PAYS ÉMERGENTS - Loin des polémiques françaises, les entreprises chinoises et africaines se rencontrent le 17 avril 2013 à Johannesburg. N'importe quelle visite sur un moteur de recherche donne des millions d'occurrences pour "Business Summit China-Africa", traduisant une réalité lourde de l'économie mondiale.
Mais loin de la vision d'une Chine dévorant l'Afrique, il faut surtout retenir que l'Afrique est en train de recentrer l'économie mondiale et notamment l'axe des grandes puissances émergentes. C'est ce qu'on n'a pas assez retenu du 5e sommet des Brics, réuni fin mars dernier à Durban, en Afrique du Sud également.
Ils se sont plus que jamais projetés dans l'avenir et d'abord, en pratique, vers cette Afrique qui les accueillait, horizon clé de développement, d'influence et de rivalités. La Chine est désormais loin d'être toute seule sur ce continent si proche de l'Europe. Et les jeux sont loin d'être fait comme l'a montré le sommet de Durban.
Une banque de développement commune aux Brics
Les plus éminents dirigeants des Brics -Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud, qui représentent ensemble près de la moitié de la population mondiale et près d'un quart de sa richesse- ont de façon spectaculaire, réaffirmé leur volonté de créer une banque de développement commune pour concurrencer la Banque Mondiale, trop étroitement contrôlée dans leur esprit par les Occidentaux. Mais il faut nuancer cette annonce: cet instrument fort d'un axe Sud-Sud, qui s'affranchirait du Nord et en particulier des Etats-Unis et de l'Europe en crise, n'est pas encore né.
Cette banque est envisagée depuis deux ans et ses modalités concrètes de financement (50 milliards de dollars, répartis à parts égales?) restent à définir. Ces partenaires sont en fait loin de parler encore d'une seule voix en la matière. Quant au "roi dollar" américain, il reste un instrument de poids dans leurs relations commerciales, même si le Brésil et la Chine ont signé à Durban un accord sur un fonds de 30 milliards de dollars pour des échanges dans leurs devises respectives.
De même, selon Peter Draper, un grand spécialiste sud-africain du commerce international, la perspective abordée d'un vaste accord de libre-échange entre les Brics paraît bien irréaliste.
Un rôle central pour l'Afrique
Pour ceux qui parlent d'un sommet stérile à Durban, les BRICS peuvent en fait être comparés à certains égards à un troupeau d'éléphants -lent, vindicatif, et lourd vu de l'extérieur- mais il s'est passé bien plus qu'on ne le pense sous la surface de résultats apparemment décevants. Le sommet entre les hommes d'affaires a ainsi vu plusieurs centaines chefs d'entreprises échanger entre eux de façon dynamique. De ce point de vue, un Davos alternatif est né à Durban. Surtout, la présence de 15 chefs d'état africains et la couverture médiatique partout en Afrique a montré un tournant majeur pour les Brics: le caractère central de l'Afrique dans tout projet d'autonomisation du Sud.
Ceci joue à un double niveau. Sur le plan collectif d'abord, l'Afrique va jouer désormais un rôle clé dans l'équilibre des Brics entre la Chine et la Russie d'un côté, et l'Inde, le Brésil et l'Afrique du sud de l'autre. On l'avait déjà vu à l'occasion de divers sommets internationaux comme celui de Copenhague sur le climat, ou encore à l'OMC, où les intérêts de l'Afrique sont loin de coïncider avec ceux des géants, et notamment de la Chine. Le "consensus de Pékin" est loin d'avoir conquis l'Afrique, et l'Inde comme le Brésil offrent une alternative intéressante sur le point clé de la gouvernance.
Sur le plan économique ensuite, l'enjeu africain, moins claironné, était, lui, bien au cœur de la réunion. Les projets d'investissement séparés des Brics en Afrique, en particulier dans les infrastructures et les matières premières, n'ont pas attendu pour éclore une nouvelle structure bancaire, l'utilisation d'autres devises, ou une mise en commun, également envisagée, des réserves de change des émergents. Les échanges commerciaux entre les Brics et l'Afrique ont ainsi été multipliés par 10 en dix ans, pour atteindre environ 340 milliards de dollars par an, selon les chiffres de la Banque africaine de développement. Le Sud est également devenu l'an dernier le premier investisseur sur le continent africain.
La tournée du président chinois en Afrique à l'occasion du sommet de Durban a également été révélatrice de cet axe géographique clé. Xi Jinping s'est rendu successivement en Tanzanie, en République démocratique du Congo (RDC) et donc en Afrique du Sud pour y signer des accords ou des contrats. Ce périple de huit jours au total, pour une des premières sorties internationales du nouvel homme fort de Pékin, montre bien l'importance de l'Afrique, dont la Chine est le premier partenaire commercial depuis déjà 2009.
Le Brésil, l'Inde et la Russie ne sont pas en reste et ont profité du sommet pour rencontrer la plupart des chefs d'Etat africains invités aussi à Durban. Quelques jours avant le sommet de Durban, New Delhi accueillait son propre Business Summit India-Africa avec plus d'une centaine d'entreprises indiennes inscrites.
Bref, une nouvelle partie de cartes a commencé: entre le Sud et le Nord d'une part, mais aussi au sein du Sud dans lequel l'Afrique a désormais une place de choix et où la Chine est loin d'être un acteur écrasant. L'Europe sera-t-elle absente de cette redistribution des cartes?
Jean-Joseph Boillot et Stanislas Dembinski sont les auteurs du livre Chindiafrique, ou comment la Chine, l'Inde et l'Afrique feront le monde de demain, paru le 3 janvier 2013 aux éditions Odile Jacob.
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