CHINE AFRIQUE

POUR DES RELATIONS RESPECTUEUSES, AMICALES, FRANCHES ET FRATERNELLES

mardi 26 juillet 2011

AFRICATIME - Le rendez-vous de l'Afrique sur Internet

"Lieve Joris brise les clichés entre l'Afrique et la Chine -
La romancière belge, Lieve Joris, auteur de «Mon oncle du Congo», s’intéresse depuis trois ans aux relations entre la Chine et l’Afrique. Des rapports bien plus complexes et positifs que ce qu’on veut bien en percevoir en Europe.

Lieve Joris est de retour, pour un temps, à Amsterdam. Sa «base», comme elle l’appelle, où elle a élu domicile à vingt ans, dans les années 1970. Installée à son bureau, à l’étage d’un appartement confortable d’une maison de canal, elle revient sur le vaste sujet qui la préoccupe depuis trois ans.

Elle a passé onze mois en Chine, depuis 2009. Et s’est rendue pour les besoins de son prochain ouvrage dans les deux Congo, mais aussi au Rwanda et au Burundi. Lieve Joris ne s’est pas contentée de Canton, où vit une communauté africaine forte de 30.000 personnes, dont les activités sont centrées autour de l’import-export, et d'où 150.000 personnes font des allées et venues vers les capitales africaines. Ses tribulations l’ont aussi menée à Pékin et dans différentes provinces, au gré de ses rencontres.

La voilà qui s’apprête à refaire sa valise, cette fois pour accompagner en Afrique du Sud l’un des deux personnages principaux de son prochain livre: un Chinois qui décide d’aller en Afrique pour «chercher sa vie». En contrepoint, elle suit aussi un jeune Africain qui va faire ses études en Chine, contraint d’apprendre une autre langue et de se familiariser avec une autre culture.
Cap sur la «Chin'Afrique»

Lieve Joris a décidé de s’attaquer aux relations entre la Chine et l’Afrique après avoir écrit trois livres d’affilée sur le Congo: Danse du Léopard, L’heure des rebelles et Les hauts-plateaux (Actes Sud). Un long cheminement qui l’a menée parfois «hors de ce monde», admet-elle. En s’ouvrant un nouveau champ d’enquête et d’aventures humaines, elle s’offre un bon bol d’air. Ancienne journaliste ayant toujours aimé travailler en immersion, Lieve Joris, écrivaine-voyageuse, continue de se baser sur le réel pour tisser sa toile sur la trame de ses rencontres.

«Je cherche toujours à entrer dans l’histoire par la petite porte, c’est sans doute la villageoise en moi», dit-elle.

Dans un documentaire récent que lui a consacré la réalisatrice belge Rita Mosselmans pour la télévision flamande, l’auteur, issue d’une famille flamande de neuf enfants, explique ne pas «avoir d’idéologie et ne vouloir convertir personne». Son ami de longue date, François Belorgey, ancien directeur de Centre culturel français (CCF) au Zaïre (aujourd'hui République démocratique du Congo) à l'époque de l'ancien président Mobutu Sese Seko, au Sénégal et au Mozambique, actuellement en poste à Alger, raconte l’avoir vue débarquer à Kinshasa, «une ville qui ressemble à une cocotte-minute, comme une jeune fille toute propre avec sa petite robe plissée». Elle n’en a pas moins pris place à l’arrière de sa moto, pour l’accompagner dans ses rencontres avec les musiciens dans les soirées de Matonge, un quartier de Kinshasa, la capitale de la RDC.

«Les Chinois ont leur regard sur l’Afrique, qui n’est pas si différent du nôtre, explique Lieve Joris. Il est chargé de leur propre histoire. Comme nous, ils recherchent des miroirs.»

