« Face à la Chine, l’Afrique doit transcender le syndrome du tuteur » :: CANADA
Le Dr. Serge Banyongen est l’auteur d’un livre sur les relations entre l’Afrique et la Chine, dont le titre, est Rôle et responsabilité des acteurs africains dans les relations sino-africaines qui vient de paraître aux éditions l’Harmattan à Paris. Au cours de l’interview qu’il nous a accordé, il revient sur les principales articulations de cette coopération qui ces dernières années a connu un accroissement exponentiel. Faut-il craindre une recolonisation ou est-ce une chance pour l’Afrique? Éléments de réponse.
Qu’est-ce qui explique le nouvel intérêt des chercheurs pour les relations entre la Chine et les États africains?
En effet, la question des relations en la Chine et l’Afrique a connu une explosion dans la recherche académique durant la décennie qui vient de s’écrouler. Il faut bien avouer que cette production a suivi la courbe tout aussi croissante des rapports économiques entre ces deux entités. Il est donc normal que la communauté scientifique s’y intéresse de près. Il est surtout question pour les chercheurs de comprendre des mécanismes de déploiement de cette relation entre le parent pauvre de la mondialisation l’Afrique et l’un de ces plus grands bénéficiaires : la Chine. À titre d’exemple, l’Angola est depuis le début des années 2000, le premier fournisseur en pétrole de la Chine devant l’Arabie Saoudite.
Le problème avec cet intérêt est que les analystes de cette relation ne résistent pas à la tentation d’infantiliser l’Afrique. Ainsi la plupart des auteurs parlent uniquement des stratégies de la Chine en Afrique et des conséquences de celles-ci. Tout est fait et dit comme si dans ce rapport le continent africain jouait un rôle passif. Ce qui est loin d’être le cas. C’est ce que démontre mon livre puisqu’il remet au centre de l’analyse l’acteur africain que ce soit les élites politico-économiques ou la société civile et la population. Il y est question de savoir comment les Africains s’organisent pour recevoir et gérer l’intérêt chinois.
Dans les nouvelles relations économiques entre la Chine et les États africains il est question de plus en plus des contrats gagnants. Quel regard jetez-vous sur ces types de contrats? Sont-ils vraiment gagnants ou existe-t-il un partenaire plus gagnant que l’autre?
Il est important d’analyser la rhétorique de manière lucide. Pour qu’il y ait des contrats gagnants, le discours seul ne suffit pas. Il faut encore que les conditions de gains mutuels soient réunies. Ce qui n’est pas toujours le cas et la faute ne revient pas contrairement à ce que l’on pourrait penser aux Chinois. C’est vrai que la Chine dans ses échanges avec certains pays africains a réinventé une forme de troc qui consiste à échanger les ressources naturelles contre la construction des infrastructures. C’est un peu ce qui s’est passé en RDC où la Chine s’est engagée à investir pas moins de 5 milliards de dollars dans la construction des infrastructures de ce pays qui en a tant besoin. Mais quand on fait une analyse rigoureuse, il n’est pas évident que la RDC l’emporte au change. En économie, une infrastructure n’existe pas pour elle-même. Il est vrai qu’à terme, elle rend un service à la population, mais le plus important ce sont les retombées sur l’économie de la région où elle durant et après sa construction qui importent le plus. Une modélisation économique permet ainsi d’envisager le nombre de voir le flux monétaire qui en résulte, le nombre d’emplois directs et indirects créés ainsi que l’impact sur d’autres secteurs économiques. Et à ce niveau c’est loin d’être évident.
