"Je m'excuse, mais est-ce vrai qu’en Afrique vous vivez dans les arbres ?"
Dans "Sur les ailes du dragon", Lieve Joris explore les rapports que la Chine entretient avec l'Afrique, et vice versa. Extraits de ce passionnant voyage en "Chinafrique".
A Maputo, au Mozambique (Sipa)
La Chinafrique est entrée dans l’histoire. Longtemps, Lieve Joris s’est «creusée la tête au sujet du bois africain qui traverse l’océan pour aller en Chine et en revient sous forme de meubles». Elle a suivi le même chemin.
Après avoir arpenté le Congo pendant des décennies, cette disciple du grand Ryszard Kapuscinski est allée à Pékin, à Shanghaï, à Jinhua et à «Chocolate City», le quartier africain de Guangzhou. Elle y a découvert les coulisses d’une mondialisation dont on n’a pas idée:
Son livre, au fond, nous apprend à voir la Chine avec les yeux d’une Africaine, et l’Afrique avec ceux d’une Chinoise. C’est le privilège de la littérature. Et tant pis si l’homme européen, lui, semble sorti de l’histoire.
Extrait 1
Sur le campus de l’université, des étudiants étrangers interprètent des sketchs, chantent et dansent sur un podium en plein air pour un public de diplomates et de fonctionnaires chinois. Des Saoudiens en tunique blanche, la tête ceinte d’un turban, exécutent une danse du sabre ; des étudiants camerounais jouent un sketch comique en chinois. Après la partie officielle, l’action se déplace vers les stands où, sous le drapeau de leur pays, les étudiants exposent toutes sortes de gadgets. «Pour que les Chinois puissent voir ce que nous produisons et le copier», comme le dit ironiquement un étudiant.
Je me retrouve rapidement dans le coin des Africains. Des étudiants rwandais, un pagne noué sur l’épaule gauche, se font photographier avec des jeunes filles ouzbeks en robes rose barbe à papa et des Maoris aux visages peints. Je passerai une grande partie de l’après-midi à bavarder avec des étudiants qui passent devant le stand des Rwandais où je suis assise sur un tabouret. Ils sont drôles, vifs et parfaitement au courant de ce qui se passe aussi bien dans leur propre pays qu’en Chine.
Les Chinois leur demandent toujours ou il fait meilleur vivre, en Chine ou en Afrique, et ils s’attendent naturellement à ce qu’ils répondent «en Chine». Ça les rend amers. Pourquoi dénigreraient-ils leur pays, pourquoi les Chinois veulent-ils leur faire sentir que l’Afrique ne vaut rien, que ce n’est pas un endroit où l’on a envie de retourner? La plupart ne se sentent pas non plus soutenus par leur propre pays. Un étudiant burundais raconte qu’un de leurs ministres en visite en Chine avait accordé un entretien à un groupe de ses compatriotes dont il faisait partie. Quand le ministre a appris ce qu’il étudiait, il s’est écrié: «L’informatique ! Nous n’en avons que faire au Burundi.»
Partout, des étudiants discutent avec le public. Les Rwandais vendent du jus de fruits de la passion et du café. «Les Chinois ont peur de boire du café, dit un étudiant, ils croient que ça va les rendre noirs.» Les Congolais ont invité leurs copines étrangères et dansent sur une musique congolaise que braillent des haut-parleurs. Les Chinois les regardent à distance. Une fois, je vois un Chinois esquisser un pas de danse – il est allé en Afrique, c’est évident.
Sur un panneau en carton que les Congolais ont posé devant leur stand, une femme tient un téléphone portable dans la paume d’une main, un petit tas de minerai gris et brillant dans l’autre: du coltan. En dessous, on peut lire: «80 % of global reserves of coltan are found in the DRC» (80 % des réserves mondiales de coltan se trouvent en RDC). Ils ont apparemment récupéré la photo sur Internet sans réaliser qu’elle provient d’une campagne contre l’extraction du coltan: la main qui tient le portable saigne. L’étudiant burundais la regarde en secouant la tête. «Comment peut-on vendre ainsi son pays et danser par-dessus le marché?»
