Chine : les trois défis de Xi Jinping | Rue89
Pierre Haski | Cofondateur
Xi Jinping, le nouveau numéro un chinois, vote au cours du XVIIIe Congrès du PCC (Wang Zhao/AFP)
La Chine que vont diriger Xi Jinping, le nouveau numéro un chinois, et son futur Premier ministre, Li Keqiang, désignés sans surprise mercredi à la clôture du XVIIIe Congrès du Parti communiste chinois, est très différente de celle dont avait hérité Hu Jintao une décennie plus tôt.
En 2002, la Chine, tout juste admise au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), se transformait à peine en « usine du monde », connaissait à peine Internet – utilisé désormais par 500 millions de Chinois –, et n’avait pas encore déployé ses ailes sur l’ensemble de la planète, Afrique, Asie, Amérique latine...
Xi Jinping, 59 ans, va devoir faire face à trois défis majeurs.
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Les réformes politiques
C’est la « fuite » du moment : les dirigeants chinois auraient comme livre de chevet « L’Ancien régime et la Révolution » d’Alexis de Tocqueville, une analyse des causes de la Révolution de 1789. Les caciques du PCC redoutent-ils à ce point d’être balayés par une vague populaire révolutionnaire comme Louis XVI et la monarchie française ?
La comparaison est excessive, et jusqu’ici, au sein du Parti communiste chinois, on étudiait plutôt la Perestroïka et la Glasnost de Mikhaïl Gorbatchev et l’implosion du système soviétique, comme antimodèle à éviter...
Le « doigt d’honneur » à Mao : « Etude de perspective : Tiananmen, 1995-2003 » (AI Weiwei)
Le fait est que la Chine d’aujourd’hui est bien plus difficile à gouverner, avec une société bien plus frondeuse que celle dont avait hérité Hu Jintao, pour toute une série de facteurs :
•le fossé social n’a cessé de se creuser entre une petite élite devenue milliardaire en dollars en quelques années, une classe moyenne qui a peur de perdre ce qu’elle vient de gagner et veut se protéger des risques environnementaux et sociaux, et les exclus du miracle chinois– quelques centaines de millions de personnes, exclues ou exploitées conscientes du décalage. L’indice Gini, qui calcule les écarts de richesse dans une société, a dépassé depuis longtemps la cote d’alerte en Chine ;
•la corruption a elle aussi dépassé la cote d’alerte. En 2002, dans son discours d’adieu en tant que leader du parti, Jiang Zemin avait déclaré que si le PCC ne parvenait pas à endiguer la corruption, il risquait d’être balayé. Hu Jintao a fait le même constat dans son propre discours la semaine dernière. Le phénomène ne cesse de s’amplifier, grâce notamment aux centaines de millions de dollars injectés dans l’économie dans les plans de relance de 2009 et 2012. Symbole de ce fléau, l’enquête du New York Times sur la fortune de l’entourage du premier ministre sortant, Wen Jiabao, que ce dernier conteste ;
Han Han, le blogueur le plus lu au monde, joue avec la censure (Mike Clarke/AFP)
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Internet a changé la face de la Chine. Avec plus d’un demi-milliard d’utilisateurs, plus de 200 millions d’inscrits sur Weibo, l’équivalent chinois de Twitter, l’information circule comme jamais auparavant dans l’histoire chinoise. Avec ses bons et ses mauvais côtés, la transparence accrue sur les affaires publiques, mais aussi, en l’absence de médias crédibles, la propagation de sentiments nationalistes, de la rumeur et du dénigrement.
Le mot de réforme politique a longtemps été un gros mot en Chine. Zhao Ziyang, secrétaire général du PCC limogé au moment du massacre de Tiananmen en 1989, a été le dernier leader réformiste.
« La Philosophie du porc », de Liu Xiaobo (Pierre Haski/Rue89)
Mais les voix sont nombreuses, aujourd’hui, pour dire que le système chinois doit évoluer, et que le décalage entre des réformes économiques qui ont transformé le pays, et l’absence d’évolution politique est intenable.
