Chine est en train de faire de bonnes affaires en Afrique. Pour les Africains cependant la garantie de faire une bonne affaire ne se trouve certainement pas dans le respect d’un ensemble de standards externes, mais dans le choix du bailleur de fonds et de l’investisseur. J’ai pu observer de mes propres yeux le pouvoir bénéfique de la concurrence lorsqu’il s’agissait de financer des projets d’infrastructure » (2007).
Or, il va de soi que dans ce jeu, la Chine présente un avantage certain sur ses concurrents occidentaux. Son offre de développement est moins onéreuse et la concrétisation de ses projets, moins exigeants sur le plan des garanties que doivent présenter les gouvernements africains, plus rapide, ce qui suffit d’ailleurs à tempérer le reproche régulièrement fait à la Chine de pratiquer une concurrence déloyale ou de coloniser les secteurs de la construction publique en Afrique. « Qu’elle soit exacte ou non, notait ainsi un membre d’une ONG chinoise présent au Forum de Nairobi, l’image que les Africains ont des Chinois est qu’ils ne font pas les choses à moitié. Ils ne perdent pas leur temps en réunion. Ils vont de l’avant et construisent des routes » (cité par Bello, 2008).
Le président mozambicain Armando Guebuza ne disait pas autre chose en déclarant en 2006 : « Lorsqu’ils voient la Chine venir et adopter une approche qui contribue à l’amélioration de leur productivité, les Africains disent ’vous êtes les bienvenus’, car ces investissements et ces projets, tout particulièrement dans le domaine des infrastructures, contribueront à réduire notre problème de pauvreté » (cité in Chan-Fishel, 2007). Une lecture que ne démentirait pas non plus le président sénégalais Abdoulaye Wade, lequel voit les Chinois comme des partenaires commerciaux bien plus pragmatiques et efficaces que les « bureaucrates occidentaux » (Girouard, 2008).
Face à cette « pression compétitive » exercée par la Chine, le sentiment qu’ils sont en train de « perdre » l’Afrique est d’ailleurs palpable chez les pourvoyeurs traditionnels de l’aide. Derrière les professions de foi sur la bonne gouvernance et les exhortations en faveur du respect des droits de l’homme et de la démocratie, le souci d’une perte d’influence est bien réel. Aussi Philippe Maystadt, président de la Banque européenne d’investissement, a-t-il été jusqu’à réclamer une révision à la baisse des critères sociaux et environnementaux pour améliorer la compétitivité des entreprises européennes présentes sur le sol africain (Brautigam, 2009).
Outre l’effet déstabilisateur que la présence chinoise peut avoir sur les normes occidentales, cela en dit long aussi sur la cohérence des stratégies et la solidité des principes que prétendent défendre ces mêmes acteurs, ainsi que sur les intérêts qui inspirent leurs stratégies en Afrique. La dénonciation des pratiques de la Chine ne doit pas non plus masquer les liens étroits qui se sont créés entre firmes chinoises et firmes occidentales [4] .
...ou relation piégée ?
En dépit de la rhétorique chère aux autorités chinoises de « respect mutuel » et de partenariat économique et stratégique « gagnant-gagnant », il est difficile cependant d’envisager les relations sino-africaines comme une coopération réellement équitablement et mutuellement bénéfique. En témoignent les flux économiques entre les deux continents et la nature des investissements chinois, lesquels apparaissent structurellement déséquilibrés et potentiellement lourds de conséquences perverses pour l’Afrique.
Si la balance commerciale entre la Chine et l’Afrique est globalement positive pour cette dernière, une radioscopie plus précise des échanges entre les deux continents montre que 70% des importations chinoises proviennent de quatre pays seulement (Angola, Afrique du Sud, Soudan et Congo Brazzaville). Seuls 16 pays africains - tous exportateurs de pétrole et de minéraux - enregistrent en réalité un excédent commercial, tandis que 37 autres pays sont déficitaires. Plus significatif encore, les exportations africaines sont composées à 70% de pétrole et à 15% de minéraux, tandis que la Chine exporte vers l’Afrique pour 90% de produits manufacturés : textiles, chaussures, appareils électroniques, bicyclettes et motocyclettes, équipements divers, etc. (Chaponnière, 2008-b ; Hellendorff, 2010).
