CHINE AFRIQUE

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lundi 10 février 2014

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« L’Afrique dispose de tous les atouts pour réaliser un développement économique similaire à celui de la Chine »
Selon l’économiste chinois Justin Yifu Lin, l’Afrique a les cartes en main pour assurer son développement économique, à l’image de la Chine, un pays qui était aussi pauvre que le continent il y a une trentaine d’années. M. Yifu Lin, qui
était à Dakar sur invitation de la Faculté des sciences économiques et de gestion de l’Ucad, a été économiste en chef de la Banque mondiale de 2008 à 2012. Vice-président actuel du conseil de l’Université de Pékin, il est spécialiste du développement économique et de la réforme de l’économie chinoise.

Quel regard portez-vous sur la situation économique actuelle du continent africain ?
La performance économique des pays africains durant ces dix dernières années s’est beaucoup améliorée. Il y a des avancées, si l’on fait une comparaison avec la période avant 2000. Donc, une accélération du développement de l’économie du continent a été constatée. L’Afrique dispose aujourd’hui de tous les atouts pour réaliser un développement semblable à celui qu’a connu la Chine durant ces trente dernières années. L’Afrique aura ainsi l’occasion de se débarrasser de la pauvreté pour devenir une économie moderne. Pour réaliser cet objectif, elle doit profiter des conditions qui lui sont favorables. L’Afrique deviendra le continent d’avenir, surtout sur le plan économique.
Depuis quelques années, nous constatons une présence de plus en plus remarquable de la Chine dans le continent. Comment appréciez- vous ses relations économiques avec l’Afrique ?
Il existe une grande complémentarité entre les économies chinoise et africaine. Notre pays a beaucoup d’expériences qui peuvent être utiles pour l’Afrique. La complémentarité entre ces deux entités s’explique d’abord par le fait que la Chine est un pays où les ressources naturelles sont rares. En raison de son rapide développement, elle aura besoin des ressources africaines. Cela va permettre de créer un marché énorme en Afrique. C’est la raison pour laquelle, durant la dernière décennie, certains pays de l’Afrique ont connu un développement plus ou moins rapide. Nous pouvons dire que ces matières premières ont soutenu le développement de la Chine. Le maintien de sa croissance a créé beaucoup d’espaces permettant le développement des secteurs à grande densité pourvoyeuses d’emplois. C’est une occasion pour l’Afrique qui dispose de beaucoup de main-d’œuvre avec sa population jeune. Il revient aux dirigeants africains de mettre en valeur ce potentiel humain par la mise en place d’industries capables d’absorber le chômage. Cela peut être un instrument pour augmenter les revenus des populations afin de faire face au manque d’emplois. On peut prendre l’exemple du Japon qui a connu dans les années 1960 une montée en gamme de son industrie. Ceci a créé beaucoup d’opportunités pour d’autres pays appelés les « dragons de l’Asie » [Ndlr : Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taïwan], qui ont pu réussir à leur tour leur industrialisation.
Est-ce que l’arrivée en force des autres puissances économiques, comme les Etats-Unis et le Japon, ne fait pas peur à la Chine dans sa dynamique de renforcer sa coopération avec l’Afrique ?
Il n’existe pas de crainte, car la Chine développe des industries différentes par rapport à ces pays dont vous faites allusion. Autrement dit, la supériorité relative de chacun de ces pays n’est pas la même.
Que pensez-vous des perspectives économiques pour l’Afrique dans les années à venir ?
Dans l’ensemble, les conditions sont très favorables pour espérer de bonnes perspectives. Les politiques et programmes qui sont en train d’être mis en œuvre par les dirigeants africains sont encourageants. Il faut cependant beaucoup mettre l’accent sur le travail. Il y a trente ans, la Chine était beaucoup plus pauvre que le Sénégal. Le revenu moyen par habitant était moins du tiers que celui du Sénégal durant cette période. Donc, notre pays se trouvait dans une situation plus difficile. Par exemple, en 1978, le revenu moyen par habitant en Chine n’était que de 154 dollars, alors que ce niveau était de 490 dollars au Sénégal. En 2012, ce montant est situé à 6100 dollars pour la Chine et 1030 dollars pour le Sénégal. Il y a des efforts à faire à ce niveau.
Vous faites partie de ces économistes qui ont théorisé les « parcs industriels », appelés aussi les Zones économiques spécialisés (Zes). Comment celles-ci peuvent-ils contribuer au développement économique de l’Afrique ?
Je crois que c’est une expérience que la Chine peut partager avec l’Afrique. Une industrie, pour être compétitive, doit disposer de suffisamment de ressources et tenir compte des réalités économiques de la région où elle est implantée. Pour le cas du Sénégal, puisque ce dernier dispose d’une main-d’œuvre importante et active, si on parvient à développer les parcs industriels, cela peut être un avantage pour le pays. Ces unités peuvent être installées dans le domaine du textile, du prêt-à-porter ou la fabrication de chaussures, ainsi que dans d’autres secteurs porteurs de croissance. Les jeunes qui n’ont pas de travail pourront évoluer dans ces zones économiques spécialisées. En même temps, le pays pourra devenir plus compétitif sur le plan international. L’installation de ces Zones économiques spécialisées suppose que les coûts de revient pour le fonctionnement restent assez bas. Cela signifie qu’il faut avoir des infrastructures nécessaires qui puissent supporter ces mutations, une (bonne) fourniture de l’électricité et une efficacité des instances de décisions gouvernementales.
Est-ce qu’il y a eu des pays en Afrique qui ont réussi ces parcs industriels ?
L’île Maurice a expérimenté ces Zones économiques spécialisées. Ce pays, dans les années 1970, se trouvait dans une situation un peu pareille à celle du Sénégal. Ses infrastructures n’étaient pas si développées. Les autorités ont mis alors des parcs industriels dans les secteurs d’activités de prêt-à-porter et dans le textile. En Afrique de l’Est, il y a l’Ethiopie qui a réussi également l’expérience des Zes, surtout concernant la fabrication des chaussures. Pour le revenu moyen par habitant, l’Ethiopie est plus pauvre que le Sénégal, il en est de même sur le plan des infrastructures où votre pays est beaucoup plus en avant. Malgré cela, ce pays de l’Est parvient aujourd’hui, grâce à ses industries, à exporter ses chaussures vers les pays européens et les Etats-Unis. Il faut donc une volonté politique pour réussir ces parcs industriels.
Propos recueillis par Abdou DIAW

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