Autre chose, il faut se rappeler que nous évoluons dès à présent dans l’économie du savoir. Avoir des infrastructures est une bonne chose parce que les pays africains manquent cruellement. Cependant, il est encore mieux d’apprendre et de posséder la technique qui permet de les construire. Ainsi on n’aura pas toujours à recourir aux Chinois pour nous équiper. C’est d’ailleurs ainsi que la Chine a pu en partie amorcer son développement en utilisant les investissements directs étrangers pour accéder au savoir-faire des firmes occidentales afin de pouvoir le reproduire. Vous serez surpris de savoir que la plupart des firmes chinoises en Afrique ne possèdent pas de centre de formation et que très peu font faire des mises à jour à leurs employés. À titre d’exemple, lorsque la climatisation s’est détériorée dans le palais du Sénat au Gabon construit par les Chinois, il a fallu faire appel aux experts chinois pour la réparer. Ce qui en soit est une aberration. Maintenant entendons-nous bien, cet état des choses est en fait dû à la démission des dirigeants et même des populations africaines. C’est aux Africains d’exiger le meilleur des Chinois. Et le meilleur au lieu de se contente des petits avantages matériels éphémères c’est l’acquisition des connaissances nouvelles qui permettraient plus tard de faire la différence.
Avec la nouvelle ruée de la Chine en Afrique on parle désormais dans la littérature de l’économie politique de l’opposition de deux consensus le“ Washington consensus” versus “ Beijing consensus”. Comme analyser vous la confrontation de ces consensus?
D’abord les experts ne s’entendent pas sur l’existence ou non d’un consensus de Beijing ceci d’autant plus que les Chinois affirment haut et fort que leur modèle n’est pas forcement transférable et reproductible ailleurs et que chaque pays doit rechercher le modèle qui lui convient le mieux. Par ailleurs, il est certain que le modèle chinois si tant est qu’il existe s’éloigne un peu du consensus de Washington. Mais en ce qui concerne l’Afrique, les deux ont certainement mêmes objectifs en fait ce sont surtout les éléments discursifs qui sont différents. Ainsi alors que le Consensus de Washington se décline en un certain nombre de prescription et de règles absolues à suivre avec l’implication de plusieurs acteurs, l’approche chinoise se veut moins impérative et est stato-centrique en ce sens que la Chine traite uniquement avec les États et ignore la société civile. Il est cependant important que l’Afrique se débarrasse de la mentalité qui consiste à rechercher un tuteur pour son développement. Il est plus que temps pour elle de définir son cheminement vers la plénitude de la croissance économique. Mon livre à ce sujet donne des pistes de solutions concrètes pas seulement dans la relation avec la Chine, mais aussi avec d’autres puissances émergentes comme le Brésil, l’Inde, la Rusée, la Corée et pourquoi pas bientôt la Turquie.
Qu’en est-il de l’impact sur les relations sino-africaines?
Il faut savoir, que les anciennes puissances coloniales ont encore une très grande emprise sur les économies africaines elles sont de moins en moins présentes dans la partie visible des économies africaines, mais elles sont encore déterminantes dans la partie structurelle c’est-à-dire la détermination du contexte dans lequel ces économies évoluent. C’est ce qui dans les faits limite quelque peu l’impact des relations sino-africaines. C’est sûr que la Chine constitue un apport de nouveaux capitaux pour des économies exsangues, mais comme je l’ai souligné plus haut la configuration et l’utilisation que les régimes africains en font ne permet pas toujours de retombées positives sur la population. D’un autre coté la présence chinoise a quelque démocratisé les prix à la consommation pour cette même population. Dans un pays comme le Sénégal, un climatiseur est désormais à la portée du sénégalais moyen qui avant ne pouvait se payer un tel luxe.
Selon- vous doit-on avoir peur de la présence tentaculaire de la Chine en Afrique ?
Si les Africains démissionnent de leur rôle qui consiste à configurer cette relation pour en tirer un profit, alors oui la présence chinoise peut s’avérer nocive. Mais si les dirigeants africains ainsi les différents segments de la population font de l’optimisation des bénéfices de cette coopération leur préoccupation alors qui le continent peut en tirer profit. Mieux, il peut développer une méthodologie qui lui permettra de savoir comment traiter avec les puissances émergentes. C’est une illusion de croire que le continent doit se fermer à l’extérieur. Il doit simplement s’outiller pour tirer un maximum davantage de l’intérêt de la Chine. On doit cela aux générations à venir parce qu’avec la Chine, il n’y aura pas l’excuse de la victimisation liée à la colonisation dans laquelle nombre d’Africains se complaisent souvent.