Moi aussi, je considère la scène avec gêne, mais Franck, un Rwandais qui dépasse tout le monde d’une bonne tête, ce qui lui donne une autorité naturelle, dit qu’il discute assez souvent avec des étudiants congolais pour savoir combien la situation dans leur pays les inquiète. Il a grandi en partie dans l’est du Congo – son cœur est des deux côtés de la frontière entre le Rwanda et le Congo.
Franck a servi d’interprète au président Kagame et à sa délégation d’hommes d’affaires lors de leur récente visite en Chine. Il a été choisi parce qu’il parle plusieurs langues et qu’il connaît des gens partout. Peu après, le China-Africa Youth Club l’a invité à un voyage organise à Shanghai et ses environs. Tout était gratuit, on leur faisait des cadeaux et, le soir, on buvait sec. «Les Chinois, qui savent que la plupart des étudiants n’ont pas été sélectionnés pour leur mérite mais en tant que rejetons des élites de leur pays, essaient d’entrer en contact avec eux, de les faire parler et de les observer pendant ces excursions. Je pense que, si j’ai été invité, c’est parce que j’ai accompagné mon président.»
Franck, à son tour, observe les Chinois. Quand il sort le soir et qu’il a une touche avec une Chinoise sur la piste de danse, elle lui demande invariablement d’où il vient.
« Si je réponds que je suis américain, c’est dans la poche, elle pense que je suis un joueur de basket ou quelque chose dans le genre et les jours suivants, elle me bombarde de textos au point que je suis obligé de changer de numéro. L’Afrique du Sud, c’est bien aussi, c’est associe au succès. Si je dis ‘‘Afrique’’ tout court, elle voit aussitôt se profiler les maladies et la misère. Elle continue à sourire, car les Chinois sont hypocrites, mais je sais déjà que c’est foutu. Si j’ajoute ‘‘Rwanda’’, elle s’informe sur Google et ça lui suffit. Si je l’appelle quelques jours plus tard, elle dit qu’elle est très occupée et elle efface mon numéro de sa liste de contacts. La prochaine fois que j’appellerai, elle dira: ‘‘Vous êtes qui?”»
Il me regarde en riant : «Je les connais par cœur – je fais le test à tous les coups.»
Parfois, il a une bonne note alors qu’il s’est planté à son examen. «Les Chinois ne prennent pas les Africains au sérieux, ils ne s’intéressent pas vraiment à notre éducation. Tout ce qu’ils veulent, c’est nous amadouer pour réaliser leurs rêves en Afrique. Les plus gâtés, ce sont les étudiants soudanais, dont le pays regorge de pétrole : on ne leur demande rien, on leur donne tout ce qu’ils veulent.»
Il aurait préféré étudier en Europe, mais il n’a pas eu le choix. «Quand un Européen vous donne quelque chose, c’est du solide : un vrai diplôme, un vrai bâtiment, une vraie route – pas du vite fait bâclé, des sous-produits, comme le font les Chinois.»
Un jour, un étudiant chinois est venu le voir et lui a dit: «Je m’excuse de te demander ça, mais est-ce vrai qu’en Afrique vous vivez dans les arbres et que vous ne vous habillez que pour venir ici?» Le genre de type que Franck adore faire marcher: «Oui, bien sûr que nous vivons dans les arbres, et tu sais que la Chine a un ambassadeur au Rwanda? Eh bien, il habite à trois arbres de chez moi.» Alors ils comprennent qu’il y a quelque chose qui cloche et ils vont s’informer plus sérieusement.
Franck s’excuse : il doit refaire du café. «Quand les Chinois cherchent le Rwanda sur Google, ils tombent immanquablement sur le génocide. Après cette journée, j’espère qu’ils penseront aussi au café.»
Extrait 2
Nous sommes onze à voyager : trois professeurs, sept étudiants et moi, et nous dormons dans des couchettes voisines. Lorsque je me réveille, nos compagnons de voyage chinois sont dans le couloir en train de faire leur gymnastique matinale, en survêtement ou en pyjama. Du côté des lavabos, des raclements de gorge alarmants se font entendre et un bonhomme pousse un chariot plein d’une bouillie de riz fumant dont il remplit des bols à l’aide d’une cuillère en bois. Près de la fenêtre, une jeune fille écrit des textos à un rythme accéléré. Chaque fois qu’un nouveau message arrive, une voix métallique dit: «Anybody there?» (Il y a quelqu’un ?)