Autrement dit, la structure des échanges, mais aussi la destination des investissements chinois (dirigés essentiellement vers les secteurs minier et pétrolier) et la géographie de l’aide de la Chine à l’Afrique, concentrée surtout dans quelques grands pays exportateurs de matières premières et de pétrole [5] , confirment bel et bien l’attrait qu’exercent les ressources naturelles sur la République populaire. Ce constat contribue ainsi à accréditer l’idée que la Chine est venue en Afrique pour s’approprier, voire piller ses ressources, au mépris des droits élémentaires des populations, comme le laisserait également penser le soutien de Pékin à Khartoum et à Harare, lequel s’est traduit aussi par des ventes d’armes au gouvernement soudanais en pleine crise du Darfour et la livraison d’avions de chasse à Mugabe (Hellström, 2009 ; Hellendorf, 2011).
Pour autant, on ne peut accuser la Chine d’investir uniquement dans des pays autoritaires et peu respectueux des droits de l’homme. Au total, près d’une cinquantaine de pays africains, ceux qui reconnaissent le principe d’une seule Chine, sont bénéficiaires de l’aide et des investissements chinois et se sont vus accorder des remises de dette ou des tarifs commerciaux préférentiels (Brautigam, 2010). Dans des pays considérés comme « démocratiques » et pauvres en ressources, tels le Bénin ou le Ghana, les investissements chinois ont permis de relancer certaines entreprises locales très largement déficitaires, sans qu’un quelconque profit en soit tiré, tandis que dans d’autres, le commerce sino-africain a permis de doper considérablement les cours de plusieurs produits agricoles (coton, cacao, etc.) qui constituent bien souvent pour eux l’une des seules sources de revenu (De Loeul, 2007 ; Dohinnon, 2010 ; Tan-Mullins, Mohan, Power, 2010).
Quant à l’établissement de liens avec des régimes autoritaires ou semi-autoritaires, il n’est pas l’apanage de la seule Chine. Des compagnies occidentales et des firmes d’autres pays émergents opèrent également au Soudan et au Zimbabwe, tandis que les institutions financières internationales et les pays du Nord entretiennent elles aussi d’étroits liens avec des gouvernements qui ne se distinguent pas particulièrement par leurs pratiques démocratiques (Togo, Nigeria, Burkina Faso, etc.).
Enfin, la République populaire, tard venue sur le continent, n’a-t-elle pas été contrainte d’investir dans des pays dits « parias », les compagnies occidentales monopolisant déjà les marchés dans les autres pays, à l’instar de la France qui contrôle presque complètement le secteur de l’uranium au Niger ? (Delcourt, 2008)
Sur le fond, ce qui est réellement problématique dans la relation qui s’est tissée entre la Chine et l’Afrique, c’est qu’elle s’apparente dans sa structure à un rapport Nord-Sud classique. Même si le retour en force de la Chine a permis de réinsérer l’Afrique dans les flux formels du commerce international, de doper le cours des matières premières et de relancer une vague d’investissements dans son tissu productif et ses infrastructures déliquescentes, la relation sino-africaine ne va-t-elle pas in fine renforcer la place défavorable du continent dans la division du travail, en la cantonnant quasi exclusivement dans un rôle de fournisseur de biens primaires, conditions peu propices à l’amorce d’un véritable processus de développement ? En dépit des intentions affichées, la Chine n’est-elle pas entrain de reproduire un scénario bien connu en enfermant l’Afrique dans son statut de terre exploitée et exploitable à merci ? L’acquisition à grande échelle de terres par la Chine, pour la production d’agrocarburants notamment, ne risque-t-elle pas de compromettre la sécurité alimentaire et d’exercer une nouvelle pression sur la paysannerie, tout en réhabilitant le modèle agroexportateur ? Si elles permettent, grâce à leur bas coup, à davantage d’Africains d’avoir accès à de plus nombreux biens de consommation, les importations chinoises ne contribueront-elles pas finalement à laminer le secteur industriel local dans les rares pays où il a pu se développer (Afrique du Sud, Zambie, Cameroun, Gabon, Nigeria, etc.).