Qu’est-ce qui explique le nouvel intérêt des chercheurs pour les relations entre la Chine et les États africains?
En effet, la question des relations en la Chine et l’Afrique a connu une explosion dans la recherche académique durant la décennie qui vient de s’écrouler. Il faut bien avouer que cette production a suivi la courbe tout aussi croissante des rapports économiques entre ces deux entités. Il est donc normal que la communauté scientifique s’y intéresse de près. Il est surtout question pour les chercheurs de comprendre des mécanismes de déploiement de cette relation entre le parent pauvre de la mondialisation l’Afrique et l’un de ces plus grands bénéficiaires : la Chine. À titre d’exemple, l’Angola est depuis le début des années 2000, le premier fournisseur en pétrole de la Chine devant l’Arabie Saoudite.
Le problème avec cet intérêt est que les analystes de cette relation ne résistent pas à la tentation d’infantiliser l’Afrique. Ainsi la plupart des auteurs parlent uniquement des stratégies de la Chine en Afrique et des conséquences de celles-ci. Tout est fait et dit comme si dans ce rapport le continent africain jouait un rôle passif. Ce qui est loin d’être le cas. C’est ce que démontre mon livre puisqu’il remet au centre de l’analyse l’acteur africain que ce soit les élites politico-économiques ou la société civile et la population. Il y est question de savoir comment les Africains s’organisent pour recevoir et gérer l’intérêt chinois.
Dans les nouvelles relations économiques entre la Chine et les États africains il est question de plus en plus des contrats gagnants. Quel regard jetez-vous sur ces types de contrats? Sont-ils vraiment gagnants ou existe-t-il un partenaire plus gagnant que l’autre?
Il est important d’analyser la rhétorique de manière lucide. Pour qu’il y ait des contrats gagnants, le discours seul ne suffit pas. Il faut encore que les conditions de gains mutuels soient réunies. Ce qui n’est pas toujours le cas et la faute ne revient pas contrairement à ce que l’on pourrait penser aux Chinois. C’est vrai que la Chine dans ses échanges avec certains pays africains a réinventé une forme de troc qui consiste à échanger les ressources naturelles contre la construction des infrastructures. C’est un peu ce qui s’est passé en RDC où la Chine s’est engagée à investir pas moins de 5 milliards de dollars dans la construction des infrastructures de ce pays qui en a tant besoin. Mais quand on fait une analyse rigoureuse, il n’est pas évident que la RDC l’emporte au change. En économie, une infrastructure n’existe pas pour elle-même. Il est vrai qu’à terme, elle rend un service à la population, mais le plus important ce sont les retombées sur l’économie de la région où elle durant et après sa construction qui importent le plus. Une modélisation économique permet ainsi d’envisager le nombre de voir le flux monétaire qui en résulte, le nombre d’emplois directs et indirects créés ainsi que l’impact sur d’autres secteurs économiques. Et à ce niveau c’est loin d’être évident.
Autre chose, il faut se rappeler que nous évoluons dès à présent dans l’économie du savoir. Avoir des infrastructures est une bonne chose parce que les pays africains manquent cruellement. Cependant, il est encore mieux d’apprendre et de posséder la technique qui permet de les construire. Ainsi on n’aura pas toujours à recourir aux Chinois pour nous équiper. C’est d’ailleurs ainsi que la Chine a pu en partie amorcer son développement en utilisant les investissements directs étrangers pour accéder au savoir-faire des firmes occidentales afin de pouvoir le reproduire. Vous serez surpris de savoir que la plupart des firmes chinoises en Afrique ne possèdent pas de centre de formation et que très peu font faire des mises à jour à leurs employés. À titre d’exemple, lorsque la climatisation s’est détériorée dans le palais du Sénat au Gabon construit par les Chinois, il a fallu faire appel aux experts chinois pour la réparer. Ce qui en soit est une aberration. Maintenant entendons-nous bien, cet état des choses est en fait dû à la démission des dirigeants et même des populations africaines. C’est aux Africains d’exiger le meilleur des Chinois. Et le meilleur au lieu de se contente des petits avantages matériels éphémères c’est l’acquisition des connaissances nouvelles qui permettraient plus tard de faire la différence.
