Les tueurs du centre commercial du groupe Al-Shabaab sont venus de Somalie. Si un pays est une métaphore impériale, c’est la Somalie. Partageant une langue et une religion commune, les Somaliens ont été divisés entre les Britanniques, les Français, les Italiens et les Ethiopiens. Des dizaines de milliers de personnes ont été ballotées d’un pouvoir à l’autre. «Quand on les fait se haïr les uns les autres», écrit un fonctionnaire colonial britannique, la «bonne gouvernance est assurée.”
Aujourd’hui, la Somalie est un parc à thème de divisions artificielles, brutales, appauvrie durablement par la Banque mondiale et le programme “d’ajustement structurel” du FMI, saturée d’armes modernes, notamment l’arme personnelle favorite du président Obama, le drone. Le seul gouvernement somalien stable, les tribunaux islamiques, a été “bien accueilli par les gens dans les zones sous son contrôle”, a rapporté le service de recherche du Congrès américain, «[mais] a reçu une couverture médiatique négative, en particulier en Occident.” Obama l’a écrasé; et en Janvier, Hillary Clinton, alors secrétaire d’Etat, a présenté son homme au monde. “La Somalie reste reconnaissant de l’appui indéfectible du gouvernement des Etats-Unis,” avait déclaré avec effusion le président Hassan Mohamud, «merci, l’Amérique.”
Depuis que l’OTAN a réduit la Libye moderne à un état de Hobbes en 2011, les derniers obstacles vers l’Afrique sont tombés. “Les conflits pour l’énergie, les minéraux et les terres fertiles sont susceptibles de se produire avec une intensité croissante», rapportent les planificateurs du ministère de la Défense. Ils prédisent “un nombre élevé de victimes civiles”, donc que “la perception de légitimité morale sera importante pour aboutir à un succès”. Sensible au problème de relations publiques relatif à l’invasion d’un continent, le mammouth de l’armement, BAE Systems, avec Barclay Capital et BP, conseillent au «gouvernement de définir sa mission internationale comme une gestion des risques au nom des citoyens britanniques». Le cynisme est mortel. Les gouvernements britanniques ont eu, à plusieurs reprises, des mises en garde, notamment de la part de la Commission parlementaire de renseignement et de Sécurité, que les aventures à l’étranger attireraient des représailles chez nous.
Avec un intérêt des médias réduit au minimum, le Commandement africain américain (Africom) a déployé des troupes dans 35 pays africains, établissant un réseau familier de larbins autoritaires avides de pots de vin et d’armements. Dans les jeux de guerre, la doctrine « de soldat à soldat » s’applique à tous les officiers américains à tous les niveaux de commandement, du général au grade de sous-lieutenant. Les britanniques ont fait de même en Inde. C’est comme si la fière histoire de libération de l’Afrique, de Patrice Lumumba à Nelson Mandela, était reléguée aux oubliettes par une nouvelle élite coloniale de nouveaux maîtres noirs dont la “mission historique”, avait averti Frantz Fanon il y a un demi-siècle, est l’assujettissement de leur propre peuple dans la cause d’un “capitalisme sauvage bien camouflé“. La référence est aussi valable pour le Fils de l’Afrique de la Maison Blanche.
Pour Obama, il y a une cause plus urgente – la Chine. L’Afrique est la réussite de la Chine. Là où les Américains apportent des drones, les Chinois construisent des routes, des ponts et des barrages. Ce que les Chinois veulent ce sont les ressources, notamment les énergies fossiles. Le bombardement de la Libye par l’OTAN a chassé 30.000 travailleurs de l’industrie pétrolière chinoise. Plus que le djihadisme ou l’Iran, le rôle de la Chine en Afrique est désormais l’obsession de Washington, et au-delà. C’est la «politique» connue sous le nom de «pivot vers l’Asie», dont la menace pour une guerre mondiale est aussi grande que jamais dans l’ère moderne.
La réunion de cette semaine à Tokyo du secrétaire d’Etat américain John Kerry et du secrétaire à la Défense Chuck Hagel avec leurs homologues japonais a accéléré la perspective d’une guerre avec le nouveau rival impérial. Soixante pour cent des forces américaines et navales doivent être basées en Asie en 2020, visant la Chine. Le Japon se réarme rapidement avec le gouvernement de droite du Premier ministre Shinzo Abe, qui est arrivé au pouvoir en Décembre avec un engagement à construire une “nouvelle et forte armée» et à contourner la “constitution de paix”. Un système de missiles antibalistiques nippo-américain près de Kyoto vise la Chine. En utilisant des drones à long rayon d’action, les Global Hawk, les Etats-Unis ont fortement augmenté leurs provocations dans l’Est de la Chine et la mer de Chine méridionale, où le Japon et la Chine se disputent la propriété des îles Senkaku / Diaoyu. Des appareils avancés à décollage vertical sont maintenant déployés au Japon; leur but est la blitzkrieg.