Elle a ainsi découvert que les Chinois aiment particulièrement l’Ethiopie, «en tant que pays pauvre ayant une grande histoire et une culture très ancienne». Des pays aux gouvernements forts, comme l’Angola ou le Soudan, sont eux aussi appréciés. Il paraît toujours plus sûr, en cas de problème, de pouvoir se tourner vers une autorité forte. En revanche, «les Chinois ont du mal à comprendre que le Nigeria, un pays qui regorge de pétrole, puisse être aussi mal géré et connaître des pannes d’électricité, très loin du modèle d’Etat archi-organisé qui est le leur». D’ailleurs, quand elle raconte en Chine des histoires de rebelles congolais, on lui fait souvent cette remarque: «Mais ce n’est pas permis!»
Aventure et immersion

Pas question pour elle d’arriver en Chine avec ses gros sabots d’Occidentale. Elle ne pose pas de question sur les droits de l’homme ou la situation des dissidents à ses interlocuteurs, mais prend le temps d’instaurer des relations de confiance, en allant au restaurant plusieurs fois, en se faisant présenter des amis, en prenant le train pour accompagner untel ou unetelle dans une conférence… Le fait de connaître l’Afrique l’aide beaucoup, dit-elle, dans un pays où une vingtaine d’universités ont des programmes d’échange avec des facultés d’Afrique. Les chercheurs chinois s’avèrent très curieux, lui posent beaucoup de questions, et elle se sent parfois «comme une encyclopédie».

«Les Chinois sont arrivés en Afrique à un moment où les relations entre le continent et l’Occident étaient bloquées: au lieu de poser des conditions et d’apporter de l’aide, ils viennent avec un certain sens de l’aventure, pour aller dans des endroits où personne n’ose aller, et inventer une relation bilatérale dont les Africains commencent à se plaindre.»

Lieve Joris ne va pas parler de géopolitique, de nouveau colonialisme ou de routes construites à la va-vite dans son prochain livre –—à paraître en 2013— mais de tranches de vies. Elle a sondé la solitude de l’Africain en Chine qui doit se débrouiller tout seul, voit le changement du pays autour de lui et se met à rêver du changement de l’Afrique, avec une industrialisation qui paraît à portée de main.

«J’ai rencontré un Malien qui vit à Shangaï avec sa femme et leurs deux enfants. Il vient d’un petit village et veut fait de la farine avec des petits pois chiche, un produit très demandé. Il a la trentaine, n’a pas voulu habiter à Canton parce qu’il y a trop d’Africains, parle bien chinois et développe avec un partenaire local une machine spéciale pour la ramener au pays et fabriquer sa farine.»

Une kyrielle de clichés

Les clichés entre le continent noir et le grand pays émergent d’Asie ont certes la vie dure. Certains, en Chine, sont persuadés qu’on ne parle qu’une seule langue en Afrique, ou encore qu’on peut trouver du thé du Kenya n’importe où sur le continent. Sur la sexualité, Lieve Joris a parfois entendu des remarques sur «l’esprit nomade» des hommes sud-africains qui font des enfants avec des femmes différentes, mais aussi des jugements tranchés de Congolais qui estiment leurs femmes «physiquement incompatibles» avec les Chinois… Mais ce n’est pas ce registre qui l’intéresse le plus.

Elle s’est surtout appliquée à observer les changements à l’oeuvre chez les Africains de Chine et inversement, chez les Chinois d’Afrique. Un jour, un artiste chinois installé en Afrique du Sud a apporté de l’argent à sa banque, raconte-t-elle. La guichetière, une Sud-Africaine d’origine indienne, lui a fait cette réflexion:

«Vous ne faites que travailler et vous mettez tout votre argent à la banque. Ce n’est pas une vie!»

Il a réfléchi, eu des remords, pensé à cette «culture de gens qui ne vivent que dans le futur parce qu’ils n’ont pas confiance —une posture qui vient du passé.» Lieve Joris se reconnaît dans cette trajectoire. Elle aussi en quête de miroirs, elle est toujours curieuse des expériences de «gens qui changent, à force de voyager».

Sabine Cessou

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