Avec la nouvelle ruée de la Chine en Afrique on parle désormais dans la littérature de l’économie politique de l’opposition de deux consensus le“ Washington consensus” versus “ Beijing consensus”. Comme analyser vous la confrontation de ces consensus?
D’abord les experts ne s’entendent pas sur l’existence ou non d’un consensus de Beijing ceci d’autant plus que les Chinois affirment haut et fort que leur modèle n’est pas forcement transférable et reproductible ailleurs et que chaque pays doit rechercher le modèle qui lui convient le mieux. Par ailleurs, il est certain que le modèle chinois si tant est qu’il existe s’éloigne un peu du consensus de Washington. Mais en ce qui concerne l’Afrique, les deux ont certainement mêmes objectifs en fait ce sont surtout les éléments discursifs qui sont différents. Ainsi alors que le Consensus de Washington se décline en un certain nombre de prescription et de règles absolues à suivre avec l’implication de plusieurs acteurs, l’approche chinoise se veut moins impérative et est stato-centrique en ce sens que la Chine traite uniquement avec les États et ignore la société civile. Il est cependant important que l’Afrique se débarrasse de la mentalité qui consiste à rechercher un tuteur pour son développement. Il est plus que temps pour elle de définir son cheminement vers la plénitude de la croissance économique. Mon livre à ce sujet donne des pistes de solutions concrètes pas seulement dans la relation avec la Chine, mais aussi avec d’autres puissances émergentes comme le Brésil, l’Inde, la Rusée, la Corée et pourquoi pas bientôt la Turquie.
Il faut savoir, que les anciennes puissances coloniales ont encore une très grande emprise sur les économies africaines elles sont de moins en moins présentes dans la partie visible des économies africaines, mais elles sont encore déterminantes dans la partie structurelle c’est-à-dire la détermination du contexte dans lequel ces économies évoluent. C’est ce qui dans les faits limite quelque peu l’impact des relations sino-africaines. C’est sûr que la Chine constitue un apport de nouveaux capitaux pour des économies exsangues, mais comme je l’ai souligné plus haut la configuration et l’utilisation que les régimes africains en font ne permet pas toujours de retombées positives sur la population. D’un autre coté la présence chinoise a quelque démocratisé les prix à la consommation pour cette même population. Dans un pays comme le Sénégal, un climatiseur est désormais à la portée du sénégalais moyen qui avant ne pouvait se payer un tel luxe.
Selon- vous doit-on avoir peur de la présence tentaculaire de la Chine en Afrique ?
Si les Africains démissionnent de leur rôle qui consiste à configurer cette relation pour en tirer un profit, alors oui la présence chinoise peut s’avérer nocive. Mais si les dirigeants africains ainsi les différents segments de la population font de l’optimisation des bénéfices de cette coopération leur préoccupation alors qui le continent peut en tirer profit. Mieux, il peut développer une méthodologie qui lui permettra de savoir comment traiter avec les puissances émergentes. C’est une illusion de croire que le continent doit se fermer à l’extérieur. Il doit simplement s’outiller pour tirer un maximum davantage de l’intérêt de la Chine. On doit cela aux générations à venir parce qu’avec la Chine, il n’y aura pas l’excuse de la victimisation liée à la colonisation dans laquelle nombre d’Africains se complaisent souvent.
© Source : Repères
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