Li Baoping a dormi dans une autre voiture et, quand tout le monde est réveillé dans notre compartiment, il vient s’asseoir auprès de moi. «Tu as déjà voyagé en train en Afrique? demande-t-il.
— Bien sûr, et toi ?»
Il hoche la tête. «Au Cameroun, j’ai pris le train de Yaounde à Douala.
— Et ?— J’y ai fait connaissance avec la corruption camerounaise.»
Le contrôleur de service estimait que son visa n’était pas valable. Pourquoi prétendre être un touriste alors qu’il avait un visa d’affaires? S’il voulait bien le suivre. Dans le couloir, l’homme lui dit que normalement il devait l’amener à son patron mais qu’ils pouvaient aussi s’arranger entre eux.
« Combien ? » demande alors Baoping. Le contrôleur ne veut pas répondre, aussi Baoping prend une pièce de 500 francs CFA (1 dollar) et la lui donne en refermant sa main dessus, comme s’il s’agissait d’un cadeau précieux. «Tu n’as pas honte ?» s’écrie le contrôleur en voyant son butin; il voulait au moins dix fois plus.
Baoping proteste : « Un de mes amis qui vit aux Etats-Unis gagne 7 dollars de l’heure en travaillant et moi je vous en ferais gagner 10 à ne rien faire en un rien de temps? L’ambassade du Cameroun m’a délivré un visa en tant que professeur. Qu’est-ce qui m’interdit d’être touriste dans mon temps libre? Votre comportement est une insulte aux autorités de votre pays.»
Le contrôleur proteste : il n’a fait que son devoir.
« Nous avions, en Chine, un philosophe qui s’appelait Confucius, reprend Baoping. Il disait: ‘‘Tout le monde aime l’argent, mais au moins gagnons-le honnêtement.”»
Pendant tout ce temps, son passeport est resté dans la poche de poitrine du contrôleur. Brusquement, il le lui rend en disant : «Fous-moi le camp !»
Baoping a raconté son histoire avec un mélange de plaisir et de dégoût. Maintenant il rit, libéré. Confucius dans un train au Cameroun, me dis-je, voilà qui nous change de l’Evangile du Christ ou de la doctrine de Mahomet.
Après avoir arpenté le Congo pendant des décennies, cette disciple du grand Ryszard Kapuscinski est allée à Pékin, à Shanghaï, à Jinhua et à «Chocolate City», le quartier africain de Guangzhou. Elle y a découvert les coulisses d’une mondialisation dont on n’a pas idée:
La presse occidentale parle beaucoup de l’exploitation de l’Afrique par la Chine, mais qui parle du prix à payer pour la Chine?
Il était temps, en effet, que quelqu’un renverse la perspective et dise l’énergie, les ambitions, les souffrances individuelles qui accompagnent ce nouvel âge colonial. Lieve Joris le fait avec l’intelligence et l’humilité des meilleurs écrivains itinérants: en donnant la parole à des dizaines de personnages qui, passés d’un continent à l’autre, découvrent le racisme et l’exil.Son livre, au fond, nous apprend à voir la Chine avec les yeux d’une Africaine, et l’Afrique avec ceux d’une Chinoise. C’est le privilège de la littérature. Et tant pis si l’homme européen, lui, semble sorti de l’histoire.
Grégoire Leménager
Sur les ailes du dragon. Voyages entre l’Afrique et la Chine,
par Lieve Joris, traduit du néerlandais par Arlette Ounanian,
Actes Sud, 392 p., 23,80 euros.
par Lieve Joris, traduit du néerlandais par Arlette Ounanian,
Actes Sud, 392 p., 23,80 euros.
