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mercredi 15 juillet 2015

Le rêve vert de la Chinafrique

Le rêve vert de la Chinafrique

Par Sébastien Le Belzic (contributeur Le Monde Afrique, Pékin)

Dans une rizière de Madagascar, en 2013.
Dans une rizière de Madagascar, en 2013. Crédits : © Thomas Mukoya / Reuters / REUTERS
Le professeur Deborah Brautigam n’aime pas les clichés. Et pourtant, ils sont nombreux dans cette Chinafrique qu’elle étudie et enseigne à l’université Johns Hopkins de Washington. Son prochain livre, Will Africa feed China, (L’Afrique va-t-elle nourrir la Chine ?), démonte ainsi pièce par pièce les mythes et les fausses informations autour de la supposée razzia chinoise sur les terres africaines.

« Certains journalistes pensent que le fait de raconter que les Chinois achètent à tour de bras des terres en Afrique est une histoire excitante, et l’on trouve toujours des analystes pour confirmer ce type d’informations sans aucune vérification sur le terrain. Ces informations sont évidemment reprises par la presse internationale qui aime critiquer la Chine », explique-t-elle.

« Nous avons vérifié pour ce livre toutes les informations sur le sujet point par point en Afrique et en Chine. Nous avons trouvé en fait très peu de terrains acquis par la Chine et les investissements concernent surtout l’agro-industrie plus que les cultures vivrières. Il ne s’agit pas de nourriture, et en fait c’est plutôt la Chine qui nourrit l’Afrique. Les sociétés chinoises qui investissent en Afrique le font pour le marché local ».

La Chine en 19e position !

De fait, 65 % des terres achetées par les sociétés étrangères sont exploitées pour produire du biocarburant. Jatropha, colza ou soja servent à produire de l’éthanol. Depuis l’an 2000, 5 % de l’espace africain cultivable a ainsi été concédé à des investisseurs étrangers. C’est le cas notamment en Afrique de l’Est (Tanzanie, Soudan, Mozambique) et centrale (RDC, Cameroun), mais aussi à l’Ouest (Sierra Leone, Nigeria, Mali, Sénégal). Depuis 2010, un total de 56 millions d’hectares a été vendu en Afrique à des entreprises étrangères, soit l’équivalent de la superficie du Kenya. Mais les Chinois sont loin d’être les plus gourmands.

Selon le « länder matrice » de 2013, les dix plus importants acteurs des acquisitions foncières en Afrique sont les Emirats arabes unis (1,9 million d’hectares), l’Inde (1,8 million d’hectares), le Royaume-Uni (1,5), les USA (1,4), l’Afrique du Sud (1,3), l’Italie (0,6), l’Allemagne (0,5), le Soudan (0,5), l’Éthiopie (0,4) et le Portugal (0,4). La Chine n’arrive qu’en 19e position avec 0,16 million d’hectares !

Les principaux investisseurs sont l’Inde en Ethiopie, la compagnie chinoise ZIE International en République démocratique du Congo et le Coréen Daewoo à Madagascar. Les pays les plus courtisés sont la RDC (2e au niveau mondial avec 8 millions d’hectares), l’Ethiopie (5,3 millions d’hectares), le Soudan et Madagascar, selon les chiffres du programme Afraso de l’université de Francfort. L’Afrique possède plus de la moitié des terres cultivables dans le monde. Problème : la majorité des investissements dans le secteur agricole n’est pas destinée aux cultures vivrières et l’Afrique ne parvient toujours pas à assurer sa sécurité alimentaire.

« L’Afrique devrait nourrir un pays comme la Chine »

Selon la Banque mondiale, l’Afrique a dépensé plus de 50 milliards de dollars en 2012 pour importer riz, céréales, et autres produits alimentaires. « C’est la raison pour laquelle, je pense que contrairement aux idées reçues, l’Afrique devrait nourrir un pays comme la Chine, précise le professeur Brautigam. Les 10 000 hectares de terres cultivées au Cameroun par une entreprise chinoise servent en fait à nourrir les Camerounais. Pourtant, ce serait une opportunité de croissance du commerce local si le Cameroun parvenait à exporter cette production » (voir extrait ci-dessous).

Le continent n’est donc pas l’Eldorado agricole que certains voudraient dénoncer. « Il n’y a aucune preuve d’une action coordonnée du gouvernement chinois pour acquérir des terres en Afrique. Très peu d’entreprises chinoises de l’agro-industrie sont présentes en Afrique si on compare à leurs opérations en Asie par exemple. Leur présence fait partie du même mouvement qui consiste à ouvrir l’économie chinoise vers l’Ouest, mais on est très loin des investissements dans les domaines miniers ou dans les infrastructures ».

Le professeur Brautigam parle d’un « rêve vert » chinois qui se heurte aux réalités. « Les investissements sont beaucoup plus limités que certains voudraient le penser. La Chine est bien consciente des risques politiques et sociaux qu’il y a à acquérir des terres en Afrique. Pourtant, un pays comme le Zimbabwe exportait dans les années 1980 de la nourriture en Asie. Aujourd’hui, il ne peut même plus nourrir sa population. Finalement, l’Afrique devrait exporter ses produits agricoles en Chine et cette chimère d’une Chine qui achète les terres africaines est finalement le reflet d’une Afrique incapable de se nourrir et de faire évoluer sa chaîne de valeur. »

Extrait de Will Africa Feed China, de Deborah Brautigam, Editions Oxford University Press. A paraître en octobre 2015.

« Le 17 Novembre 2005, Yang Haomin, président d’une société agricole de la province du Shaanxi appartenant à l’Etat (Shaanxi State Farm Agribusiness Corporation), était assis pendant deux heures, méditant sur un fax qui était arrivé dans son bureau du ministère de l’agriculture à Pékin. Son entreprise est-elle intéressée par se rendre au Cameroun pour explorer les possibilités d’une coopération agricole ? Yang lui-même se décrit comme un optimiste né. En 1998, il avait importé 120 autruches de Namibie, le noyau d’une ferme expérimentale. Les gens avaient ri aux oiseaux disgracieux, mais son investissement a grandi pour devenir la plus grande ferme d’autruches en Asie. Les bénéfices de l’entreprise ont aidé à construire l’immeuble Autruche King qui abrite maintenant le bureau de Yang. Depuis que la Chine a commencé à mettre l’accent sur les investissements à l’étranger, Yang a visité l’Afrique du Sud, la Russie, l’Ukraine et le Brésil. Mais ses voyages n’ont pas débouché sur un seul projet. Il a sorti une carte pour situer le Cameroun, le long de la côte ouest de l’Afrique. Six semaines plus tard, la veille de Noël, Yang et une petite équipe de sept experts atterrissait à Douala, la capitale économique du Cameroun. Le gouvernement camerounais avait organisé leur visite, le paiement de leurs frais, leur montrant un certain nombre d’endroits où la culture commerciale de riz, de manioc et d’autres cultures pourrait être réalisée. À la mi-Janvier, Yang avait décidé d’investir »…

Sébastien Le Belzic est un journaliste installé à Pékin depuis 2007, où il dirige le site Chinafrica. info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.

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