La République populaire apporte certes de nouvelles ressources financières et contribue via ses importations massives à l’accroissement des recettes des États africains, mais se pose ici la question de l’usage/répartition de ces nouveaux revenus. Et cette question est d’autant plus centrale que les contrats sino-africains sont négociés d’État à État dans la plus grande opacité. Les populations bénéficieront-elles en dernier ressort de cette nouvelle manne ? Ou cet apport, bien nécessaire à la relance du processus de développement et à l’amélioration du bien-être de la collectivité, ne bénéficiera-t-il au bout du compte qu’à une poignée de nantis ?
Enfin, l’exploitation à grande échelle de ressources naturelles soulève un problème de « durabilité ». Qu’adviendra-t-il en effet du continent lorsque ces ressources s’épuiseront du fait de leur exploitation intensive ? D’ores et déjà, plus de 60% des exportations de bois africain sont dirigées vers la Chine. Souvent accusées de pratiquer des coupes illégales, les entreprises chinoises se sont ainsi rendues responsables d’une bonne partie de la déforestation sauvage des couverts forestiers au Cameroun, au Gabon et aux Congo RDC et Brazzaville (Ngoubangoyi, Bwiti Lumisa, Kibelolo, Lachance, 2004).
Envers et revers de l’engagement chinois en Afrique
Plébiscité par la plupart des gouvernements et assez généralement bien accueilli par de nombreux intellectuels africains (sur le continent comme dans la diaspora) - les premiers voyant principalement la Chine comme un allié politique, un partenaire économique plus efficace et un bailleur de fonds moins exigeant ; les seconds surtout comme un moyen de briser les liens de dépendance vis-à-vis de l’Occident, d’enterrer le « consensus de Washington » ou encore comme une opportunité pour l’Afrique de retrouver le chemin du développement -, l’engagement chinois en Afrique n’en est pas moins l’objet de fortes critiques de la part d’organisations de la société civile africaine indépendante (syndicats, ONG, groupes de défense des droits de l’homme, mouvements paysans, etc. ), mais aussi d’un ressentiment et d’un rejet croissant au sein des populations.Un rapport récent de plus de 200 pages, publié par le Réseau d’études africain sur le travail à l’initiative de syndicats régionaux, dresse ainsi un tableau accablant des conditions et des relations de travail dans les entreprises chinoises opérant dans une dizaine de pays du continent : rémunérations insignifiantes, journées trop longues, éreintantes et non entrecoupées de pauses, généralisation des contrats temporaires, voire absence de contrat, conditions de logement déplorables pour les travailleurs, non-respect des standards minima de sécurité, hostilité envers les syndicats, multiplication des menaces et des pressions envers les ouvriers, mesures de coercition, rétention des paies, maintien des travailleurs africains dans des postes subalternes et sous-rémunérés, etc. Si les auteurs du rapport reconnaissent l’hétérogénéité des situations et le fait que ces formes d’exploitation n’ont rien d’inédites en Afrique, leurs conclusions n’en sont pas moins sans appel.
Contrastant avec la volonté souvent affichée par Pékin de bâtir une « société harmonieuse » (Hu Jintao), la plupart des firmes chinoises bafouent régulièrement les droits les plus élémentaires des travailleurs, en particulier là où les États n’ont ni les moyens ni la volonté de les faire respecter. Et les auteurs de pointer du doigt le mépris des entrepreneurs chinois pour les législations sociales locales, le contournement fréquent de ces dernières et la collusion étroite entre les firmes chinoises et les pouvoirs publics (locaux et/ou nationaux), lesquels n’hésitent pas à prêter main-forte aux employeurs pour mater toute velléité de révolte (Yaw Baah et Jauch, 2009). Une connivence et un dédain pour les droits des populations qui sont également mis en évidence dans le cadre des grands projets d’infrastructure financés par la Chine [6].