Lieve Joris avec Cheikhna, un Malien qui vit à Brazzaville, mais qu'elle a rencontré à Guangzhou. (©Lieve Joris)
Extrait 1
"Les Chinois ne prennent pas les Africains au sérieux"
Sur le campus de l’université, des étudiants étrangers interprètent des sketchs, chantent et dansent sur un podium en plein air pour un public de diplomates et de fonctionnaires chinois. Des Saoudiens en tunique blanche, la tête ceinte d’un turban, exécutent une danse du sabre ; des étudiants camerounais jouent un sketch comique en chinois. Après la partie officielle, l’action se déplace vers les stands où, sous le drapeau de leur pays, les étudiants exposent toutes sortes de gadgets. «Pour que les Chinois puissent voir ce que nous produisons et le copier», comme le dit ironiquement un étudiant.Je me retrouve rapidement dans le coin des Africains. Des étudiants rwandais, un pagne noué sur l’épaule gauche, se font photographier avec des jeunes filles ouzbeks en robes rose barbe à papa et des Maoris aux visages peints. Je passerai une grande partie de l’après-midi à bavarder avec des étudiants qui passent devant le stand des Rwandais où je suis assise sur un tabouret. Ils sont drôles, vifs et parfaitement au courant de ce qui se passe aussi bien dans leur propre pays qu’en Chine.
Les Chinois leur demandent toujours ou il fait meilleur vivre, en Chine ou en Afrique, et ils s’attendent naturellement à ce qu’ils répondent «en Chine». Ça les rend amers. Pourquoi dénigreraient-ils leur pays, pourquoi les Chinois veulent-ils leur faire sentir que l’Afrique ne vaut rien, que ce n’est pas un endroit où l’on a envie de retourner? La plupart ne se sentent pas non plus soutenus par leur propre pays. Un étudiant burundais raconte qu’un de leurs ministres en visite en Chine avait accordé un entretien à un groupe de ses compatriotes dont il faisait partie. Quand le ministre a appris ce qu’il étudiait, il s’est écrié: «L’informatique ! Nous n’en avons que faire au Burundi.»
Partout, des étudiants discutent avec le public. Les Rwandais vendent du jus de fruits de la passion et du café. «Les Chinois ont peur de boire du café, dit un étudiant, ils croient que ça va les rendre noirs.» Les Congolais ont invité leurs copines étrangères et dansent sur une musique congolaise que braillent des haut-parleurs. Les Chinois les regardent à distance. Une fois, je vois un Chinois esquisser un pas de danse – il est allé en Afrique, c’est évident.
Moi aussi, je considère la scène avec gêne, mais Franck, un Rwandais qui dépasse tout le monde d’une bonne tête, ce qui lui donne une autorité naturelle, dit qu’il discute assez souvent avec des étudiants congolais pour savoir combien la situation dans leur pays les inquiète. Il a grandi en partie dans l’est du Congo – son cœur est des deux côtés de la frontière entre le Rwanda et le Congo.
Franck a servi d’interprète au président Kagame et à sa délégation d’hommes d’affaires lors de leur récente visite en Chine. Il a été choisi parce qu’il parle plusieurs langues et qu’il connaît des gens partout. Peu après, le China-Africa Youth Club l’a invité à un voyage organise à Shanghai et ses environs. Tout était gratuit, on leur faisait des cadeaux et, le soir, on buvait sec. «Les Chinois, qui savent que la plupart des étudiants n’ont pas été sélectionnés pour leur mérite mais en tant que rejetons des élites de leur pays, essaient d’entrer en contact avec eux, de les faire parler et de les observer pendant ces excursions. Je pense que, si j’ai été invité, c’est parce que j’ai accompagné mon président.»
Franck, à son tour, observe les Chinois. Quand il sort le soir et qu’il a une touche avec une Chinoise sur la piste de danse, elle lui demande invariablement d’où il vient.
« Si je réponds que je suis américain, c’est dans la poche, elle pense que je suis un joueur de basket ou quelque chose dans le genre et les jours suivants, elle me bombarde de textos au point que je suis obligé de changer de numéro. L’Afrique du Sud, c’est bien aussi, c’est associe au succès. Si je dis ‘‘Afrique’’ tout court, elle voit aussitôt se profiler les maladies et la misère. Elle continue à sourire, car les Chinois sont hypocrites, mais je sais déjà que c’est foutu. Si j’ajoute ‘‘Rwanda’’, elle s’informe sur Google et ça lui suffit. Si je l’appelle quelques jours plus tard, elle dit qu’elle est très occupée et elle efface mon numéro de sa liste de contacts. La prochaine fois que j’appellerai, elle dira: ‘‘Vous êtes qui?”»
