La 5ème édition du Tunis Forum s’est tenue, ce vendredi 7 juillet 2017 à la Maison de l’Entreprise, sous le thème «Tunisie – Chine : un partenariat d’avenir».
L’événement organisé par l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE) a vu la présence de plusieurs ministres, députés, politiciens et personnalités influentes de la sphère économique nationale et internationale.
Dans son allocution, le président de l'IACE, Ahmed Bouzguenda, a estimé que l’une des voies pour la Tunisie de remonter la pente, outre la consolidation des partenariats existants, est d’établir de nouvelles associations. Il a souligné que la Tunisie enregistre le tiers de son déficit commercial avec un seul partenaire, la Chine. Un déficit marqué par un volume d’importation égale à 60 fois des exportations.
M. Bouzguenda a noté que la Chine a supplanté les Etats-Unis en tant que premier exportateur mondial de marchandise. Elle est positionnée deuxième dans le Top 20 mondial des pays sources des IDE, juste derrière les Etats-Unis. « L’initiative de la Route de la soie, lancée en septembre dernier, constitue une nouvelle vision de la globalisation et des relations économiques internationales et qui a pour objectif de renforcer la connectivité de la Chine avec l’espace eurasiatique et l’Afrique. La Tunisie doit trouver sa place dans cette roue de la soie », a-t-il relevé.
Pour sa part, le coordinateur du Tunis Forum, Ahmed El Karm a fait trois constats important. Premier constat, la Chine est la deuxième économie mondiale et première puissance financière, les réserves de la Banque populaire de Chine (équivalent de la BCT) s’élève à quelque 1.000 milliards de dollars. Il a estimé que les relations entre la Tunisie et cette puissance économique et financière ne sont pas à la hauteur de «nos espérances». Ces relations font ressortir un déficit de la balance commerciale de l’ordre de 3 milliards de dinars. Devant ce constat, il faut agir et profiter de l’envol de l’économie chinoise et essayer d’établir des relations plus profondes avec la Chine.
Deuxième constat, la Tunisie passe par une situation de mutation profonde : il faut stabiliser l’économie, réduire le déficit budgétaire courant, sans recourir à l’endettement excessif. «Nous avons besoin de relance, les jeunes tunisiens au chômage ne peuvent plus attendre, et pour l’emploi, il faut de l’investissement et pour l’investissement il faut des financements, mais la Tunisie n’a pas assez de fonds», précise-t-il.
Troisième constat, la Chine peut offrir une solution à notre pays, forte de sa puissance économique. La Tunisie peut bénéficier de la stratégie chinoise de le route de soie, notamment du Fonds d’investissement réservé à la route de la soi qui à pour dotation initiale 50 millions de dollars
Le ministre du Développement, de l'Investissement et de la Coopération internationale, Fadhel Abdelkefi, a indiqué, quant à lui, que la Tunisie a fait une transition politique compliquée, qui a, à son tour, engendrée une situation économique compliquée : en six ans, le budget est passé de 18,6 milliards de dinars à plus 32 milliards aujourd’hui et projette de passer à un budget de 36 milliards de dinars. «Nous avons doublé de budget en 6 ans, alors que les principaux moteurs de l’économie pendant une période de 2 à 3 ans se sont complètement arrêtés ou ont tourné au ralenti, ce qui a créé un déficit abyssal», a-t-il constaté, tout en affirmant : «Je pense que l’Etat avec peu de moyens a joué son rôle». Il a souligné : «Nous refusons l’austérité, nous sommes capables de repenser la manière de financer l’économie, notamment en recourant au partenariat public-privé».
Pour lui, la Chine a compris que la Tunisie peut être une porte d’entrée pour l’Afrique, grâce à sa position géographique. «Nous voulons aligner nos intérêts avec nos amis chinois, pour un partenariat win-win : une situation dans laquelle des entreprises chinoises s’installeraient en Tunisie, feraient travailler les Tunisiens, permettra à la Tunisie de bénéficier de transferts de capitaux et permettre à nos amis chinois d’ouvrir des marchés européens et dans l’Afrique subsaharienne». Pour finir son speech avec une note positive, le ministre a déclaré : «Je suis extrêmement confiant pour l’avenir économique de notre pays. Le plus dur, la transition politique, a été fait mais doit être consolidé».
Jean-Pierre Raffarin, présent à l’occasion du Forum, a estimé pour sa part que les deux pays sont faits pour s’entendre. Il a précisé que la Chine fait de l’Afrique une perspective de sa stratégie de la route de la soie : « la logique de faire de la Tunisie une plateforme doit rapprocher les deux pays. Les deux pays doivent miser sur une stratégie en amont et associé leur matière grise dans des clusters et des projets en commun ».
Le directeur exécutif SICO (Silk Road International Cultural and Economic Cooperation organization pour la région du bassin méditerranéen, Mohamed Sahby Basly, a souhaité, pour sa part, que la Tunisie joue un rôle proéminent dans la nouvelle stratégie chinoise qui ambitionne de faire de la Méditerranée une région centrale et une plateforme d’échange.
