J’ai assisté le mois dernier à une conférence intitulée : « Les relations Chine - Afrique : quels impacts pour le continent africain et quelles perspectives ? » et organisée par l’Agence Française de Développement (AFD). C’est donc pour moi l’opportunité de faire un point sur l’impact des investissements chinois en Afrique et par cette occasion, de démonter quelques idées reçues. Les experts présents lors de la conférence étaient messieurs : Henri-Bernard Solignac-Lecomte, économiste au centre de développement de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), Jean-Jacques Gabas, économiste et chercheur détaché au CIRAD, Dr. Roland Amoussou-Guenou, enseignant de droit à Asian Institute of Technology et Thierry Paulais, directeur adjoint du département Afrique de l’AFD.
Lorsqu’on examine les relations entre la Chine et Afrique, il y a toutes sortes de réactions. Certains parlent de pillages de ressources, de recolonisation de l’Afrique tandis que d’autres voient en la Chine, une opportunité de développement pour le continent africain. Prédation ou bénéfice ? Là est toute la question !
La Chine vue comme une dévoreuse de matières premières
© PieR Gajewski
Premièrement, il est important de replacer les investissements chinois dans leur contexte. Aujourd’hui, nous assistons à un basculement économique vers l’est. En effet, si pendant des années, le centre de gravité économique mondial (calculé en donnant à chaque pays un poids proportionnel à son PIB) s’est déplacé de l’est vers l’ouest et vers les États-Unis. Il se déplace maintenant vers l’Asie grâce à l’émergence de la Chine et de l’Inde comme nous pouvons le voir sur cette carte réalisée par le McKinsey Global Institute. Le basculement vers l’est date déjà des années 50, mais aujourd’hui le centre se déplace de plus en plus rapidement vers l’est, entrainé par la croissance économique chinoise.Cette croissance est depuis des années, supérieure à 10% alors que les pays européens sont toujours en récessions depuis la crise de 2008 et que les États-Unis retrouvent seulement des taux annuels qui avoisinent 2%. Pour alimenter cette croissance, l’empire du milieu a besoin de matières premières en quantités phénoménales. Il ne faut pas oublier que la Chine c’est 20% de la population mondiale (1,35 milliards d’habitants) et seulement 9% des terres arables de la planète. L’Afrique, quant à elle, avec une population de 1,07 milliards pour une surface de 30 millions de km² (soit trois fois la superficie de la Chine) dispose des ressources dont les pays asiatiques émergents ont besoin (matières premières, terres, eau, …).
Outre le basculement économique du monde, nous assistons aussi aujourd’hui à une certaine émergence de l’Afrique, puisque la majorité des pays du continent connaissent des taux de croissance économique compris entre 5 et 10%. Cette émergence se traduit par une hausse du commerce entre l’Afrique et le reste du monde. En effet, entre 2000 et 2011, la part de l’Afrique dans les échanges mondiaux a triplé, passant de 2 à 6%. Dans la même période, les échanges avec la Chine ont quant à eux quadruplés. En 2011, les échanges entre les deux pays représentent 166 milliards de dollars. Ces deux éléments : ouverture des économies africaines au monde depuis la libéralisation des années 90 et l’émergence de l’Asie, font que la Chine est aujourd’hui de plus en plus présente en Afrique. A cela s’ajoute un important facteur géopolitique : la Chine veut montrer au monde sa puissance et affirmer sa position de seconde économie mondiale.
Aujourd’hui, la Chine n’est pas la seule à se rapprocher de l’Afrique, toute l’Asie suit le mouvement, on le remarque au travers notamment des exportations de riz. En effet, 55% des exportations thaïlandaises de riz vont vers l’Afrique. Le Nigéria et l’Afrique du Sud sont les principaux pays importateurs représentant à eux deux un marché de plus de 210 millions de consommateurs.
Il ne faut toutefois pas penser que la présence de la Chine en Afrique est une nouveauté, puisqu’en 1950 pendant la guerre froide, l’empire du milieu menait déjà des projets sur le continent dans des pays socialistes (Tanzanie, Mali, …). Ce qui est nouveau, c’est la vitesse de développement des projets chinois en Afrique. En 2001, la Chine était présente dans 5 pays africains, elle l’est aujourd’hui dans plus de 40 pays sur les 54 que compte le continent.
Au niveau de l’impact de la présence chinoise en Afrique, les chercheurs de l’OCDE ont trouvés qu’il y avait une importante complémentarité entre les apports de l’aide publique au développement (APD) d’un coté et les prêts chinois de l’autre. En effet, l’argent de l’APD est à 66% destiné aux secteurs sociaux (soins de santé, éducation, …), tandis que 60% des fonds chinois sont affectés à des infrastructures économiques (routes, ports, usines, …). L’Afrique manque cruellement d’infrastructures (ponts, routes, …) et ce marché est énorme. Les besoins africains sont estimés à plusieurs milliards de dollars par an. En 2006, l’Union Africaine déclarait que le continent avait besoin de 250 milliards de dollars pour les dix prochaines années afin de palier à son manque d’équipements. Les pays émergents, tel que la Chine, sont particulièrement bien placés pour répondre aux besoins africains puisque les leaders mondiaux de la construction et des travaux publics sont Chinois (ex : China State Construction Engineering ou China Railway Engineering Corporation). Au Congo aujourd’hui, la majorité des infrastructures (autoroutes, ports …) sont chinoises. Le mode de fonctionnement chinois est celui des échanges : X millions d’investissements dans les infrastructures contre X millions en ressources et matières premières.