Il me regarde en riant : «Je les connais par cœur – je fais le test à tous les coups.»
Il aurait préféré étudier en Europe, mais il n’a pas eu le choix. «Quand un Européen vous donne quelque chose, c’est du solide : un vrai diplôme, un vrai bâtiment, une vraie route – pas du vite fait bâclé, des sous-produits, comme le font les Chinois.»
Un jour, un étudiant chinois est venu le voir et lui a dit: «Je m’excuse de te demander ça, mais est-ce vrai qu’en Afrique vous vivez dans les arbres et que vous ne vous habillez que pour venir ici?» Le genre de type que Franck adore faire marcher: «Oui, bien sûr que nous vivons dans les arbres, et tu sais que la Chine a un ambassadeur au Rwanda? Eh bien, il habite à trois arbres de chez moi.» Alors ils comprennent qu’il y a quelque chose qui cloche et ils vont s’informer plus sérieusement.
Franck s’excuse : il doit refaire du café. «Quand les Chinois cherchent le Rwanda sur Google, ils tombent immanquablement sur le génocide. Après cette journée, j’espère qu’ils penseront aussi au café.»
Lieve Joris avec Li Shudi, qui a vécu des années en Afrique du Sud (©Lieve Joris)
Extrait 2
Confucius dans un train au Cameroun
Nous sommes onze à voyager : trois professeurs, sept étudiants et moi, et nous dormons dans des couchettes voisines. Lorsque je me réveille, nos compagnons de voyage chinois sont dans le couloir en train de faire leur gymnastique matinale, en survêtement ou en pyjama. Du côté des lavabos, des raclements de gorge alarmants se font entendre et un bonhomme pousse un chariot plein d’une bouillie de riz fumant dont il remplit des bols à l’aide d’une cuillère en bois. Près de la fenêtre, une jeune fille écrit des textos à un rythme accéléré. Chaque fois qu’un nouveau message arrive, une voix métallique dit: «Anybody there?» (Il y a quelqu’un ?)Li Baoping a dormi dans une autre voiture et, quand tout le monde est réveillé dans notre compartiment, il vient s’asseoir auprès de moi. «Tu as déjà voyagé en train en Afrique? demande-t-il.
— Bien sûr, et toi ?»
Il hoche la tête. «Au Cameroun, j’ai pris le train de Yaounde à Douala.
— Et ?— J’y ai fait connaissance avec la corruption camerounaise.»
Le contrôleur de service estimait que son visa n’était pas valable. Pourquoi prétendre être un touriste alors qu’il avait un visa d’affaires? S’il voulait bien le suivre. Dans le couloir, l’homme lui dit que normalement il devait l’amener à son patron mais qu’ils pouvaient aussi s’arranger entre eux.
« Combien ? » demande alors Baoping. Le contrôleur ne veut pas répondre, aussi Baoping prend une pièce de 500 francs CFA (1 dollar) et la lui donne en refermant sa main dessus, comme s’il s’agissait d’un cadeau précieux. «Tu n’as pas honte ?» s’écrie le contrôleur en voyant son butin; il voulait au moins dix fois plus.
Baoping proteste : « Un de mes amis qui vit aux Etats-Unis gagne 7 dollars de l’heure en travaillant et moi je vous en ferais gagner 10 à ne rien faire en un rien de temps? L’ambassade du Cameroun m’a délivré un visa en tant que professeur. Qu’est-ce qui m’interdit d’être touriste dans mon temps libre? Votre comportement est une insulte aux autorités de votre pays.»
Le contrôleur proteste : il n’a fait que son devoir.
« Nous avions, en Chine, un philosophe qui s’appelait Confucius, reprend Baoping. Il disait: ‘‘Tout le monde aime l’argent, mais au moins gagnons-le honnêtement.”»
Pendant tout ce temps, son passeport est resté dans la poche de poitrine du contrôleur. Brusquement, il le lui rend en disant : «Fous-moi le camp !»
Baoping a raconté son histoire avec un mélange de plaisir et de dégoût. Maintenant il rit, libéré. Confucius dans un train au Cameroun, me dis-je, voilà qui nous change de l’Evangile du Christ ou de la doctrine de Mahomet.
© Actes Sud
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