A commencer par un Etat de droit qui fait encore défaut, une tolérance pour la contradiction (Liu Xiaobo, prix Nobel de la paix, est en prison pour douze ans pour, de fait, un délit d’opinion), des candidatures multiples pour les fonctions électives, et pas seulement au sein du PCC.
Xi Jinping sera-t-il l’homme de la réforme politique vers plus de liberté, ou de la poursuite du « capitalisme autoritaire » à la chinoise devenu un modèle de référence ? C’est la question à 100 milliards de yuans ! Les experts sont partagés, et les Chinois dubitatifs. La crainte de perdre le pouvoir « à la Gorbatchev » reste le principal frein aux réformes politiques.
Seule certitude, la société chinoise est réveillée, et mènera la vie dure à un pouvoir dont la légitimité est de plus en plus contestée.
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Un nouveau modèle économique
Pendant la décennie écoulée, la Chine est devenue, selon un cliché déjà en passe d’être dépassé, l’« usine du monde ».
Son entrée dans l’OMC en 2002 a consacré ce statut et a fait de l’empire du Milieu la destination numéro un des investissements étrangers directs dans le monde, objet de désir de toutes les délocalisations en quête de main d’œuvre bon marché.
Un policier passe à vélo devant un panneau marquant l’adhésion de la Chine à l’OMC, à Pékin (Wilson Chu/Reuters)
Résultat : la province du Guangdong, dans le sud de la Chine, limitrophe de Hong Kong par laquelle est arrivée la modernité, a vu émerger des villes-champignons de plusieurs millions d’ouvriers, alignements d’usines toutes entières tournées vers l’exportation.
Cette Chine exportatrice produit 90% des jouets du monde, la majorité des ordinateurs, les iPhone et iPad d’Apple, 80% des chaussettes du globe, et tant d’autres choses encore, grâce à une armée de millions de « mingongs », ces « paysans ouvriers » venus de la campagne, corvéables à merci.
Les échanges entre la Chine et le reste du monde décollent après 2001 (New York Times)
Ce cycle est déjà essoufflé. Des revendications sociales et une montée des coûts ont affaibli l’attractivité de la Chine comme base de production, et certaines entreprises chinoises elles-mêmes se sont mises à délocaliser vers plus pauvre encore, Vietnam, Bangladesh...
Et la baisse drastique de la demande aux Etats-Unis et surtout en Europe frappée par la crise financière ont mis à mal la vitalité d’une économie qui reposait trop sur les exportations. De nombreuses usines ont fermé et ne rouvriront sans doute pas.
La Chine, dopée à la croissance à deux chiffres, ne connaît plus une progression cette année « que » de 7 à 8%, et certains experts pensent que ça peut descendre encore l’année prochaine si les tentatives de relance échouent. L’Europe s’en contenterait, mais pas la Chine avec ses besoins en développement colossaux, et sa population d’1,3 milliard d’habitants.
Développer le marché intérieur, réorienter l’économie d’un modèle exportateur vers une demande poussée par la consommation, c’est le nouveau défi d’un mastodonte parti trop vite dans une direction aujourd’hui bouchée. Le tout en limitant la casse environnementale et sociale, en formant mieux sa population, en garantissant à la classe moyenne qu’elle peut dépenser son épargne colossale dans un cadre sécurisé.
Ce défi-là n’est pas gagné, et la nouvelle équipe avancera sans véritables références, sans précédents.
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Quel rôle dans le monde ?
Au début des années 2000, la Chine restait un acteur modeste sur la scène internationale, autocentrée sur son développement économique.
Dix ans après, elle en était devenue un acteur incontournable, avec une présence économique conséquente sur tous les continents, un « soft power » en devenir, et une posture diplomatique ambigüe sur les grands conflits du moment.