Les officiels chinois mettent souvent en avant l’efficacité de leur engagement en Afrique et la rapidité avec laquelle leurs projets prennent forme et se concrétisent. Mais ces projets, à l’exemple du barrage de Méroé, sont aussi conçus sans préoccupation aucune quant à leurs coûts sociaux et environnementaux. Peu sensibles aux conditions de travail et à l’impact social, environnemental et sanitaire de leurs activités, nombreuses sont aussi les entreprises chinoises qui exploitent les vides juridiques, les failles des législations nationales et la faiblesse des organismes de contrôle, là où ils existent, pour accroître leur marge de profits (Yaw Baah, Jauch, 2009).
Si la responsabilité et les défaillances des États africains doivent ici aussi être pointées du doigt, reste que le peu de considération des entreprises chinoises pour les droits des populations et les conséquences socio-environnementales de leurs activités alimentent la colère des milieux populaires africains et donnent lieu de plus en plus souvent à des formes diverses de résistance et de révolte. Des grèves ouvrières dans la région du cuivre en Zambie qui ont précédé la visite de Hu Jintao en 2007 aux irruptions populaires dans les villes du Congo, du Cameroun ou encore du Sénégal contre les commerçants chinois, accusés de voler le gagne-pain des vendeurs locaux, en passant par les attentas perpétrés par des groupes armés contre les intérêts et les travailleurs chinois dans le détroit du Niger..., nombre d’indices confirment la montée d’un sentiment « anti-chinois » au sein des populations, à mille lieues des déclarations enchantées des dirigeants chinois et africains.
De plus en plus nombreux en effet sont ceux qui en Afrique considèrent désormais la présence chinoise comme une présence prédatrice et comme une forme de colonialisme new look, bénéficiant de surcroît de la complaisance de gouvernements locaux fortement discrédités. Une image que vient renforcer l’établissement de liens « amicaux » avec des régimes autoritaires qui violent ouvertement les droits sociaux et politiques, brident et répriment toute forme d’opposition politique et tout mouvement populaire.
Certes, Pékin a longtemps justifié ces rapprochements et son attentisme par rapport au comportement de ses entreprises, en se retranchant derrière le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des États ou en évoquant son incapacité à surveiller les activités d’acteurs privés. Pourtant, à y regarder de plus près, cette rhétorique « non interventionniste » ne résiste guère à l’épreuve des faits. En témoigne entre autres la menace faite à la Zambie par la République populaire de retirer son aide en cas de victoire de Michel Sata, candidat de l’opposition aux élections présidentielles de 2006, lequel avait annoncé qu’il remettrait en cause les contrats signés avec la Chine. Cet exemple montre combien la nouvelle donne chinoise est également devenue un enjeu politique et électoral décisif en Afrique.
Prise de conscience et convergence
Face à l’exacerbation des conflits sociaux et environnementaux, à la montée du sentiment anti-chinois et à la multiplication des critiques internes et externes, la Chine prend de plus en plus conscience des difficultés inhérentes aux contextes africains et commence à se rendre compte qu’il en va de son intérêt de changer de posture. Aussi a-t-elle révisé ses stratégies de coopération et son approche générale par rapport à l’Afrique (Hellendorff, 2010, 2011 ; Hellström, 2009).Sans pour autant déroger aux grands principes qui guident son action, elle se montre davantage soucieuse qu’autrefois de réduire l’impact social et environnemental de ses projets et de l’activité de ses entreprises. Révélateurs de cette orientation nouvelle, les propos d’un gestionnaire d’une entreprise chinoise active en Éthiopie, lequel expliquait en 2007 : « Nous avions l’habitude de penser que nous devions seulement être amis avec le gouvernement. Maintenant nous nous rendons bien compte que nous devons aussi tisser des liens d’amitié avec les communautés où nous opérons » (cité par Hallendorff, 2010).