Sur l’île du Pacifique de Guam, à partir de laquelle les B-52s attaquaient le Vietnam, le plus grand déploiement militaire depuis les guerres d’Indochine regroupe 9.000 Marines américains. En Australie, cette semaine, une prise d’armes militaire qui a diverti les habitants de Sydney, correspond à une campagne de propagande du gouvernement pour justifier un accroissement sans précédent du potentiel militaire américain de Perth à Darwin, visant à la Chine. La grande base américaine de Pine Gap près d’Alice Springs est, comme Edward Snowden l’a divulgué, une plaque tournante de l’espionnage américain dans la région et au-delà ; c’est aussi un élément essentiel pour les assassinats par drone d’Obama à travers le monde.
Un ancien secrétaire d’Etat adjoint américain, McGeorge Bundy, avait dit un jour : «Nous devons informer les Britanniques pour les garder de notre côté. Vous en Australie, êtes avec nous, quoi qu’il arrive ». Les forces australiennes ont longtemps joué un rôle de mercenaire pour Washington. Cependant, il y a un problème. La Chine est le plus grand partenaire commercial de l’Australie et en grande partie responsable de sa sortie de la récession de 2008. Sans la Chine, il n’y aurait pas de boom pour les mines du pays ; pas de retour minier hebdomadaire de près d’un milliard de dollars.
Les dangers que cela représente sont rarement débattus publiquement en Australie, où le patron du premier ministre Tony Abbott, Rupert Murdoch, contrôle 70 pour cent de la presse. Occasionnellement, l’anxiété s’exprime sur le «choix» des USA sur ce que l’Australie aura à faire. Un rapport de l’Institut australien de politique stratégique avertit que tout plan américain pour attaquer la Chine impliquerait “l’aveuglement” du système de surveillance chinois, de renseignement et de commandement. Cela “augmentera, par conséquent, les chances de préemption du nucléaire Chinois… et une série d’erreurs de calcul des deux côtés si Pékin perçoit les attaques conventionnelles sur son sol comme une tentative de désarmer sa capacité nucléaire”.
Dans son discours à la nation le mois dernier, Obama a dit: «Ce qui rend l’Amérique différente, ce qui nous rend exceptionnel, c’est que nous sommes déterminés à agir.”
Old game, new obsession, new enemy. Now it’s China.
Cet article a été initialement publié par The Guardian sous le titre :
More than jihadism or Iran, China’s role in Africa is Obama’s obsession, le 9 octobre 2013
Traduction : Avic
Aujourd’hui, la Somalie est un parc à thème de divisions artificielles, brutales, appauvrie durablement par la Banque mondiale et le programme “d’ajustement structurel” du FMI, saturée d’armes modernes, notamment l’arme personnelle favorite du président Obama, le drone. Le seul gouvernement somalien stable, les tribunaux islamiques, a été “bien accueilli par les gens dans les zones sous son contrôle”, a rapporté le service de recherche du Congrès américain, «[mais] a reçu une couverture médiatique négative, en particulier en Occident.” Obama l’a écrasé; et en Janvier, Hillary Clinton, alors secrétaire d’Etat, a présenté son homme au monde. “La Somalie reste reconnaissant de l’appui indéfectible du gouvernement des Etats-Unis,” avait déclaré avec effusion le président Hassan Mohamud, «merci, l’Amérique.”
Depuis que l’OTAN a réduit la Libye moderne à un état de Hobbes en 2011, les derniers obstacles vers l’Afrique sont tombés. “Les conflits pour l’énergie, les minéraux et les terres fertiles sont susceptibles de se produire avec une intensité croissante», rapportent les planificateurs du ministère de la Défense. Ils prédisent “un nombre élevé de victimes civiles”, donc que “la perception de légitimité morale sera importante pour aboutir à un succès”. Sensible au problème de relations publiques relatif à l’invasion d’un continent, le mammouth de l’armement, BAE Systems, avec Barclay Capital et BP, conseillent au «gouvernement de définir sa mission internationale comme une gestion des risques au nom des citoyens britanniques». Le cynisme est mortel. Les gouvernements britanniques ont eu, à plusieurs reprises, des mises en garde, notamment de la part de la Commission parlementaire de renseignement et de Sécurité, que les aventures à l’étranger attireraient des représailles chez nous.
