Par Daniel Pingeot.
Le Président du Comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois, Yu Zhengsheng, s’est rendu en terre gabonaise mi-avril pour une visite prolongée. Il s’agissait pour le plus haut conseiller politique chinois en Afrique de la première étape d’une tournée sur le continent. Le choix du Gabon pour ouvrir ce voyage n’est pas anodin, les deux pays affichant une amitié ancienne et solide, fondée sur une forme de respect mutuel qu’on a peu l’habitude d’associer à la présence chinoise en Afrique. Et pourtant…
Le président du Comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC), Yu Zhengsheng, s’est rendu au Gabon il y a quelques jours. Il y a rencontré le chef de l’Etat, Ali Bongo Ondimba, ainsi qu’un certain nombre d’élus. Pour la présidente du Sénat, « le choix du Gabon comme première étape de (sa) tournée africaine (…) traduit le soutien de la Chine, à l’heure où la crise économique, exacerbée par la chute du prix du baril de pétrole, secoue le monde dans ses plus solides fondements. » Avant son départ, le président du CCPPC s’est rendu à la Zone économique à régime privilégiée (Zerp) de Nkok, ou il a pu prendre connaissance du développement de cette zone franche où sont déjà présentes quelques entreprises chinoises.
Ce redoublement d’attentions couronne une amitié de pas moins de 42 ans. La Chine est en effet un partenaire privilégié du Gabon – elle est le troisième fournisseur du pays avec un volume d’importation de 8,6% et son premier client avec un volume d’exportation égal à 14,2%. Depuis l’établissement des liens diplomatiques entre les deux pays le 20 avril 1974, les relations sino-gabonaises se développent de façon durable et stable. Ces liens se sont renforcés depuis 5 ans sous l’action du directeur de Cabinet du Président Ali Bongo, Maixent Accrombessi, qui a tissé de nombreux partenariats entre les deux pays, menant notamment au financement, à la conception et à la construction des stades de Port-Gentil et d’Oyem. La présence de la Chine est visible à travers la forte implication d’une trentaine d’entreprises opérant dans l’exploitation pétrolière (Addax, Sino Gabon), l’exploitation minière (CICMHZ qui exploite le gisement de manganèse de Ndjolé), le bois et l’industrie du bois, l’hôtellerie, la restauration, la pêche et le secteur du sport. La Chine a construit deux hôpitaux dans le pays, où opèrent des coopérants chinois. Elle a également construit deux écoles primaires au Gabon et s’apprête à en faire sortir d’autres de terre.
Le Gabon n’est cependant pas le seul pays africain à qui Pékin fait les yeux doux. En quelques années, la Chine est devenue le premier investisseur du continent, convoitant des richesses dont le pays a besoin pour son développement. Il y a premièrement la motivation énergétique : les sols africains sont riches de 10% des réserves mondiales de pétrole. Etant donné que la Chine est très énergivore, elle entretient des relations étroites avec les pays pétroliers du continent – dont le Gabon fait partie. Il y a aussi une motivation minière : ce qui l’intéresse particulièrement, ce sont les minerais stratégiques (or, titane etc.) que l’on trouve notamment en Afrique australe (Zimbabwe, Afrique du Sud etc.). Le dernier facteur est d’ordre commercial. Le continent africain, c’est un milliard de consommateurs, et une démographie galopante. En mai 2014, le premier ministre chinois, Li Keqiang, s’est fixé pour objectif un doublement des échanges commerciaux à 400 milliards de dollars d’ici à 2020.
L’appétit chinois à l’égard des matières premières africaines n’a pas de limite : les minerais, le pétrole, la faune et la flore sont exploités de façon intensive, sans considérations durables. C’est le cas par exemple du bois, dont 75 % de la production part pour la Chine. Ainsi, entre 2000 et 2013, près de neuf millions d’hectares de forêts ont disparu sur le continent
Mais la présence chinoise en Afrique n’est pas toujours bien perçue. Doux euphémisme. L’empire du Milieu s’avère bien souvent un partenaire glouton, dévorant sans état d’âme les ressources du continent, au risque de le laisser exsangue. L’appétit chinois à l’égard des matières premières africaines n’a pas de limite : les minerais, le pétrole, la faune et la flore sont exploités de façon intensive, sans considérations durables. C’est le cas par exemple du bois, dont 75 % de la production part pour la Chine. Ainsi, entre 2000 et 2013, près de neuf millions d’hectares de forêts ont disparu sur le continent. Et cette exploitation n’est pas toujours faite dans la légalité : selon l’Institut international pour l’environnement et le développement (IIED), 90 % du bois du Mozambique part ainsi pour la Chine, la moitié provenant d’exploitations illégales. Le bois est exporté brut vers la Chine où il est transformé avant d’être réexporté essentiellement vers l’Europe, parfois même, et de plus en plus, vers l’Afrique ! Dans un article sur la Chinafrique de juillet 2015, Thierry Vircoulon et Victoria Madonna, deux chercheurs de l’Institut français des relations internationales, relèvent ainsi la concurrence très forte des produits chinois sur les marchés intérieurs africains.
Certes, la présence chinoise a vu le PIB de nombre de pays africains augmenter. Le problème, c’est que cette bonne nouvelle a un pendant moins heureux. L’exploitation par la Chine des ressources africaines peut s’avérer dévastatrice, comme en Guinée, où l’extraction de la bauxite, minerai à l’origine de la production d’aluminium, menace de conduire le pays à sa perte. C’est ce qu’ont évité de justesse l’Indonésie et la Malaisie, en mettant un terme à leur partenariat avec l’industrie chinoise de la bauxite après avoir constaté les dégâts occasionnés : pertes importantes de terres arables, disparition d’espèces, contamination des nappes phréatiques au mercure, à l’arsenic et au plomb, multiplication des cancers, etc. La Chine vient donc de se tourner vers la Guinée, pays possédant les plus grandes réserves mondiales de Bauxite, et tout porte à croire qu’on se dirige vers un scénario similaire, aucune garantie sérieuse n’ayant été apportée par Pékin.
Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) en charge de l’Afrique, déplore l’asymétrie des relations sino-africaines. Difficile de lui donner tort. A cette tendance, il faut cependant opposer l’exemple gabonais. En effet, le pays a réussi à construire une relation Sud/Sud équilibrée avec la Chine, là où presque tous les autres pays du continent ont échoué. Comment ? En rappelant en permanence à son partenaire asiatique la nécessité de concilier investissements et préservation de l’environnement. Poumon vert de la région, le Gabon, dont le territoire est couvert à 80 % de forêts, se distingue en effet par une politique écologiste forte, ayant fait bonne figure lors de la COP21. En choisissant de ne pas sacrifier ses engagements durables sur l’autel du développement économique, le Gabon montre qu’il est possible de tisser des liens équitables avec la Chine. Un cas appelé à faire des émules ?
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