Ce changement de perspective s’est manifesté notamment par une série de mesures concrètes : adoption par l’Eximbank d’un cadre de référence intégrant plusieurs critères sociaux et environnementaux ; élaboration en 2007 par l’administration chinoise des forêts et le ministère du commerce d’un « guideline », incluant notamment l’obligation de consulter et de dédommager les communautés affectées par un projet, « guideline » que Pékin cherche maintenant à faire adopter par ses entreprises à l’étranger ; efforts réalisés pour assurer une plus grande transparence dans les projet et les contrats ; augmentation significative de l’aide en faveur de projets plus sociaux ou encore, importantes annulations de dettes [7] . Ce souci récent, combiné à la tenue de plusieurs réunions au sommet avec les bailleurs de fonds traditionnels, montre par ailleurs que la Chine tend à s’aligner de plus en plus sur les standards internationaux en matière de coopération et de responsabilité sociale et environnementale (Brautigam, 2009).
Davantage aujourd’hui qu’hier enfin, attachée à son image internationale et bien plus sensible aux pressions internes et externes, la Chine se montre résolue à endosser ses nouvelles responsabilités mondiales et entend participer pleinement à la résolution des conflits régionaux africains dans un cadre plus multilatéral. Aussi n’hésite-t-elle plus, en coulisse, à utiliser son énorme pouvoir de pression pour influer sur les décisions des gouvernements de la région. Cela étant, notons qu’elle demeure, dans le même temps, l’un des principaux fournisseurs d’armes à l’Afrique (Hellendorff, 2011).
Conclusion : une perspective africaine
La Chine représente-t-elle une menace ou une opportunité pour l’Afrique ? La réponse a cette question formulée en termes binaires doit être nuancée si l’on privilégie une lecture pluridimensionnelle, tenant compte de la multiplicité des points de vue et intégrant différents niveaux d’analyse. Un telle lecture doit d’emblée écarter toute opinion arrêtée et tout avis définitif.A l’évidence, la présence croissante de la Chine en Afrique offre à cette dernière l’opportunité de desserrer les liens de dépendance qui la lient encore étroitement aux anciennes puissances coloniales et aux institutions financières internationales. En plus de contribuer à l’élargissement de l’espace politique, les nouveaux liens qui se sont tissés entre la Chine et l’Afrique permettent de réduire la pression financière qui pèse sur les États africains, lesquels retrouvent des marges de manœuvre budgétaire que les ajustements structurels leur avaient retirées.
Du statut de quémandeurs passifs soumis aux directives et aux exigences des institutions financières internationales et des bailleurs bilatéraux, les pays africains sont passés ainsi à celui d’acteurs actifs dans la partie, voire d’arbitres dans la compétition que se livrent les grandes puissances. Assurément, après avoir subi plus de vingt ans durant une cure d’amaigrissement imposée, les États africains recouvrent de nouvelles marges de souveraineté et sont plus à même, du fait de l’appui financier de la Chine, de prendre part à un processus de développement plus autocentré et moins dépendant de recommandations externes.
Pour autant, s’il est potentiellement profitable aux pays africains, l’ouverture de ce nouvel espace d’action et de décision ne garantit en rien l’amorce d’un développement qui soit à la fois profitable aux populations et durable. D’abord parce que, quoi qu’en disent les officiels chinois et africains, le rapport économique qui s’est tissé entre la Chine et l’Afrique relève ni plus ni moins d’une configuration Nord-Sud. Malgré les bénéfices économiques bien réels tirés d’une telle relation, l’Afrique reste confinée dans son rôle exclusif de fournisseur de matières premières. La possibilité pour le continent de sortir d’une relation dans laquelle l’avaient placée les anciennes puissances coloniales est donc encore des plus hypothétiques.