Avec un intérêt des médias réduit au minimum, le Commandement africain américain (Africom) a déployé des troupes dans 35 pays africains, établissant un réseau familier de larbins autoritaires avides de pots de vin et d’armements. Dans les jeux de guerre, la doctrine « de soldat à soldat » s’applique à tous les officiers américains à tous les niveaux de commandement, du général au grade de sous-lieutenant. Les britanniques ont fait de même en Inde. C’est comme si la fière histoire de libération de l’Afrique, de Patrice Lumumba à Nelson Mandela, était reléguée aux oubliettes par une nouvelle élite coloniale de nouveaux maîtres noirs dont la “mission historique”, avait averti Frantz Fanon il y a un demi-siècle, est l’assujettissement de leur propre peuple dans la cause d’un “capitalisme sauvage bien camouflé“. La référence est aussi valable pour le Fils de l’Afrique de la Maison Blanche.
Pour Obama, il y a une cause plus urgente – la Chine. L’Afrique est la réussite de la Chine. Là où les Américains apportent des drones, les Chinois construisent des routes, des ponts et des barrages. Ce que les Chinois veulent ce sont les ressources, notamment les énergies fossiles. Le bombardement de la Libye par l’OTAN a chassé 30.000 travailleurs de l’industrie pétrolière chinoise. Plus que le djihadisme ou l’Iran, le rôle de la Chine en Afrique est désormais l’obsession de Washington, et au-delà. C’est la «politique» connue sous le nom de «pivot vers l’Asie», dont la menace pour une guerre mondiale est aussi grande que jamais dans l’ère moderne.
La réunion de cette semaine à Tokyo du secrétaire d’Etat américain John Kerry et du secrétaire à la Défense Chuck Hagel avec leurs homologues japonais a accéléré la perspective d’une guerre avec le nouveau rival impérial. Soixante pour cent des forces américaines et navales doivent être basées en Asie en 2020, visant la Chine. Le Japon se réarme rapidement avec le gouvernement de droite du Premier ministre Shinzo Abe, qui est arrivé au pouvoir en Décembre avec un engagement à construire une “nouvelle et forte armée» et à contourner la “constitution de paix”. Un système de missiles antibalistiques nippo-américain près de Kyoto vise la Chine. En utilisant des drones à long rayon d’action, les Global Hawk, les Etats-Unis ont fortement augmenté leurs provocations dans l’Est de la Chine et la mer de Chine méridionale, où le Japon et la Chine se disputent la propriété des îles Senkaku / Diaoyu. Des appareils avancés à décollage vertical sont maintenant déployés au Japon; leur but est la blitzkrieg.
Sur l’île du Pacifique de Guam, à partir de laquelle les B-52s attaquaient le Vietnam, le plus grand déploiement militaire depuis les guerres d’Indochine regroupe 9.000 Marines américains. En Australie, cette semaine, une prise d’armes militaire qui a diverti les habitants de Sydney, correspond à une campagne de propagande du gouvernement pour justifier un accroissement sans précédent du potentiel militaire américain de Perth à Darwin, visant à la Chine. La grande base américaine de Pine Gap près d’Alice Springs est, comme Edward Snowden l’a divulgué, une plaque tournante de l’espionnage américain dans la région et au-delà ; c’est aussi un élément essentiel pour les assassinats par drone d’Obama à travers le monde.
Un ancien secrétaire d’Etat adjoint américain, McGeorge Bundy, avait dit un jour : «Nous devons informer les Britanniques pour les garder de notre côté. Vous en Australie, êtes avec nous, quoi qu’il arrive ». Les forces australiennes ont longtemps joué un rôle de mercenaire pour Washington. Cependant, il y a un problème. La Chine est le plus grand partenaire commercial de l’Australie et en grande partie responsable de sa sortie de la récession de 2008. Sans la Chine, il n’y aurait pas de boom pour les mines du pays ; pas de retour minier hebdomadaire de près d’un milliard de dollars.
Les dangers que cela représente sont rarement débattus publiquement en Australie, où le patron du premier ministre Tony Abbott, Rupert Murdoch, contrôle 70 pour cent de la presse. Occasionnellement, l’anxiété s’exprime sur le «choix» des USA sur ce que l’Australie aura à faire. Un rapport de l’Institut australien de politique stratégique avertit que tout plan américain pour attaquer la Chine impliquerait “l’aveuglement” du système de surveillance chinois, de renseignement et de commandement. Cela “augmentera, par conséquent, les chances de préemption du nucléaire Chinois… et une série d’erreurs de calcul des deux côtés si Pékin perçoit les attaques conventionnelles sur son sol comme une tentative de désarmer sa capacité nucléaire”.
Dans son discours à la nation le mois dernier, Obama a dit: «Ce qui rend l’Amérique différente, ce qui nous rend exceptionnel, c’est que nous sommes déterminés à agir.”
John Pilger
Article original en anglais :Old game, new obsession, new enemy. Now it’s China.
Cet article a été initialement publié par The Guardian sous le titre :
More than jihadism or Iran, China’s role in Africa is Obama’s obsession, le 9 octobre 2013
Traduction : Avic
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