Je me souviens, au milieu des années 2000, avoir assisté au premier Forum sino-africain à Pékin, avec des délégations venues de tout le continent, sans réaliser qu’il s’agissait des premiers pas de ce qu’on appelle aujourd’hui la « Chinafrique ».
Entrepreneur chinois au Nigéria, symbole de la « Chinafrique » (Paolo Woods)
La Chine est devenue le partenaire-clé d’un continent noir qui regorge des matières premières dont l’économie chinoise a grandement besoin. Elle accorde des crédits généreux sans trop regarder aux dessous de table ni au respect des droits de l’homme, pas mieux ni pire que les Occidentaux avant elle...
Des casques bleus chinois ont commencé à faire leur apparition dans le monde, au Congo, en Haïti, au Liban... Les « Instituts Confucius », écoles de langues et centres culturels, fleurissent un peu partout, et la Chine investit des milliards dans des médias destinés à concurrencer, avec un prisme pékinois, les CNN et France 24 de ce monde.
Nicolas Sarkozy serre la main de Hu Jintao le 28 avril 2010 à Pékin (Michel Euler/Reuters)
A partir de 2007-2008, on a vu une Chine plus sûre d’elle, plus « arrogante » diront ses détracteurs, émerger sur la scène internationale. La France de Nicolas Sarkozy en a fait les frais, « punie » par Pékin pour avoir flirté avec le dalaï-lama tibétain, bête noire de la Chine. La leçon a porté sur le plan international.
La Chine, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, se trouve désormais en première ligne sur les grands conflits. Pékin a laissé faire l’Otan en Libye pour le regretter ensuite, et choisir, de concert avec la Russie de Poutine, de bloquer toute tentation interventionniste en Syrie, au risque d’apparaître complice d’un massacre à grande échelle.
A ce rôle critiquable, la Chine ajoute son propre activisme en Asie, qui met ses voisins mal à l’aise. Poussée nationaliste et tension avec le Japon autour de la possession d’îlots, même chose avec le Vietnam ou les Philippines sur le sort d’autres îles de mer de Chine, ou « protection » de la Corée du Nord nucléaire de peur de voir s’effondrer un voisin qui sert à tenir les Américains à distance.
La Chine n’a pas encore trouvé sa place et sa voix dans le monde. Xi Jinping et sa génération politique héritent d’un pays devenu la deuxième puissance mondiale, qui a commencé à se déployer à l’échelle planétaire (et même au-delà avec l’épopée spatiale) sans avoir encore réellement fixé sa doctrine, au-delà du slogan rassurant de l’« émergence pacifique ».
Elle a cru, sans doute trop vite, que les Etats-Unis, affaiblis par les guerres de Bush et la crise des subprimes, étaient hors course, et s’est crue trop rapidement maître du monde.
En septembre, le Premier ministre de Singapour, Lee Hsien Loong, un ami de Pékin, mettait en garde les dirigeants chinois, dans un discours à l’école du Parti communiste, contre l’idée selon laquelle les Etats-Unis ne comptaient plus. Une piqûre de rappel utile.
Les nouveaux dirigeants devront faire face au contre-coup de l’émergence brutale de leur pays : le « China bashing », qui en fait le bouc émissaire des problèmes du monde, est en vogue aux Etats-Unis (Romney...) ou en France (Montebourg...).
Le XXIe siècle ne sera peut-être pas uniquement chinois, mais il le sera assurément en partie.
Face à ces trois défis, internes et externes, Xi Jinping doit encore révéler sa personnalité, ses ambitions. C’est peu dire que les grandes capitales de ce monde sont à l’affût de ses premiers pas.
Le monde observe plus le changement à Zhongnanhai (le siège du pouvoir à Pékin) que les simples citoyens chinois, mis devant le fait accompli, et que le changement d’« empereur » concerne peu. Mais peut-être Xi Jinping les surprendra-t-il ?