Ensuite parce que les liens noués entre la Chine et l’Afrique sont de nature élitiste, Pékin privilégiant avant tout une coopération d’État à État, sans préoccupation aucune quant à la manière dont le partenaire utilise les fonds. Or, les États africains ont souvent fait preuve de leur incapacité à assurer une véritable redistribution. Monopolisés par des oligarchies, autoritaires ou semi-autoritaires, nombre d’entre eux se caractérisent précisément par leur manque de sensibilité aux demandes et besoins de leur population. Sans une modification des structures du pouvoir en Afrique qui puisse déboucher sur l’ouverture d’espaces politiques permettant l’expression de l’ensemble des acteurs nationaux et garantissant leurs droits élémentaires, il est en effet permis de douter que les populations tirent un réel bénéfice de la relation sino-africaine.
La plupart des spécialistes s’accordent d’ailleurs pour dire que le modèle chinois n’est guère transposable en Afrique et que seule l’émergence d’un espace d’inclusion politique, de contrôle et de participation pourra assurer que les revenus et recettes dégagés de ce rapprochement sino-africain ne soient pas détournés vers d’autres fins que l’amélioration des conditions d’existence de l’ensemble de la population. Ceci dit, il n’appartient pas à des acteurs externes, mais aux Africains eux-mêmes de créer et de définir la nature de ces espaces. De même qu’il leur appartient, une fois garantie l’intégration de l’ensemble des acteurs nationaux, de se choisir et de définir les stratégies de développement qui répondent le mieux aux aspirations et aux besoins de la collectivité.
Quand bien même serait-il transposable à l’Afrique, le modèle chinois, fondé sur l’exploitation à outrance des matières premières et faisant primer les objectifs de croissance économique sur toute autre considération (politique, sociale ou environnementale), n’est guère viable à moyen et long terme. S’il enivre ou exalte les dirigeants et de nombreux intellectuels africains, qui le considèrent comme une alternative au « consensus de Washington » et à l’agenda de développement des bailleurs de fonds traditionnels, le modèle chinois est un modèle en trompe-l’œil.
Derrière les discours légitimateurs, l’engagement chinois en Afrique et les formes de coopération privilégiées par la Chine poursuivent, sous des modalités différentes, quasiment les mêmes finalités économiques que les stratégies occidentales. S’il est marqué du sceau de la « réussite » et reconnu comme tel par de nombreux Africains, dans sa logique d’exploitation et ses conséquences, le modèle chinois en effet ne se distingue pas vraiment – ou très peu – du modèle de développement occidental. Sous certains aspects (conditions et relations de travail), il est même pire encore. Dans cette perspective, opposer les deux modèles et en évaluer les avantages et les inconvénients ne se révèle pas être la démarche la plus pertinente.
Bien plus que le choix entre deux modèles, il importe surtout à l’Afrique de se choisir sa propre voie de développement en fonction de ses propres besoins et de ses propres perspectives d’avenir. « Indéniablement, explique Kwessi Kwaa Prah, la Chine se rapproche de l’Afrique dans la perspective de satisfaire ses propres intérêts - ou du moins ce qu’elle considère comme relevant de son intérêt – et ces intérêts ne recoupent pas nécessairement ceux de l’Afrique. Il y a là quelque chose que les Africains doivent bien avoir à l’esprit. Il ne sert à rien de pointer du doigt tantôt l’Ouest, tantôt la Chine. Ce que les Africains doivent faire c’est construire eux-mêmes leur histoire, et y prendre part du mieux qu’ils peuvent et dans leurs propres intérêts » (2007).
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Notes
[1] Réunion trisannuelle entre dirigeants chinois et africains, lancée en 2000 à l’initiative de Pékin. La deuxième rencontre a eu lieu à Addis-Abeba en Éthiopie (2003), la troisième à Pékin (2006) et la quatrième à Sharm el-Sheikh en Egypte (2009).
[2] La Chine ne communique guère ou très peu sur l’aide qui est fournie à l’Afrique. A cette opacité vient s’ajouter le fait que Pékin insère dans la rubrique aide des formes de coopération ne relevant pas à proprement parler de l’aide au développement. Il en va ainsi notamment de la coopération militaire ou de financements accordés aux entreprises chinoises. On peut toutefois estimer que l’aide chinoise à l’Afrique, d’après les critères du CAD, tourne aujourd’hui autour de deux milliards de dollars annuels, un montant que la Chine devrait fortement accroître dans les prochaines années (Cf. Tan-Mullins, Mohan, Power, 2010 ; Chaponnière, 2008-b ; Guérin 2008).