Construction du siège de l’Union Africaine offert par la Chine à l’Afrique (AFP)
En plus d’apporter des infrastructures, les Chinois créent aussi de nombreuses usines, fabriques et entreprises sur le continent. Ces dernières sont très importantes pour le continent puisqu’un des grands problèmes de beaucoup de pays africains est l’absence de création de valeur ajoutée. La plupart des pays vendent leurs ressources sans transformations et donc à faible prix. Exemple : Vous cultivez du cacao en Côte d’Ivoire, et vous le vendez sans transformation. Son prix sur les marchés est de 1427 dollars la tonne, soit 1,427 dollars le kilo. Nestlé vous achète le cacao, le transforme dans une usine en Europe et vend ensuite ses boîtes de Nesquik à 10 dollars le kilo. Il faut déduire de cela les coûts de production : les salaires des salariés de Nestlé, le packaging, etc. Mais Neslté crée de la valeur ajoutée en transformant le produit. Les usines et entreprises chinoises en Afrique sont aussi créatrices d’emplois et ceux-ci sont particulièrement recherchés dans les pays africains.Une critique qui revient souvent à l’encontre de la présence chinoise en Afrique est la confiscation des terres arables, autrement appelée accaparement des terres. Mais contrairement à ce qu’on pourrait penser, les accaparements fonciers chinois sont très faibles. La Chine n’est que 7 ou 8ème dans le classement des plus grands accapareurs, loin derrière les monarchies du golfe (Qatar&Co). Il faut faire très attention entre les annonces journalistiques et la vérité sur le terrain. On parlait par exemple de 60 000 hectares au Sénégal pour planter du sésame, après des essais sur 10 hectares, le projet a été abandonné car les résultats ne suivaient pas. Au sujet de l’accaparement des terres, tous les intervenants étaient d’accord sur le fait qu’il manque des études sérieuses sur le sujet. Donc si des futurs mémorants ou doctorants lisent ces lignes, je suis certain que qu’il y aurait moyen d’obtenir des crédits et un encadrement pour des études de cas en Afrique.
Il y a tout de même quelques ombres au tableau. Les entreprises chinoises sont particulièrement opaques et on ne sait pas toujours ce qui s’y passe (respect des droits de l’homme, normes environnementales, …). Dans certains pays, la présence chinoise force les entreprises étrangères à quitter le pays par un mécanisme d’éviction, les conditions (en termes de normes sanitaires, environnementales, sociales, ...) chinoises sont plus avantageuses que les conditions françaises, trop exigeantes. Les Chinois sont aussi là uniquement pour faire des affaires, et ne mettent pas le nez dans la politique. Ca ne les dérangent pas, par exemple, de traiter avec le Soudan d’ Omar Hassan Ahmed el-Béchir, pourtant sous mandat d’arrêt international depuis 2009 pour crime de guerre. Enfin, ce n’est de toute façon pas la Chine qui va donner des leçons de démocratie… Rappelons-nous aussi qu’après les indépendances africaines, les pays occidentaux n’avaient aucun soucis à traiter avec les despotes africains, et facilitaient même leur installation au pouvoir, qu’à cette époque, les matières premières africaines prenaient la direction de l’occident et non de l’orient …
Mais les Chinois évoluent toutefois dans le bon sens. Les divergences entre les conditions chinoises et internationales diminuent et il faut continuer à travailler dans ce sens là. Ils comprennent bien que c’est dans leurs intérêts de respecter les normes sociales et environnementales internationales s’ils veulent faire du commerce durablement.
Les relations entre l’Afrique et la Chine sont donc loin d’une recolonisation. Les deux protagonistes y trouvent des avantages. Il ne faut pas voir les Chinois comme des méchants profiteurs et les africains comme des êtres sans défense, se faisant plumer par le dragon asiatique. Les africains sont malins, et ont aussi des capacités de réaction. Pour conclure, voici une anecdote de monsieur Henri-Bernard Solignac-Lecomte sur la capacité de réaction africaine : Un jour de marché à Brazzaville, capitale de la république du Congo, des Chinois ont débarqué avec un container de réchauds et l’ont vendu à un prix très bas par rapport au prix que proposait les vendeurs congolais. Ces derniers, qui ne vendaient donc plus rien, se sont réunis et ont décidé d’acheter tout le stock chinois d’un coup. Ils ont ainsi créé de la rareté, faisant augmenter le prix et ils ont fait des bénéfices.
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