L’étude faite par l’IACE a permis d’infirmer des idées reçus en Tunisie sur la qualité des échanges avec la Chine, de comprendre la stratégie de la Chine à l’internationale et d’en tenir compte dans la proposition de la stratégie tunisienne de coopération. La première fausse idée consiste à croire que les importations de la Chine sont principalement des produits finis de qualité moindre. Faux, les importations tunisiennes de la Chine ont enregistré un changement radical. Les importations tunisiennes comportent des biens d’équipements dont 80% ont un contenu technologique moyen ou élevé. Des chiffres qui concernent l’importation légale.
Plus de 70% des entreprises chinoises sont détenues par des capitaux privés. Le pays est émetteur d’IDE avec 35 milliards de dollars d’investissement en 2015. Deuxièmement, les entreprises chinoises qui s’installent à l’étranger font appel à la main d’œuvre locale. La hausse du pouvoir d’achat des chinois a fait de la Chine le 1er marché émetteur de tourisme, selon le critère du nombre et des dépenses touristiques.
Parmi les éléments de stratégie pour l’intégration de la Tunisie à la nouvelle route de la soie, l’IACE préconise plusieurs mesures, certaines à court terme et d'autres à moyen terme. Elle conseille de renforcer la présence diplomatique et consulaire de la Tunisie en Chine, de nouer des relations avec les provinces chinoises et non pas uniquement avec le pouvoir central, et d’être présent sur la place financière de Hong-Kong.
Elle recommande également d’investir dans des industries lourdes et à fort potentiel technologique, notamment le secteur automobile (assemblage), celui de la fabrication des panneaux photovoltaïques, celui du montage et de l’assemblage de gros matériel roulant (bus, locomotives, rames, voitures pour les trains, métros et tramways), et qui pourraient intéresser certains groupes chinois. Elle appelle à multiplier les associations avec les chinois pour de futurs investissements, notamment celles de modernisation ou d’extension et d’élargissement de la gamme de produits du GCT et cela aussi bien à Gabes que dans le bassin minier.
L’IACE conseille également d’associer les chinois dans des projets d’infrastructure et d’aller lever des capitaux par l’Etat Tunisien sur le marché chinois, tout en encourageant la présence des banques chinoises en Tunisie (AIIB, la banque asiatique d’investissement pour les infrastructures. Elle recommande aussi la création de dessertes entre les deux pays, d’encourager les grandes chaines hôtelières chinoises à rentrer en partenariat (rachat ou location-gérance) avec des partenaires tunisiens notamment à Djerba ainsi que la création de chaines de grand luxe pour la vente en détaxe (Tunis, Hammamet, Sousse et Djerba).
Au cours de ce forum, 3 conventions de partenariats entres des opérateurs privés tunisiens et chinois ont été signés, elles englobent une enveloppe de plus de 1.200 milliards de dinars.
La première convention a été signée entre l’ICBC (Industrial and Commercial Bank of China) et Groupe Loukil. Il s’agit du projet du Tunisia Africa Mall qui sera situé au Tunis Financial Harbor, à El Hassiène à Raoued. Bassem Loukil a précisé qu’après avoir reçu l’aval de Gulf Financial House, le promoteur du mégaprojet, le groupe Loukil s’est mis à la recherche de partenaires financiers. Les chinois étaient partants pour le projet dès la première rencontre. L’ICBC va financer le centre commercial pour un montant de 65 M$ ainsi que le centre d’affaires et le centre hôtelier pour un montant de 55 M$. Le centre commercial va employer 600 et 1.000 personnes. Il va offrir la possibilité d’avoir des franchises internationales sans partenaire local. Le démarrage des travaux est prévu pour la fin du 3ème ou le début du 4ème trimestre 2017.
Le deuxième accord-cadre a été conclu entre l’ICBC, première banque privée en Chine et dans le monde, et Amen Bank. Selon Ahmed El Karm, il porte sur 3 éléments essentiels : donner des lignes de crédits à l’Amen Bank pour financer des projets, octroyer des crédits pour financer des entreprises tunisiennes qui veulent s’installer en Afrique, entrer en commun avec l’Amen Bank dans le financement de grands projets qui touchent le partenariat public-privé, les grands projets d’infrastructure , les projets d’économie d’énergie, les projets miniers et pétroliers, les projets de pétrochimie (tout type de projet qui a besoin du soutien financier d’un partenaire chinois).
«Amen Bank va essayer de drainer des capitaux. Un protocole pas limitatif, ni sectoriel ni opération. Chaque fois qu’on a un projet intéressant, on le propose à la banque chinoise. Pas de montant fixe, avec un protocole souple qui dépend des projets et ouvert à tout type de projet quelle que soit sa taille et tout type de durée quelle que soit son importance selon la maturité du projet», a-t-il expliqué.
Le troisième accord a été conclu entre Huwaei et Siame (Société industrielle d'appareillage et de matériels électriques), pour le développement d’une solution de smart metring, de comptage intelligent, destinée en premier lieu pour la STEG et qui permettra de transmettre les données à distance par le réseau électrique, sans intervention humaine. Il s’agit d’un partage de tâches entre les deux signataires : la SIAME va fabriquer le compteur et Huawei va fournir les modules de communication. Le coût global est estimé de 2 milliards de dinars. La solution sera proposée en septembre 2017 à la STEG qui décidera du programme d’implémentation.
La Chine a lancé le projet de la nouvelle route de la soie, un maillage d'infrastructures diverses pour faire émerger un empire commercial sur l'ensemble des continents. La Tunisie pourrait faire partie de cette nouvelle stratégie, si elle sait se vendre.
Imen Nouira
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