[3] La liaison de l’aide n’est pas une spécialité chinoise ni une pratique nouvelle. Bien que les bailleurs de fonds occidentaux se soient donnés pour objectif de rompre cette liaison, une bonne partie de leur aide demeure liée. Ainsi, en 2008, près de 80% de l’aide états-unienne et des contrats étaient liés à l’ « achat » de biens et de services à des entreprises et ONG états-uniennes ; 90% de l’aide italienne bénéficie à des entreprises et experts italiens ; 60 à 65% de l’aide canadienne, et une proportion plus importante encore des aides japonaise, allemande et française est toujours liée à l’achat de biens nationaux (Davies, Jansson, 2008).
[4] Un simple regard sur les pratiques de ces dernières ainsi que sur celles d’institutions financières occidentales suffit à montrer qu’elles sont loin d’avoir le monopole de la vertu. Ainsi, le prêt concédé en 2004 par la Chine à l’Angola a suscité dans le monde occidental une avalanche de critiques en raison du fait que le gouvernement n’avait auparavant pas respecté ses engagements vis-à-vis des organismes internationaux et des conditions imposées par ces derniers pour bénéficier de nouveaux crédits et d’une nouvelle réduction de dette. La Chine a alors été accusée de jouer un rôle de « passager clandestin », en sabotant les efforts de la communauté internationale pour réduire la dette de l’Angola. Or, il n’est pas inutile ici de rappeler que jusque-là, des compagnies financières privées occidentales accordaient d’importants crédits au gouvernement angolais, à des taux souvent bien supérieurs à ceux des Chinois, et ce sans pour autant déclencher des cris d’orfraie. L’exemple du Soudan est tout aussi significatif. Si la Chine est accusée d’investir massivement dans ce pays et d’entretenir avec le gouvernement El-Béchir des relations amicales, les entreprises chinoises opérant au Soudan y côtoient des firmes anglaises, états-uniennes, italiennes, japonaises, indiennes, russes ou canadiennes ! (Brautigam, 2009).
[5] Ainsi en 2004-2005, sur le montant total de l’aide versée à 17 pays africains, soit 5,124 milliards de dollars, près de 68% a été versé à seulement 4 pays : Soudan, Algérie, Nigeria et Angola (Chaponnière, 2008-b).
[6] Ainsi, souvent prise en exemple, la construction du barrage de Méroé au Soudan (2003-2008), financée par la Chine et impliquant des entreprises de construction chinoises, s’est accompagnée du déplacement forcé de milliers de personnes (des paysans pour la plupart, relogés dans des conditions précaires sur des terres peu fertiles), et de l’assassinat de dizaines de protestataires (Askouri, 2007).
[7] Lors du dernier sommet du Focac à Sharm el-Sheikh en 2009, lequel était officiellement axé sur le thème d’une amélioration des conditions de vie de la population, Pékin a ainsi annoncé le doublement de ses prêts à l’Afrique ; une ligne de crédit de 1 milliard de dollars destinée à soutenir les petites et moyennes entreprises africaines ; l’annulation des dettes des pays africains les plus pauvres, la construction d’une centaine de projets de production d’énergie dits durables (énergie solaire, biogaz et petites centrales hydroélectriques), une baisse des droits de douane sur 95% des produits africains importés par la Chine, l’établissement d’une centaine de projets commun en recherche et développement, la distribution d’une centaine de bourses postdoctorales à des scientifiques africains désireux de poursuivre leur projet de recherche en Chine, la fourniture à une trentaine d’hôpitaux et dispensaires africains d’équipements et de médicaments pour lutter contre la malaria, la formation de près de 3000 médecins et infirmières et de 1500 enseignants, la construction d’une cinquantaine d’écoles, etc. (cf. www.focac.org).
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